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Dans ce chapitre, on a présenté différentes applications de la LWD. Les deux premiers exemples, à savoir le double puits et la chaîne FPU, illustrent bien la capacité de cet algorithme à trouver des trajectoires de chaoticité atypique, et à les stabiliser dans le temps. On a alors utilisé cette propriété pour trouver des trajectoires qui n’avaient jamais été observées dans la chaîne FPU et dont l’existence était à priori hautement improbable, du fait de la tendance des modes de respiration chaotiques à fusionner [3] : des trajectoires contenant plusieurs modes de respiration chaotiques, qui se croisent ou évoluent à quelques sites d’écart.

On a ensuite montré que cet algorithme pouvait être utilisé pour mesurer l’énergie libre dyna- mique dans des systèmes étendus, que ce soit des systèmes en temps discret comme la chaîne d’applications en forme de tente couplées ou des systèmes en temps continu comme la chaîne FPU. Ces résultats indiquent qu’une étude de la transition de phase dynamique dans ces deux systèmes est réalisable.

Chapitre 5

Fluctuations de l’exposant de

Lyapunov maximal dans les

systèmes diffusifs

Nous avons présenté dans les deux chapitres précédents une mise en œuvre numérique du for- malisme thermodynamique dans des systèmes déterministes, ce qui nous a permis de trouver des trajectoires rares de chaoticité atypique et de mesurer l’énergie libre dynamique. Nous allons maintenant appliquer ce formalisme analytiquement pour calculer l’énergie libre dynamique dans une classe de systèmes étendus stochastiques : les systèmes diffusifs dans la limite macroscopique. Pour cela, nous allons nous appuyer sur l’hydrodynamique fluctuante, qui est une description continue des modèles diffusifs sur réseaux dans la limite de grande taille, et sur les méthodes de théorie des champs, notamment l’intégrale de chemin et la méthode du col.

5.1

Contexte

La physique statistique vise à expliquer les phénomènes macroscopiques (ou collectifs) à partir des propriétés microscopiques (ou individuelles) de chacun des composants du système, si pos- sible avec un ensemble minimal de règles générales. On ne cherche donc pas à décrire chaque occurrence d’un phénomène indépendamment, mais à mettre au jour les ingrédients indispen- sables à l’apparition et à la caractérisation de ce phénomène. Par exemple, on n’est pas intéressé par trouver un modèle ad hoc rendant compte de toutes les propriétés de l’ébullition de l’eau à une pression donnée, mais ne fonctionnant pas pour une autre pression ou pour un autre liquide. La plupart des phénomènes qui nous entourent sont très complexes, et tout l’art du physicien est de réussir à en extraire leurs ingrédients essentiels. Cela explique le succès de modèles à priori simplistes, comme par exemple le modèle d’Ising [123, 124] pour décrire la transition de phase paramagnétique-ferromagnétique : avec très peu de règles, on peut rendre compte des phéno- mènes critiques (transition de phase du second ordre) et des brisures spontanées de symétrie.

52 Chapitre 5. Fluctuations de l’exposant de Lyapunov maximal dans les systèmes diffusifs

Par ailleurs, de nombreux systèmes présentent une séparation d’échelles temporelles (modes rapides versus modes lents) ou spatiales. Deux possibilités s’offrent alors à nous : tenir compte de toutes les échelles, ce qui demande généralement une puissance de calcul gigantesque, ou ne tenir compte que de l’échelle qui nous intéresse et moyenner le comportement sur les autres échelles, ce qui conduit souvent à l’introduction d’un bruit. Par exemple, si on étudie une suspension colloïdale, les colloïdes sont plus grands et se déplacent beaucoup plus lentement que les particules du solvant. On peut donc tenir compte de l’action du solvant (les chocs des molécules de solvant sur les particules colloïdales) en ajoutant un bruit à la force qui s’exerce sur chaque colloïde. C’est pourquoi beaucoup de systèmes peuvent être décrits par des modèles stochastiques. Ces deux considérations ont assuré le succès des systèmes diffusifs. Il s’agit de modèles sto- chastiques, soumis à des règles d’évolution simples et qui présentent un mode conservé dont la dynamique moyenne est équivalente à une diffusion, avec ou sans dérive. Ils regroupent aussi bien des modèles de particules sur réseau [125–129] que des particules colloïdales en interac- tion [130], et permettent de modéliser des phénomènes allant du transport dans les milieux biologiques [131, 132] à la conduction thermique [133], en passant par les flux de piétons [134]. De par leur simplicité et le nombre de situations qu’ils peuvent modéliser, ce sont des modèles de choix pour illustrer les idées de la physique statistique hors d’équilibre. Leur étude peut être relativement simple tant qu’ils sont à l’équilibre, mais elle s’avère extrêmement compliquée dès qu’on les plonge hors d’équilibre en leur imposant une dérive, par exemple en forçant un flux à travers le système en le mettant en contact de réservoirs différents à ses extrémités.

À notre connaissance, les premiers à avoir eu l’idée d’utiliser des opérateurs biaisés pour étudier ce type de systèmes et à avoir fait le lien avec le formalisme thermodynamique sont Derrida et Lebowitz en 1998 [135]. Ils ne biaisaient alors non pas par l’exposant de Lyapunov, mais par le courant. Cette approche a été réutilisée dans la foulée par Kurchan [136], Maes [137], Lebowitz et Spohn [138] pour étendre le théorème de Gallavotti-Cohen [139, 140] au cas des processus markoviens. Le formalisme thermodynamique s’est alors répandu dans la communauté, et est depuis très souvent utilisé pour étudier les systèmes diffusifs, en prenant comme observable le courant [97, 127–129, 141–143], l’activité [93, 144–146] ou l’entropie de Kolmogorv-Sinai [147]. Il n’a cependant jamais été utilisé pour calculer les fluctuations d’exposants de Lyapunov dans ces modèles.

C’est l’objet de ce chapitre, pour une classe de systèmes diffusifs : ceux dont le comportement à l’échelle macroscopique peut être décrit par l’hydrodynamique fluctuante [9,125,129,141,148,149]. Ce formalisme rend compte de l’évolution du mode conservé à l’aide d’une équation de continuité et d’un courant stochastique. Couplé aux méthodes de théorie des champs, il s’est révélé très utile pour étudier les fluctuations de diverses observables [145,150–155]. Nous allons nous placer dans le cas le plus simple, c’est-à-dire sans dérive, et regarder plus précisément trois modèles : les particules libres, le processus d’exclusion simple symétrique (SSEP : Symmetric Simple Exclusion

Process) et le modèle de conduction thermique de Kipnis-Marchioro-Presutti (KMP). Nous avons

choisi ces modèles pour des raisons différentes. Le premier est le modèle le plus simple vu qu’il n’y a aucune interaction entre les particules. Nous pouvions donc espérer que le calcul soit plus facile, ce qui s’est révélé inexact. Le deuxième contient un certain nombre d’ingrédients des suspensions colloïdales (diffusion et exclusion), ce qui est une première étape dans la direction des systèmes vitreux. Enfin, le dernier a des degrés de liberté continus et permet donc de mesurer plus facilement les exposants de Lyapunov dans une simulation numérique. Il sera donc très utile pour vérifier que l’exposant de Lyapunov (et ses fluctuations) calculé à l’aide de l’hydrodynamique fluctuante est cohérent avec son analogue défini dans les modèles microscopiques et mesuré numériquement (voir le chapitre 6).

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