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Au cours des trois dernières décennies, une grande polémique s’est installée sur les causes de l’économie dite informelle et son caractère volontaire ou subi. Ainsi plusieurs chercheurs ont analysé les différentes approches et théories traitant de la question. On citera à titre d’exemples : Fies et al. 2008 ; Gong et al. 2004 ; Bosch et Maloney, 2010 ; Nordman et al. 2011 ; Bargain et Kwenda, 2011. Razafindrakolo et al. 2012. Leurs recherches ont buté sur l’absence d’une théorie claire sur les causes de l’apparition et de la persistance de l’économie dite informelle ; ce qui les a amenés à présenter leurs propres analyses sans réussir eux aussi à faire l’unanimité. On a pour l’essentiel imputé l’émergence de l’économie dite informelle à la migration des travailleurs ruraux vers les centres urbains, une migration due aux conditions du

198 marché du travail plus favorables, qui attireraient les demandeurs d’emplois vers les villes (par exemple Harris et Todaro, 1970). Au fil du temps, les auteurs s’intéressant à l’explication des déterminants de l’économie dite informelle ont élargi leur terrain d’analyse en introduisant d’autres variables qu’expliquent l’expansion de l’économie dite informelle. Quant à l’approche de l’économie populaire, elle reconnaît le rôle joué par les associatives sociales et la famille dans le développement de l’économie informelle. D’autres ont essayé d’articuler le niveau macro avec le niveau micro, comme dans l’approche unificatrice, ou d’analyser l’utilité et le degré de satisfaction que les travailleurs obtenaient de leur emploi pour comprendre les déterminants de l’économie dite informelle. Une approche essentielle qui est à la base de notre recherche est l’approche institutionnaliste (D. North, 1990; F. Hayek, 1976; Williamson, 1987, 2000; Platteau, 1999; Thomas, 1973; He Yong, 1994) qui explique l’expansion de l’économie dite informelle par le non-prise en compte des spécificités institutionnelles (constitution, lois et règlements, systèmes de valeurs et croyances, normes sociales…) de chaque pays au cours de l’élaboration des politiques de développement.

L’analyse des approches positives du phénomène de l’économie dite informelle montre toutes les difficultés à comprendre ses causes. D’où la nécessité d’élaborer une théorie générale qui tienne compte, d’une part du contexte et des particularités locales et d’autre part, de la possibilité de dynamisation des micro- entreprises informelles et donc du rôle qu’elles peuvent jouer dans le processus de développement économique des pays en développement. Dans cette partie de notre recherche, nous essayons d’aborder les approches sur l’économie dite informelle, en fonction du niveau d’analyse et des étapes de son expansion pour comprendre ses mécanismes de fonctionnement. Toutes ces approches reflètent à l’origine la même réalité économique sans pouvoir trop anticiper les changements auxquels nous assistons aujourd’hui. Certaines approches, en particulier celles néoclassiques, sont accusées d’avoir donné une explication trop théorique sans beaucoup de vérification empirique bien que certains énoncés décrivent le contexte économique avec plus ou moins d’exactitude. Dans les conditions actuelles, l’économie dite informelle est partie intégrante du processus de développement et la dynamisation des activités informelles peuvent être la clé du succès de la croissance économique pour les pays en développement. Il est en tout cas dans l’intérêt des pouvoirs publics de se pencher davantage sur cette question afin de voir comment éviter leurs effets négatifs qui handicapent le processus de développement dans les pays en développement. Notre objectif est de mettre en évidence la possibilité de dynamisation d’une partie de l’économie dite informelle et de montrer qu’elle peut contribuer au processus de

199 développement des pays en développement, en observant néanmoins certaines règles et conditions qu’il faudra préciser.

Malgré ces effets négatifs tant décriés, l’économie dite informelle s'affirme de plus en plus par sa dimension socio-économique, elle est un moyen de lutte contre la pauvreté, elle est créatrice d'emplois et de revenus, elle contribue à atténuer les effets des crises et des chocs sociaux et permet à une frange importante de la société d'intégrer le tissu économique même si les revenus des travailleurs sont faibles et permettent à peine un minimum de subsistance. Sur le plan macro-économique, elle a une contribution non négligeable sur les principaux agrégats économiques. Cependant, on ne peut pas ne pas reconnaitre certaines conséquences négatives. Ainsi, l'emploi informel échappe à la fiscalité et aux réglementations, ce qui rend difficile la gestion de la protection sociale ; il nuit à la collecte de l’impôt, entraine un rétrécissement des recettes budgétaires de l’Etat, compromet le financement des dépenses socialement utiles (sécurité sociale, éducation…) et se traduit soit par des taux d’imposition élevés pour ceux qui sont dans l’emploi formel, soit par des services publics de médiocre qualité. En outre, elle est perçue comme une économie parasitaire (Lewis, 2004) dans la mesure où elle exerce une concurrence déloyale à l’égard des entreprises de l’économie formelle, victime de son expansion (World Bank, 2005 Belmihoub, 2006) ou comme une économie extra- légale dont le développement révèle la nature excessive et inadaptée de la réglementation publique (De Soto, 1994).

En somme, des politiques spécialement destinées à l’économie dite informelle devraient être pensées et mises en œuvre avec pour objectif non pas de l’étendre davantage sur la base de son potentiel à créer des emplois, mais pour surmonter les obstacles qu’elle rencontre. Les études stratégiques devraient prioritairement porter sur l'identification des causes fondamentales de l'économie dite informelle et des obstacles à la formalisation; ensuite, sur l'élimination de ces obstacles et l'aide à la croissance des entrepreneurs informels afin que leurs activités puissent être plus aisément couvertes par des législations et règlements appropriés.

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CHAPITRE 3. ETUDE EMPIRIQUE DES ACTIVITES

INFORMELLES

Dans un premier chapitre nous avons repositionné l’économie dite informelle dans son contexte socio-économique et culturel africain, à travers une approche empirique, et la présentation des définitions et des problèmes de conceptualisation. Dans un deuxième chapitre nous avons analysé les théories générales de l’économie dite informelle, aussi bien positives que normatives. Ces analyses nous ont permis de comprendre la problématique de l’économie dite informelle. Dans ce chapitre nous tentons de présenter les résultats de notre enquête sur les micro-entreprises informelles manufacturières au Mali.

L'enquête que nous avons menée vise les objectifs suivants:

- Répondre aux questions soulevées dans la partie théorique, vérifier en particulier si les éléments de structuralité dégagés à travers les innombrables études présentées se confirment ou non dans le cas du Mali.

- Mesurer et estimer les paramètres clefs de l'unité informelle malienne, à savoir les niveaux du capital engagé, de l'emploi (nombre d’employés), des salaires et des revenus des micro-entreprises ainsi que les problèmes financiers et réglementaires. Ces paramètres permettront de nous éclairer d'une part sur les modalités de fonctionnement des marchés du travail et des biens informels (profils des patrons et des travailleurs, qualifications, mode de distribution des revenus, aspects commercial…) et d'autre part d'analyser les rapports des micro-entreprises avec l'Etat et le cadre institutionnel. A ce niveau, deux logiques se dégagent : logique plutôt économique capitaliste ou logique plutôt sociale. Dans l’entreprise moderne capitaliste, les rapports et les actions sont réglés par un principe de rationalité économique maximale (dans toute action, on cherche la maximisation du profit). Nous pensons que les rapports et les actions de la micro-entreprise n’ont pas la même rationalité que l’entreprise moderne capitaliste. Nous posons donc l’hypothèse que la micro-entreprise est régie par une logique sociale (solidarité familiale). Dans les micro-micro-entreprises, les liens reposent sur une logique de solidarité familiale et communautaire, exprimée à travers différents comportements au sein de l’entreprise. Ces comportements peuvent paraître comme anti-économiques mais, dans les faits, ils témoignent tout simplement d’une rationalité autre que celle sur laquelle se construit le capitalisme économique.