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INFORMELLE EN AFRIQUE

SECTION 1. THEORIES POSITIVES DE L’ECONOMIE INFORMELLE

1.1.2. Approche fonctionnaliste

Les critiques apportés à l’approche néo-classique ont conduit à l’apparition de l’approche fonctionnaliste qui a ses racines intellectuelles dans la pensée politique marxiste. Le structuralisme marxiste soutient que la force motrice des migrations (rural-urbain) ne se résume pas aux différences salariales entre les régions rurales et urnes comme affirmait l’approche macro-économique néo-classique, mais qu’elle est la réponse naturelle au développement déséquilibré induit par l’ingérence du capitalisme dans les pays en développement. Selon Wallerstein (1974) et Castels (1989), les facteurs qui engendrent les flux migratoires sont de nature socio-historique de grande ampleur, « et non des micro-décisions individuelles ou d’entreprises particulières » (Ambrosetti et Tattolo, 2008). L’approche fonctionnaliste reconnaît l’existence de connexions ainsi que l’interdépendance entre économie formelle et informelle (Moser, 1978 ; Gallissot, 1991) ; mais en termes de fonctionnalité par rapport à l’accumulation capitaliste, il y a surexploitation de l’économie informelle par l’économie formelle (Amin, 1973 ; Portes, Benton et Castelles, 1989).

Pour ce courant de pensée, l’économie informelle est perçue comme une explication logique de la baisse des profits des grandes entreprises capitalistes. L'informel est alors compris comme un remède aux baisses tendancielles des taux de profit des grandes entreprises. En effet, l'existence d'une masse de travailleurs urbains à la recherche d'emploi, la pauvreté accrue et la flexibilité de l'emploi ont permis aux grandes entreprises de recourir à des pratiques de sous-traitance dans leur production à l'aide des micro-entreprises ou à faire appel à un réseau de travailleurs à domicile sans garanties ni couvertures sociales ; et de recruter des travailleurs temporaires dans les périodes d'accroissement de la demande et de les licencier en période de baisse d'activité sans payer de charges sociales. De même, les travailleurs de l’économie dite informelle fournissent des biens et services à des prix inférieurs à ceux de l’économie formelle, ce qui diminue le coût de reproduction de la force de travail et donc des salaires dans l’économie formelle. Par- là même, l’économie dite informelle constitue une modalité de fonctionnement du système capitaliste dans les pays en développement (Odile Castel, 2007).

136 Ces stratégies sont de nature à baisser les coûts des salaires et donc à augmenter les taux de profits des capitalistes. Castelles et Portes (1989) soulignent que les capitalistes privilégiés de l'économie formelle veulent affaiblir les relations d'emploi et tenir la main-d'œuvre de l'économie dite informelle sous leur dépendance, et exercent pour cela une domination sur l'économie dite informelle dans leurs intérêts. Selon cette approche, il est improbable que la croissance élimine les relations informelles de production, car celles-ci sont intrinsèquement associées au développement capitaliste. Ainsi, les entreprises modernes réagissent à la mondialisation en mettant en place des systèmes de production plus flexibles et en sous-traitance, ce qui leur permet de réduire leurs coûts. Ces réseaux de production mondiale engendrent une flexibilité que l’économie dite informelle est seule à pouvoir fournir, selon cette approche (Marc Bacchetta, Ekkehard Ernst et Juana Paola Bustamante, 2012).

Les fonctionnalistes, tout en critiquant le cadre conceptuel des organisations internationales (BM, FMI, OCDE et BIT), tentent de démontrer que l’économie informelle ne peut pas être une alternative au développement, ni une solution au chômage ou une politique de lutte contre la pauvreté. Au contraire, l’importance de l’économie informelle dans une économie est un indicateur de la crise du capitalisme périphérique et un révélateur d'un retard économique et technologique des pays en développement. Les fonctionnalistes soutiennent que les propositions de l’OIT en faveur d’une promotion de l’économie dite informelle sont faites pour renforcer et perpétuer les tendances du sous-développement tout en atténuant les contradictions existantes. L’OIT selon ses critiques crée ainsi une fiction néo-populiste et idéologique selon laquelle l’économie dite informelle serait porteuse de développement. L'économie dite informelle étant par ailleurs une économie de survie, la faiblesse de la production et l'absence de surplus nécessaire pour l'accumulation font que la micro-entreprise ne peut pas être le support d'une industrialisation nationale. Reconnaître l'importance de l'informel, c'est admettre implicitement le retard économique d'un pays et accepter son caractère non capitaliste (mode de production non-capitaliste, traditionnelle et à faible technologie) et son incapacité à progresser. L'appui accordé à cette économie s'explique alors par le problème crucial du chômage face à la stagnation d'une économie qui doit faire face à la division internationale du travail, à l'endettement extérieur et à la dépendance technologique. Tout en récusant la thèse selon laquelle l’économie informelle jouerait un rôle de pression sur le salaire moyen de l’économie formelle, Lopez, Henao et Sierra (1984) dans

137 leur étude sur l’économie dite informelle en Colombie, reconnaissent la dépendance, voire la soumission de certains segments de cette économie (artisanat industriel et petit commerce notamment) au capital commercial. Le recours à l’économie dite informelle se justifie par le fait que la réglementation (sociale et fiscale notamment) n’est pas respectée au sein de cette économie, ce qui permet aux entreprises de l’économie formelle capitaliste de minimiser leurs coûts (notamment salariaux) et de maximiser par conséquent leur rentabilité. Ainsi, bien que non-salariés au plan juridique, les travailleurs de l’économie dite informelle peuvent être considérés comme des quasi-salariés en situation de surexploitation (Odile Castel, 2007). L’approche fonctionnaliste de l’économie dite informelle, rencontrée surtout en Amérique latine, présente cependant certaines limites. Ainsi Hugon (1980) souligne le fait que, si la thèse de la soumission des activités informelles au capital peut se vérifier dans le cas de certaines activités (activités de sous-traitance, services personnels, activités de réparation notamment), elle ne peut s’appliquer aux autres activités de l’économie dite informelle, que l’auteur qualifie de « co-capitalistes » c’est-à-dire celles qui accompagnent le développement de l’économie capitaliste. Il s’agit notamment des services de réparation et d’entretien (de machines, d’outils, de la technologie…), du commerce de détail, des services domestiques, de l’artisanat d’art etc. L’auteur note à ce propos que la très grande hétérogénéité des activités que recouvre l’économie informelle interdit de penser qu’elles soient déterminées par le capital. Il suggère ainsi de nouvelles pistes de recherche en recommandant l’identification des lois spécifiques au fonctionnement et à la reproduction propres à chacune des activités spécifiques. En outre, l’auteur souligne une autre limite de cette thèse, en soutenant que si ces relations de dépendance et de soumission au capital peuvent exister, il n’en demeure pas moins qu’elles sont limitées dans les villes du tiers-monde. Les activités de sous-traitance, par exemple, si elles sont relativement répandues en Asie, sont en revanche peu développées en Afrique (Hugon, 1990).

Quant à Roubaud (1994), il conteste également le bien-fondé de cette thèse en soutenant l’idée de la coexistence (et non de soumission) de l’économie dite informelle- souvent assimilée d’après l’auteur au mode de production non capitaliste ou pré-capitaliste - avec l’économie formelle capitaliste. Selon lui, cette coexistence serait l’une des composantes structurelles des économies des pays en développement. En plus, il relativise l’idée d’un transfert de valeur de l’économie dite informelle vers l’économie formelle en montrant qu’il existe aussi des transferts dans le sens inverse c’est à dire de l’économie formelle vers

138 l’économie dite informelle. Ces transferts de valeur concernent le capital humain et le capital financier. L’épargne nécessaire à l’accumulation primitive dans l’économie dite informelle a souvent pour origine l’économie formelle. Celle-ci joue également un rôle relativement important dans la formation des personnes actives de l’économie dire informelle, notamment les micro-entrepreneurs.

Aux fonctionnalistes, on peut adresser une simple question : comment faire face à la réalité informelle, compte tenu de tout ce que l'on sait sur les échecs des politiques de développement, sur la crise du capitalisme, sur la baisse tendancielle des taux de profits…? 1.1.3. Approche de l’économie sociale

Développée dans les années 1980, l’approche de l’économie sociale, contrairement aux précédentes approches, identifie l’économie dite informelle par la spécificité de ses modes de fonctionnement. Les micro-entrepreneurs portent une double casquette ; ils sont à la fois acteurs du développement économique et acteurs sociaux au sein de la population. (Nyssens, 1994 ; Hugon, 1980 ; in Peemans, 2002). La micro-entreprise sociale avant de se situer dans une approche de type capitaliste, est développée pour répondre aux besoins de ses membres grâce à la génération de revenus et de biens et de services répondant aux demandes de la population (Nyssens, 2004). En effet, l’économie sociale ne se caractérise pas par l’investissement en capital, mais par l’investissement dans la force de travail, qui constitue le principal facteur de production.

Les tenants de cette approche abordent l’économie dite informelle comme une économie sociale axée sur des activités, paysannes, artisanales et marchandes de petite envergure. Elle est perçue comme une économie qui a existé depuis des siècles, et qui ne doit plus être perçue comme le résultat d’une simple marginalisation, amplifiée par la crise de l’économie moderne des années 80-90. Ils citent à l’appui de leur thèse les nombreux réseaux associatifs qui combinent le collectif et l’individuel. Les réseaux associatifs devraient pensent-ils, conférer aux acteurs du petit marché qui correspond aux activités de l’immense majorité de la population, un poids significatif leur permettant de négocier avec les acteurs dominants du grand marché. Pour cette approche, l’économie dite informelle n’abrite pas seulement des activités en rapport ou en concurrence avec l’économie formelle, mais aussi des activités dans des niches, là où l’économie formelle capitaliste n’arrive pas à répondre aux besoins non

139 satisfaits des populations. Dans cette perspective, l’économe dite informelle est reconnue comme sujet actif sur le plan économique par ce qu’elle consolide une économie sociale qui ne peut être réduite à un ensemble de stratégies de survie, mais devient un ensemble de véritables organisations économiques stables, génératrices d’emploi et de revenus (Odile Castel, 2007). Les acteurs de cette économie cherchent à garantir, par l’utilisation de leur propre force de travail et des ressources disponibles, la satisfaction des besoins de base, matériels autant qu’immatériels (Sarria Icaza et al., 2006).

L’analyse doit donc être faite en termes d’invention historique de nouvelles relations sociales ; cette économie étant caractérisée par l’enchevêtrement de rapports de production, de relations parentales, ethniques etc (De Schutter, 1996). Le mérite de cette approche est d’aborder la question de la spécificité de l’économie dite informelle à partir des acteurs qui la composent. En effet, au-delà de leur hétérogénéité, ces activités informelles sont encastrées dans des contextes influençant leurs modes de fonctionnement (Larraech et Nyssens, 1994). Selon les tenants d’une telle approche, le défi du développement est : comment faire en sorte que ces activités économiques sociales deviennent de véritables alternatives socio-économiques et parties prenantes d’un développement intégré de leurs pays (Develtere, 1998) ?