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Chapitre 1 : Problématique

1.3 L’alimentation intuitive chez la population générale

1.3.1 Concepts importants

L’alimentation intuitive est une approche sans restriction qui met l’accent sur le fait de manger pour des raisons physiques (en écoutant ses signaux internes de faim et de satiété) plutôt que de s’alimenter sur la base de règles cognitives (par exemple, « Je ne dois pas manger après 20h le soir »), ou en raison de facteurs environnementaux (par exemple, parce qu’il y a de la nourriture de disponible à ce moment-là ou parce que l’odeur d’aliments donne envie de manger), ou émotionnels (manger par ennui ou par solitude) (Anderson, Reilly, Schaumberg, Dmochowski, & Anderson, 2016; Denny, Loth, Eisenberg, & Neumark- Sztainer, 2013). Elle se base sur dix principes publiés pour la première fois en 1995 par Evelyn Tribole et Elyse Resch. Les principes de l’alimentation intuitive peuvent se résumer en quatre éléments clés soit : manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles,

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écouter ses signaux de faim et de satiété, se donner la permission inconditionnelle de manger, et respecter la congruence corps-aliments (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014; Mathieu, 2009; Tribole, 2010; Tylka & Kroon Van Diest, 2013).

Le fait d’écouter ses signaux de faim et de satiété favorise un travail d’identification et de reconnaissance des sensations physiques de faim comme signal pour débuter l’apport alimentaire et les sensations physiques de satiété comme signal pour l’arrêter (Tribole & Resch, 2012). Cet élément ramène au fait qu’il est important de se fier, et surtout, d’avoir confiance en ses sensations physiques internes pour déterminer la quantité et la nature des aliments consommés, plutôt que de se fier à des règles cognitives imposées par soi. Il est important de noter que les mots satiété et rassasiement sont souvent utilisés de façon interchangeable même s’ils ont deux significations bien différentes. Selon le grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française, le rassasiement est le signal qui indique la fin de la prise alimentaire lorsque l’on mange alors que la satiété consiste plutôt en la suppression de la sensation de faim qui est perçue entre les repas. Dans le jargon usuel, le terme «satiété» est celui qui est le plus utilisé, souvent pour décrire autant la fin du repas que la période entre les repas, sans distinction. Puisque c’est le mot satiété qui est habituellement utilisé lorsqu’il est question d’alimentation intuitive, c’est le terme qui sera privilégié tout au long des prochaines sections.

Manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles est le principe qui encourage

l'individu à reconnaître et réguler ses émotions plutôt que d’utiliser différents comportements alimentaires pour éviter ou ressentir de façon moins intense les affects perçus comme dérangeants (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014; Tribole & Resch, 2012). Les personnes qui mangent pour des raisons physiques s’alimentent dans le but de supprimer le sentiment de faim provoqué par un déficit énergétique (Tylka, 2006) et caractérisé par différents symptômes comme une sensation de vide dans l’estomac, une salivation augmentée, des gargouillements d’estomac, une diminution de l’énergie et de la concentration en plus de pensées persistantes en lien avec la nourriture, même s’il y a absence de celle-ci dans l’environnement. Les personnes qui ne mangent pas pour des raisons émotionnelles arrêtent de manger lorsqu’elles se sentent confortablement pleines et

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rassasiées. À l’opposé, les personnes qui débutent un apport alimentaire en réponse à des émotions agréables ou désagréables, ou d’autres stimuli externes auront tendance à moins se fier à leurs signaux pour leur indiquer quand arrêter de manger (Tribole & Resch, 2012). Le fait de viser à manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles implique également de défaire les associations entre la nourriture et un réconfort émotionnel passager (Anderson et al., 2016).

Se donner la permission inconditionnelle de manger est un autre élément central de

l'approche qui suggère de se permettre à soi-même de manger de façon libre lorsque le signal de la faim est présent, sans se restreindre de certains aliments ou groupes d’aliments (Tylka, 2006). En d’autres mots, ce concept implique qu’il ne faut jamais s’abstenir de manger lorsque la faim est présente, et toujours se donner le droit de choisir l’aliment qui fait envie à ce moment précis. Cette permission inconditionnelle de manger ne se veut pas non plus une suggestion de manger « tout ce qu’on veut quand on veut » puisqu’elle est basée sur l’idée qu’il faut ressentir la faim physiquement pour manger et que la satiété sera le signal qui mettra fin à la prise alimentaire. Tel que mentionné précédemment, il a été démontré à maintes reprises que les mangeurs restreints semblent avoir une tendance plus élevée à la désinhibition (Polivy & Herman, 1993). Ainsi, le fait de se donner la permission inconditionnelle de manger permettrait d’éviter le sentiment de privation conséquent à la restriction. Ce principe de l’alimentation intuitive favoriserait donc une relation plus saine avec la nourriture, car lorsqu’il n’y a pas de règles externes entourant la quantité, le moment ou le type de nourriture ingérée, il s’en suit une préoccupation moindre par rapport à la nourriture (Tylka, 2006).

Tout récemment, un quatrième élément a été identifié comme faisant partie intégrante des composantes principales de l'alimentation intuitive (Tylka & Kroon Van Diest, 2013).

Respecter la congruence corps-aliments en lien avec les choix alimentaires fait référence à

la capacité qu'ont les mangeurs intuitifs d'être conscients de l'effet des aliments sur leur corps, ce qui les inciterait à consommer des aliments qui contribuent au bon fonctionnement de celui-ci et à combler leurs besoins, tout en incluant la saveur comme une composante centrale

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de leurs choix (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014). Cette dernière composante ayant été validée plus récemment, peu d’études dans la littérature l’ont utilisée dans leurs mesures. L’être humain possède la capacité innée de réguler ses apports en énergie de façon optimale en écoutant ses signaux de faim et de satiété (Denny et al., 2013). Cette aptitude à réguler les apports en fonction des signaux physiologiques serait progressivement perdue au fil des années dû à un environnement favorisant une régulation externe de l’alimentation (Tribole & Resch, 2012). Les parents contrôlant l’apport alimentaire de leurs enfants à un très jeune âge pourraient en partie favoriser cette rupture avec les signaux internes (Tylka & Wilcox, 2006), puisqu’une restriction environnementale directe diminue la capacité naturelle à être intuitif (Carper, Orlet Fisher, & Birch, 2000). Plus tard dans la vie, le contexte (heure, moment pour manger), l’aspect cognitif (règles, désir de manger « santé ») et l’aspect émotionnel de l’alimentation viennent également perturber l’identification initialement spontanée des signaux de faim et de satiété. Ainsi, une approche plus intuitive de l’alimentation pourrait potentiellement favoriser un retour aux capacités originelles du corps en encourageant l'individu à ne pas se fier uniquement à ses connaissances par rapport à la composition et aux fonctions des aliments pour faire des choix alimentaires, mais plutôt laisser les goûts, les envies et les signaux internes guider les décisions alimentaires, et ce, sans jugement.

L’une des aptitudes pouvant aider dans la reconnaissance des états internes, un concept central dans l’alimentation intuitive, est la conscience intéroceptive. Celle-ci fait référence à la perception subjective des signaux qui sont originaires du corps (Cadena-Schlam & Lopez- Guimera, 2014). Ces signaux sont principalement la faim, la satiété et les différents états émotionnels. Une conscience intéroceptive augmentée permettrait de manger en fonction des signaux internes de faim et de satiété plutôt qu’en fonction de stimuli externes (Warren, Smith, & Ashwell, 2017). Il a été suggéré que les personnes avec un TCA auraient une capacité perturbée à percevoir les signaux internes du corps. Celles-ci auraient de la difficulté à identifier les différentes sensations reliées à la faim et à la satiété en plus de vivre de l’incertitude et de la confusion dans la reconnaissance des émotions. Ce problème semblerait bidirectionnel, signifiant que les personnes dotées d’une faible conscience intéroceptive seraient plus susceptibles de développer des comportements alimentaires malsains puisqu’ils

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ajustent leurs apports en fonction de facteurs externes à leurs besoins physiologiques (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014). Une faible conscience intéroceptive peut donc être perçue comme un potentiel facteur prédisposant aux TCA. D’un autre côté, puisque les personnes souffrant activement d’un TCA tentent quotidiennement d’ignorer leurs signaux internes, celles-ci finissent par ne plus les ressentir ou ne plus les percevoir normalement, ce qui favorise une baisse de la conscience intéroceptive et constitue donc un facteur de maintien du TCA (Fassino, Pierò, & Abbate-Daga, 2004; Lilenfeld et al., 2000). Il a aussi été suggéré que la restriction excessive et les accès hyperphagiques chroniques pourraient être en cause dans la disparition des sensations de faim et de satiété (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014; Hepworth, 2011; Tribole, 2010), favorisant une conscience intéroceptive abaissée. De plus, une conscience intéroceptive diminuée expliquerait en partie le lien entre les affects négatifs et la suralimentation chez les personnes souffrant de TCA (Ouwens, van Strien, van Leeuwe, & van Der Staak, 2009; Strien, Engels, Leeuwe, & Snoek, 2005) démontrant l’importance de travailler cet aspect (Kristeller, Wolever, & Sheets, 2014).

Il a ainsi été suggéré qu’en augmentant les stratégies permettant une meilleure reconnexion avec l’expérience interne, via par exemple, l’alimentation intuitive, cela pourrait aider ces personnes à mieux identifier les émotions ainsi que les besoins non comblés duquel elles découlent, en plus de permettre de les différencier des sensations associées à la faim et à la satiété (Tylka & Wilcox, 2006).

1.3.2. Conséquences sur la santé physique, psychologique et les comportements

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