• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Problématique

1.4 Alimentation intuitive et TCA

À ce jour, très peu d’études ont étudié l’alimentation intuitive chez les personnes souffrant de TCA ou démontré empiriquement l’efficacité d’une approche intuitive dans le traitement de ceux-ci. Même si cette approche semble présentement utilisée en clinique par des nutritionnistes auprès d’une clientèle présentant des TCA (par exemple, Resch & Tribole aux États-Unis, Cliniques MuUla au Québec, le Loricorps à l’Université du Québec à Trois- Rivières), il y a peu de documentation sur comment elle est appliquée cliniquement et si les résultats sont généralement concluants.

1.4.1 Mesure de l’alimentation intuitive chez les TCA

À notre connaissance, une seule étude transversale a mesuré les niveaux d’alimentation intuitive chez une population avec TCA (van Dyck, Herbert, Happ, Kleveman, & Vogele, 2016), la majorité des études excluant les participants présentant des TCA cliniques ou ne vérifiant tout simplement pas dans leur échantillon la présence ou l’absence de ces psychopathologies. Dans cette étude de validation d’une version allemande du questionnaire

Intuitive Eating Scale-2 (IES-2), les auteurs ont relevé des scores significativement abaissés

pour le total et toutes les sous-échelles du questionnaire IES-2 dans le groupe de 87 femmes avec un TCA comparé au groupe contrôle en santé (n = 835). Des différences pour ce qui est des scores d’alimentation intuitive en fonction du diagnostic ont également été découvertes, les personnes avec un diagnostic d’hyperphagie ayant des scores plus élevés à la sous-échelle

30

Permission inconditionnelle de manger comparativement à celles souffrant de boulimie et

d’anorexie. Les personnes souffrant d’anorexie avaient quant à elles des scores supérieurs à la sous-échelle Manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles comparativement aux personnes présentant une boulimie ou une hyperphagie.

1.4.2 Études d’intervention utilisant l’alimentation intuitive dans le traitement des TCA

Les études d’intervention testant l’alimentation intuitive chez les TCA sont peu nombreuses, et la plupart du temps réalisées avec des échantillons de personnes atteintes d’hyperphagie boulimique (Kristeller et al., 2014; Richards, Crowton, Berrett, Smith, & Passmore, 2017; Smitham, 2011). Smitham (2011) a testé un programme de huit semaines basé sur les dix principes de l’alimentation intuitive (Tribole & Resch, 2012) chez trente femmes et un homme souffrant d’hyperphagie boulimique clinique. À la fin de l’étude, 64,5% des participants ont rapporté une absence de crises dans la dernière semaine et 80,6% ne rencontraient plus les critères diagnostiques pour ce TCA.

Une autre étude, utilisant cette fois-ci un devis randomisé contrôlé avec une approche légèrement différente, soit une intervention basée sur l’apprentissage de techniques de pleine conscience alimentaire a testé un programme de 12 semaines donné via des cours de groupes (Kristeller et al., 2014). Cette étude a été réalisée auprès de 150 individus qui répondaient à la plupart des critères diagnostics de l’hyperphagie boulimique, dont 12% étaient des hommes. La pleine conscience alimentaire, souvent considérée comme complémentaire, voire même utilisée de façon interchangeable comme terme décrivant l’alimentation intuitive (Warren et al., 2017), se rapproche énormément de celle-ci de par le développement de compétences permettant de différencier la faim physique de la faim émotionnelle, le développement d’une meilleure conscience intéroceptive et par le fait même, une meilleure écoute des signaux de faim et satiété . Les résultats de cette étude ont démontré des niveaux abaissés d’épisodes d’accès hyperphagiques, une meilleure capacité à identifier et répondre adéquatement aux signaux de faim et de satiété, une meilleure perception de contrôle en général (pas seulement alimentaire).

31

Finalement, une étude pilote récente réalisée chez 120 femmes admises dans un programme en centre hospitalier a testé l’efficacité d’un programme intégrant l’alimentation intuitive dans leur traitement pour les TCA (Richards et al., 2017). Les chercheurs désiraient vérifier s’il était possible pour des personnes atteintes d’anorexie, de boulimie et de TCA non spécifié d’apprendre à être plus intuitives. Un programme progressif a ainsi été créé, où les patientes devaient d’abord démontrer une certaine stabilité physiologique avant d’entreprendre une démarche pour apprendre à être plus intuitives. Elles recevaient alors de l’éducation sur les dix principes de l’alimentation intuitive, donnée par des nutritionnistes certifiés. À la fin du traitement, pour chacune des catégories diagnostics, des améliorations statistiquement et cliniquement significatives dans la capacité à être intuitif ont été observées, avec de grandes tailles d’effet allant de 1,45 à 1,65. Dépendamment de la catégorie de TCA, les patientes ont progressé à un rythme différent et à des niveaux différents, les personnes avec un TCA non spécifié ayant l’amélioration la plus modérée et les personnes boulimiques l’amélioration la plus importante. Les scores d’alimentation intuitive étaient également associés à plusieurs indicateurs positifs de rétablissement comme une diminution des symptômes de TCA, des préoccupations corporelles, des symptômes psychologiques et un bien-être spirituel augmenté. Une limite citée par les auteurs de l’étude est que le devis ne permettait pas d’établir une relation de cause à effet entre l’apprentissage des principes d’alimentation intuitive et l’amélioration de la condition. Néanmoins, les résultats prometteurs de cette étude permettent de suggérer que le fait de développer des aptitudes intuitives chez les patientes en traitement pourrait jouer un rôle positif dans le rétablissement de celles-ci.

1.4.3. Pertinence d’explorer l’AI chez les TCA

Tel que discuté plus haut, la restriction et la désinhibition sont centrales chez les TCA, certains ayant ces deux comportements simultanément, d’autres plus l’un ou l’autre. L’alimentation intuitive, avec ses quatre composantes, encourage les personnes à ne plus se restreindre en se donnant la permission inconditionnelle de manger lorsqu’il y a présence de faim. D’autre part, elle encourage à manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles et à faire confiance aux signaux internes. Considérant que les émotions et la non-écoute des signaux sont souvent les éléments déclencheurs des accès hyperphagiques,

32

le fait de développer des aptitudes dans l’écoute des signaux de faim et de satiété pourrait être aidant pour prévenir ou éviter les pertes de contrôle et par le fait même, la désinhibition.

Chez les personnes avec un TCA, l’absence du ressenti des signaux via toutes sortes de mécanismes favoriserait en partie le maintien du trouble. Ainsi, il est possible que le développement d’aptitudes intuitives chez ces personnes pourrait permettre une évolution vers des comportements alimentaires plus positifs, et ce, malgré la présence de symptômes, qui pourraient quant à eux être traités en parallèle. Ainsi l’approche intuitive ne remplacerait pas les traitements actuels, mais pourrait possiblement les complémenter. Cependant, présentement, malgré l’essor de l’approche intuitive des dernières années et son important gain en popularité, peu d’études ont mesuré celle-ci chez une population de TCA ou testé la possibilité de l’inclure dans le traitement. Ainsi, une quantité insuffisante de données existent présentement dans la littérature pour permettre de bien évaluer le potentiel de l’approche intuitive et d’établir comment elle pourrait concrètement être utilisée chez cette population. Également, il est important de bien comprendre les différences que l’on retrouve dans les scores d’alimentation intuitive entre les différents types de TCA, car il est possible que cette approche ait avantage à être utilisée différemment en fonction de ceux-ci. Une meilleure compréhension de l’alimentation intuitive chez les TCA, en général, pourrait permettre d’ensuite mieux arrimer cette approche à des traitements existants. Vu le manque de directives spécifiques et concrètes sur le traitement nutritionnel des TCA et considérant le fait que l’alimentation intuitive est une approche relativement bien documentée en ce qui concerne son application (chez une population normale), intervenir avec celle-ci pourrait possiblement être très concevable pour les nutritionnistes. Mais d’abord, il importe de faire un portrait de la situation en mesurant l’alimentation intuitive chez des personnes avec un TCA, d’où le but principal du présent projet.

33

Documents relatifs