• Aucun résultat trouvé

L'alimentation intuitiveh[ressource électronique] : qu'en est-il chez une population recherchant un traitement spécialisé pour un trouble du comportement alimentaire?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'alimentation intuitiveh[ressource électronique] : qu'en est-il chez une population recherchant un traitement spécialisé pour un trouble du comportement alimentaire?"

Copied!
77
0
0

Texte intégral

(1)

i

L’alimentation intuitive : qu’en est-il chez une

population recherchant un traitement spécialisé

pour un trouble du comportement alimentaire ?

Mémoire

Karine Fortin

Maîtrise en nutrition

Maître ès sciences (M. Sc.)

Québec, Canada

© Karine Fortin, 2018

(2)

ii

L’alimentation intuitive : qu’en est-il chez une

population recherchant un traitement spécialisé

pour un trouble du comportement alimentaire ?

Mémoire

Karine Fortin

Sous la direction de :

Véronique Provencher, directrice de recherche

Marie-Pierre Gagnon-Girouard, codirectrice de recherche

(3)

iii

Résumé

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont des troubles mentaux au cœur desquels se retrouve la nutrition. Pourtant, l’éducation initiale des nutritionnistes canadiennes concernant le traitement nutritionnel chez cette population est incomplète pour les traiter adéquatement. Depuis plusieurs années, une approche alimentaire cumule des appuis empiriques solides au sein de la population générale : l’alimentation intuitive. Celle-ci reflète des comportements alimentaires positifs et non seulement une absence de comportements pathologiques. Jusqu’à maintenant, peu d’études ont exploré la pertinence de l’alimentation intuitive chez la population clinique. L’objectif de ce projet est donc de documenter les niveaux d’alimentation intuitive chez des personnes recherchant un traitement pour un TCA dans un programme spécialisé et de les comparer à un échantillon témoin de personnes provenant de la population générale. Un deuxième objectif est de décrire les associations entre l’alimentation intuitive, les symptômes liés aux TCA et les comportements alimentaires. Finalement, ce projet a comme but d’observer les différences en termes de niveaux d’alimentation intuitive selon le type de comportement alimentaire, soit restrictif ou désinhibé. Les résultats obtenus montrent que les participantes avec un TCA présentent une alimentation moins intuitive que les participantes du groupe de comparaison. De plus, les scores aux différentes échelles de l’alimentation intuitive sont inversement associés avec la majorité des symptômes liés aux TCA et comportements alimentaires, à l’exception de la restriction. Finalement, les participantes avec des comportements plus restrictifs ont des scores à l’échelle d’alimentation intuitive plus élevés que les participantes avec des comportements désinhibés. Ces résultats suggèrent que si l’approche intuitive était utilisée dans un contexte de traitement pour un TCA, différents aspects pourraient être priorisés dépendamment du type de comportement (restriction ou désinhibition). Les résultats du mémoire permettent d’alimenter la réflexion concernant l’utilisation d’une approche misant sur l’alimentation intuitive comme complément potentiel aux approches actuelles, particulièrement au niveau du traitement nutritionnel.

(4)

iv

Abstract

Eating disorders (ED) are mental disorders for which nutrition has a very important role to play. Despite this fact, initial training for dietitians is incomplete when it comes to nutritional treatment in this population in Canada. Considering that current treatments can still be improved, it is important to promote clinical research that may help elaborate complementary approaches that could help decrease relapse and increase remission rates. For a number of years, a new approach promoting positive eating behaviors has been cumulating empirical support in the general population: intuitive eating (IE). Importantly, this approach reflects positive eating behaviors, and not only an absence of pathological behaviors. Up to now, few studies have explored intuitive eating among ED individuals. The purpose of this project is to document intuitive eating among treatment-seeking participants with ED and to compare them to a comparison sample from the general population. The second specific objective is to describe the associations between intuitive eating, ED symptoms and eating behaviors. A third objective of this project is to evidence differences in terms of IE according to ED type (restrictive or disinhibited). Results show that participants with ED have lower intuitive eating scores than the control group. Also, IE scores are inversely associated with most ED symptoms and eating behaviors, with the exception of restraint. Participants with restrictive behaviors have higher IE scores than participants with disinhibited behaviors. These results therefore suggest that if an IE approach is to be used in an ED treatment context, different aspects of intuitive eating could be prioritized depending on the predominant type of ED behaviors (restraint or disinhibition). These results allow to further advance the idea that IE could eventually complement current approaches to ED treatment and help dietitians by providing them with concrete behavioral goals to work on with patients.

(5)

v

Tables des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Tables des matières ... v

Liste des tableaux ... vi

Liste des abréviations et des sigles ... vii

Avant-propos ... viii

Introduction générale ... 1

Chapitre 1 : Problématique ... 4

1.1 Les troubles du comportement alimentaire ... 4

1.1.2 Prévalence, diagnostic et complications... 6

1.1.3 Comportements alimentaires : restriction et désinhibition ... 12

1.2 Survol sur le traitement des TCA ... 18

1.2.1 Interdisciplinarité ... 18

1.2.2 Approche nutritionnelle... 19

1.3 L’alimentation intuitive chez la population générale ... 21

1.3.1 Concepts importants ... 21

1.3.2. Conséquences sur la santé physique, psychologique et les comportements alimentaires ... 25

1.3.2 Le mouvement Health at Every Size ... 27

1.4 Alimentation intuitive et TCA ... 29

1.4.1 Mesure de l’alimentation intuitive chez les TCA... 29

1.4.2 Études d’intervention utilisant l’alimentation intuitive dans le traitement des TCA ... 30

1.4.3. Pertinence d’explorer l’AI chez les TCA ... 31

Chapitre 2 : Objectifs et hypothèses ... 33

Chapitre 3 : L’alimentation intuitive chez les individus avec un trouble du comportement alimentaire ... 34 Résumé ... 35 Abstract ... 36 Keywords ... 37 Introduction ... 38 Methods ... 39 Results ... 41 Discussion ... 42 References ... 46 Tables ... 48 Conclusion générale ... 51 Bibliographie générale ... 58

(6)

vi

Liste des tableaux

Tableau 1 : Critères diagnostiques des principaux troubles du comportement

(7)

vii

Liste des abréviations et des sigles

AI: Alimentation intuitive

DSM-V : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth edition. EDNOS: Eating Disorder Not Otherwise Specified

HAES: Health At Every Size IES-2 : Intuitive Eating Scale-2

(8)

viii

Avant-propos

Au cégep, je n’avais aucune idée de ce que j’avais envie de faire comme travail. Inscrite au programme de Sciences humaines et un peu perdue, il n’y avait pas grand-chose qui m’intéressait. Le cours qui a le plus stimulé ma curiosité est un cours à option en nutrition. Dès la fin de ce cours, je savais que je voulais étudier ce domaine si fascinant. Je me suis finalement inscrite à l’automne 2011. Ce programme allait alors me passionner tout au long de ces trois années et demie de découvertes, de plaisir, parfois de frustration, mais surtout, d’acquisition d’une très grande quantité de connaissances qui allaient me préparer à devenir nutritionniste.

Une fois mon baccalauréat terminé, et suite à une pause d’une année pour travailler, j’ai eu une opportunité avec le LoriCorps, un laboratoire de recherche sur les troubles du comportement alimentaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui me permettait de faire une maîtrise à l’Université Laval tout en amassant des données au sein d’un futur programme d’intervention, le PI-Loricorps. De surcroît, j’allais pouvoir y travailler comme nutritionniste. Un beau défi qui me stimulait énormément ! C’est donc avec joie, curiosité et confiance que j’ai embarqué dans ce gros projet qui allait alors occuper les deux prochaines années de ma vie.

Ayant fait des stages cliniques en troubles du comportement alimentaire avec la nutritionniste Audrey Brassard lors de mon BAC, je savais que ce sujet était parfait pour moi. Également, depuis le début de mon travail en tant que nutritionniste, je m’étais rendu compte que l’approche intuitive était celle à laquelle j’adhérais le plus. Étant jumelée à une directrice ayant beaucoup étudié les comportements alimentaires, et une codirectrice psychologue très intéressée par les préoccupations à l’égard du poids de même qu’à l’alimentation intuitive, nous avions le trio parfait pour débuter un projet comme celui-ci.

La réalisation de ce projet n’aurait pas été possible sans le support continu de ma codirectrice, Marie-Pierre Gagnon-Girouard qui a très bien chapeauté mon projet lors du congé de maternité de ma directrice, Véronique Provencher. J’ai également eu beaucoup de plaisir à travailler avec Marie-Pierre à la clinique du PI-Loricorps, son savoir et son expérience professionnelle m’ayant grandement aidée à progresser, tant en ce qui concerne la recherche,

(9)

ix

que la pratique clinique. Son écoute et ses conseils judicieux m’ont permis de devenir la professionnelle que je suis aujourd’hui, et m’ont grandement aidée à développer certaines aptitudes scientifiques que je ne me connaissais pas.

Merci au Loricorps de m’avoir permis d’amasser et d’utiliser des données au sein de son programme d’intervention. Un gros merci également aux coauteurs de l’article pour leur contribution présente et future qui permettra la publication : Marie-Pierre Gagnon-Girouard, Ph.D., psychologue et professeure au département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières; Élise Carbonneau, étudiante au doctorat en nutrition à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF); Isabelle Thibault, Ph. D, psychoéducatrice et professeure adjointe à l’Université de Sherbrooke; Johana Monthuy-Blanc, Ph.D. et directrice du Loricorps et Véronique Provencher, Ph.D. nutritionniste, chercheure à l’INAF et professeure à l’École de nutrition de l’Université Laval. L’article inclus dans ce mémoire, duquel je suis la première auteure, sera soumis prochainement à la revue International

Journal of Eating Disorders.

Un projet comme celui-ci aurait également été beaucoup plus difficile et bien moins agréable à réaliser sans les conseils et l’aide de toute l’équipe Provencher : les lab-meetings où j’ai pu me pratiquer, discuter et profiter de vos conseils m’ont été d’une aide précieuse. Je suis contente d’avoir pu compter d’abord sur ma directrice Véronique Provencher, et ensuite sur Mélissa Fernandez qui me gardait toujours au courant de ce qui se passait à l’INAF malgré le fait que j’étais peu présente. Merci au reste de l’équipe également pour toutes vos réponses à mes questions et votre écoute lors de mes présentations : Julie Fortier, Jeanne Loignon, Mylène Turcotte, Sonia Pomerleau et Raphaëlle Jacob.

(10)

1

Introduction générale

Bien manger est devenu une préoccupation majeure chez une grande partie de la population nord-américaine (Rozin & Gohar, 2011). Malheureusement, celle-ci finit par se perdre dans toute la cacophonie alimentaire entourant la nutrition, créant confusion et incertitude en ce qui concerne les choix alimentaires à réaliser pour maintenir ou rétablir la santé (International Food Information Council Foundation, 2017). Le lien entre l’alimentation et la santé physique (Schwingshackl & Hoffmann, 2015), voire même psychologique (Meegan, Perry, & Phillips, 2017), est cependant indéniable. C’est pourquoi différentes approches et outils sont utilisés par les nutritionnistes et autres professionnels de la santé pour aider les individus à adopter de saines habitudes en ce qui concerne leur alimentation. Que ce soit à l’aide du Guide alimentaire canadien, de plans alimentaires avec équivalents, de l’assiette santé ou la méthode d’équivalents PAS (Produits amidonnés, sucres ajoutés), etc., les approches sont abondantes (Mathieu, 2009; Santé-Canada, 2007). La majorité de ces approches ont pour objectif d’aider les individus à faire de meilleurs choix alimentaires en se basant sur la transmission de connaissances concernant la valeur nutritive des aliments, leurs propriétés et leurs effets sur la santé, des explications sur la balance énergétique et comment maintenir un poids stable ou perdre du poids lorsque nécessaire.

Néanmoins, le fait d’axer l’information sur la valeur nutritive des aliments et sur le poids santé plutôt que sur le plaisir de manger peut se révéler contre-productif pour certaines personnes. Une proportion importante de la population adhère à une panoplie de régimes amaigrissants ou tente tout simplement de contrôler son poids (Venn, Mongeau, Strecko & al, 2008) espérant atteindre l’idéal de minceur prôné par la société actuelle. Les régimes incluent le fait de restreindre volontairement, parfois de façon extrême, la quantité de calories ingérées ou de manger seulement les aliments considérés comme « bons » par la personne. Les diètes amaigrissantes encouragent la restriction alimentaire et renforcent la croyance que certains aliments sont « mauvais ». Ces pratiques peuvent être risquées ; le danger étant tout d’abord de perdre le plaisir associé à l’acte de manger, et par la suite de tomber dans un cycle restriction et surconsommation, mettant la personne à risque de progresser vers un trouble du comportement alimentaire (Bryant, Kiezerbrink, King, & Blundell, 2010).

(11)

2

À cet égard, le DSM-5 publié en 2013 par l’Association Américaine de Psychiatrie reconnait trois types de trouble du comportement alimentaire (TCA) cliniques soit (a) l’anorexie mentale ; (b) la boulimie et (c) l’hyperphagie boulimique, ayant comme prévalence respective 1%, 2% et 3% (APA, 2013). Puisque l’évolution des personnes souffrant de TCA est souvent problématique, avec des taux de rechute de l’ordre de 25 à 63% (Carter, Blackmore, Sutandar-Pinnock, & Woodside, 2004; Carter et al., 2012; McFarlane, Olmsted, & Trottier, 2008; Olmsted, MacDonald, McFarlane, Trottier, & Colton, 2015) et une chronicisation du trouble dans 20 à 40 % des cas, il apparaît important d’envisager des options ou des approches novatrices en ce qui concerne le traitement. Puisque les différents traitements des TCA abordent des sujets tels la restriction et la désinhibition, le poids et la relation avec la nourriture, il y a lieu de croire qu’une approche nutritionnelle qui encourage à diminuer la restriction, à retrouver le plaisir de manger et à faire la paix avec son corps serait pertinente pour favoriser le rétablissement.

Une approche nutritionnelle en particulier, axant plutôt sur l’adoption de comportements alimentaires sains et une image corporelle positive plutôt que sur la valeur nutritive des aliments et le poids santé, a de plus en plus d’appuis empiriques : l’alimentation intuitive (Tribole & Resch, 1995). Le fait de manger de façon intuitive pourrait servir de base pour restructurer les pensées négatives en lien avec le corps, le poids, les émotions et la nourriture et trouver de meilleurs mécanismes d’adaptation (Albers, 2011), ce qui est nécessaire dans un contexte de TCA. L’alimentation intuitive auprès d’une population aux prises avec des TCA cliniques a cependant été peu étudiée. Puisque dans la population générale, les mangeurs intuitifs consomment une bonne variété d'aliments, sont plus optimistes et ont une meilleure acceptation de leur corps (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014; Tribole, 2010), l’alimentation intuitive apparait comme une approche thérapeutique potentielle. Les personnes plus intuitives ont aussi une meilleure estime d'elles-mêmes et ressentent moins de pression à se conformer à l'idéal de minceur. Avant de pouvoir considérer l’alimentation intuitive comme possible avenue d’intervention, il importe de combler des lacunes dans la littérature en ce qui concerne la caractérisation des individus recherchant un traitement pour un TCA et leur niveau d’alimentation intuitive, et ce, chez tous types de TCA.

(12)

3

C’est dans ce contexte que le présent mémoire vise à explorer l’alimentation intuitive et ses différentes composantes en lien avec les symptômes liés aux TCA et les comportements alimentaires (restriction, désinhibition) pour ainsi contribuer à la littérature actuelle sur le sujet. De ce fait, il permet de jeter les premières bases afin qu’il soit éventuellement possible d’évaluer le potentiel de traitement d’une telle approche. Le présent document se divise en trois chapitres, le premier étant un survol de la littérature concernant les TCA et l’alimentation intuitive. Le second chapitre présente les objectifs et hypothèses de ce mémoire et le troisième, un article scientifique décrivant l’étude réalisée dans le cadre de ce projet. Le mémoire se termine par les conclusions générales résumant les principaux résultats du projet, certaines implications pratiques et cliniques ainsi que des suggestions pour approfondir davantage le sujet dans de futures recherches concernant l’alimentation intuitive chez des personnes atteintes de TCA.

(13)

4

Chapitre 1 : Problématique

1.1 Les troubles du comportement alimentaire

Cette première section aborde les TCA en plusieurs points : le contexte, la prévalence, les critères diagnostiques et les symptômes et conséquences des différents troubles.

1.1.1 Mise en contexte

Selon des données récentes provenant de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2015, la prévalence d’obésité chez les adultes canadiens se situerait à 26,7% alors qu’elle était plutôt de 23,1% en 2004. Cette augmentation progressive des taux d’obésité depuis de nombreuses années entre en contradiction avec une société idéalisant la minceur. Ainsi, un grand nombre d’individus se retrouvent insatisfaits de leur silhouette, désirant la changer pour correspondre au modèle de beauté valorisé. Selon un sondage réalisé en ligne par Ipsos Reid en 2008 pour le compte des Producteurs laitiers du Canada, sur les 2943 femmes interviewées, 8 femmes sur 10, tout poids confondu, souhaitaient perdre du poids. Dans ce même échantillon, 30% des femmes ayant ce désir étaient classées dans la catégorie sous-poids. D’autre part, dans une enquête récente réalisée sur la perception du poids chez les adultes québécois, chez les femmes dont le poids est considéré comme insuffisant selon les catégories d’IMC, 68% d’entre elles considèreraient leur poids comme normal (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2017). Cela est ainsi un bon exemple de la valorisation de la minceur extrême qui est perçue comme étant la norme. Les hommes ne font pas exception : même s’ils sont moins nombreux que les femmes à être insatisfaits de leur poids, une étude réalisée par SOM pour le compte du groupe ÉquiLibre en 2012 a démontré qu’un homme sur cinq ressent une certaine insatisfaction en ce qui concerne son poids corporel. Dans le même ordre d’idées, 44% des hommes ont révélé souhaiter modifier d’une quelconque façon leur poids dans un futur rapproché.

Chez les plus jeunes, le problème semble d’autant plus préoccupant. Selon l’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire de 2010-2011, bien que 69% de l’échantillon de 63 196 jeunes soit de poids normal, une vaste majorité (71%) effectue des actions

(14)

5

quelconques par rapport à leur poids, que ce soit tenter de le contrôler (34%), d’en perdre (25%) ou d’en gagner (12%). Il a été estimé qu’environ 50% d’entre eux semblent insatisfaits de leur apparence. Ainsi, 41% des jeunes filles désiraient être plus minces alors que 24% des garçons désiraient augmenter leur musculature. Ces statistiques démontrent l’ampleur des préoccupations liées au poids et à l’image corporelle et ce, peu importe l’âge et le sexe. L’insatisfaction corporelle peut rapidement mener à une préoccupation excessive à l’égard du poids. Celle-ci se définit comme étant «excessive» lorsque, en présence de surplus de poids ou non, les préoccupations sont si importantes que cela porte atteinte à la santé physique ou mentale des individus (Schaefer & Mongeau, 2000). Une préoccupation excessive à l’égard du poids peut avoir des impacts sur plusieurs sphères de la vie. Par exemple, il peut en résulter une perte de motivation à pratiquer de l’activité physique ou favoriser une pratique non sécuritaire de celle-ci (Fermino, Pezzini, & Reis, 2010; Putterman & Linden, 2004). Concernant l’aspect social, de l’isolement et des relations interpersonnelles plus difficiles (gêne, dégoût, honte) peuvent se manifester. Les personnes avec une préoccupation excessive à l’égard du poids ont également plus de chances de souffrir de dépression, d’une faible estime de soi, et ont tendance à vivre plus de stress (Sarwer, Thompson, & Cash, 2005). Dans une analyse secondaire des données représentatives de la population adulte américaine du Behavioral Risk Factor Surveillance System (BRFSS) de 2003, chez les participants ayant répondu à la question «Quel poids aimeriez-vous peser?», un échantillon de 170 577 adultes a été conservé pour examiner les différences entre le poids actuel et le poids souhaité (Muennig, Jia, Lee, & Lubetkin, 2008). Les auteurs ont conclu qu’un pourcentage élevé de perte de poids souhaité serait un meilleur prédicteur d’une moins bonne santé physique et mentale que l’IMC.

Au plan alimentaire, les préoccupations excessives à l’égard du poids peuvent favoriser des comportements nuisibles à une saine relation avec la nourriture. Le fait de suivre de multiples régimes, de jeûner, de sauter des repas, de calculer les calories ou de contrôler de façon persistante et récurrente la qualité des aliments et les portions mangées sont tous des comportements visant à contrôler ou diminuer le poids qui peuvent jouer un rôle crucial dans le développement d’un TCA. La restriction (ou le fait d’être au régime) est une caractéristique

(15)

6

commune à plusieurs TCA et pourrait être l’élément déclencheur dans une grande partie des cas (Sodersten, Bergh, Leon, Brodin, & Zandian, 2017). Une étude chez des adolescentes de poids normal a démontré qu’une fréquence augmentée de régimes était associée à un nombre plus élevé de symptômes de TCA et une plus grande sévérité des comportements alimentaires problématiques et à l’insatisfaction corporelle (Ackard, Crollb, & Kearney-Cooke, 2002). Somme toute, les préoccupations excessives à l’égard du poids s’actualisent dans des comportements alimentaires plus ou moins à risque. Ces comportements varient du simple fait de « faire attention » à des actions ayant plus de conséquences comme les comportements compensatoires (p.ex., vomissements, laxatifs, exercice excessif), le jeûne prolongé, la consommation de produits naturels pas toujours sécuritaires et bien d’autres. Les conséquences physiques autant que psychologiques de la restriction et du contrôle alimentaire excessif perdurent sur le long terme, et ont un impact considérable sur la relation entretenue avec la nourriture et le corps, mettant plus à risque de progresser vers des TCA cliniques.

1.1.2 Prévalence, diagnostic et complications

Les TCA sont des troubles très complexes et résultent souvent de vulnérabilités biologiques qui dans un contexte social non optimal pourraient mener au développement et au maintien de la maladie. C’est pour cela que le modèle le plus couramment utilisé pour expliquer le développement des TCA est le modèle biopsychosocial (Engel, 1977), qui tient compte des facteurs de risque biologiques, psychologiques et socioculturels. Il est important de comprendre que des individus avec les mêmes facteurs de risque ne développeront pas nécessairement tous une problématique (Steiger, 2004).

La section suivante, divisée selon chaque type de TCA, présente la prévalence, les critères diagnostiques et les multiples complications reliées à chacune de ces psychopathologies. 1.1.2.1 Anorexie

L’anorexie mentale toucherait environ 1% des femmes occidentales (APA, 2013). C’est la troisième maladie chronique la plus importante en termes de prévalence chez les adolescentes (Herrin & Larkin, 2013). Malgré le fait que moins de 1% de la littérature contemporaine

(16)

7

étudie les TCA chez le genre masculin (Murray, Griffiths, & Mond, 2016), un sondage réalisé aux États-Unis par le US National Comorbidity Replication Survey a constaté qu’environ un cas sur quatre d’anorexie et de boulimie était des hommes (Hudson, Hiripi, Pope, & Kessler, 2007). Cette statistique est cependant plus élevée que ce qui a été retrouvé dans d’autres études populationnelles antérieures où des taux de 15% des cas pour l’anorexie (Garfinkel et al., 1996) et 8-10% pour la boulimie (Bushnell, Wells, Hornblow, Oakley-Browne, & Joyce, 1990; Garfinkel et al., 1995) étaient des hommes.

L’anorexie mentale est caractérisée par une image corporelle perturbée associée à une quête obsessive de la minceur, une peur intense de prendre du poids, un déni de la gravité de la maigreur et un contrôle de l’alimentation, résultant en une restriction alimentaire sévère et persévérante (voir Tableau 1). La restriction alimentaire persistante et prolongée favoriserait l’exacerbation des caractéristiques propres à cette maladie (APA, 2013; Black & Andreasen, 2010; D. M. Garner, 2004). Il existe deux types d’anorexie : restrictive seulement ou restrictive avec crises de boulimie et purges.

Tableau 1 : Résumé des critères diagnostiques des principaux troubles du comportement alimentaire.

X = Critère diagnostique + = Présent

+/- = Possiblement présent

Anorexie Boulimie Hyperphagie Restriction énergétique menant à un

poids insuffisant.

X +/-

Peur de prendre du poids. X +

Influence excessive du poids sur

l’estime de soi. X X +

Crises de boulimie récurrentes. +/- X X

Comportements compensatoires. +/- X

Anorexie mentale exclue. X X

Boulimie exclue. X

Comportements provoquent une souffrance marquée

(17)

8

L’anorexie mentale peut entrainer plusieurs conséquences notables sur la santé. En ce qui a trait aux conséquences médicales, un apport calorique largement insuffisant a comme impact possible une réduction de la masse musculaire du cœur pouvant aller jusqu’à 20% (Herrin & Larkin, 2013). Une baisse de la pression artérielle peut s’en suivre, augmentant ainsi les chances de souffrir d’insuffisance cardiaque. Des dérèglements endocriniens peuvent également survenir lors d’une anorexie tels que l’aménorrhée, la sensibilité au froid, un rythme cardiaque et une libido abaissée, entre autres (Mehler & Andersen, 2010). La santé osseuse est également grandement affectée par cette maladie : l’ostéoporose est ainsi une conséquence fréquente, particulièrement dans les cas où une aménorrhée est présente (Miller, 2011). L’absence de règles ne correspond cependant plus à un critère diagnostique (APA, 2013). Une conséquence physique pouvant avoir un impact sur le plan cognitif concerne la diminution du tissu cérébral secondaire aux faibles apports alimentaires et aux hauts niveaux de cortisol retrouvés chez les personnes anorexiques (Lawson & Klibanski, 2008; Thibault, 2015). Deux méta-analyses ont démontré une diminution de celui-ci, autant dans la matière grise que dans la matière blanche (Seitz et al., 2014; Titova, Hjorth, Schiöth, & Brooks, 2013). D’un point de vue clinique, l’importance de cette découverte concerne l’association entre la diminution de la masse cérébrale et la distorsion de l’image corporelle, qui ne se rétablirait pas avec une reprise du poids (Sachdev, Mondraty, Wen, & Gulliford, 2008). D’autres conséquences possibles sont une déficience en protéines, une perte de cheveux notable, un changement dans la couleur de la peau (hypercaroténémie), une vidange et une motilité gastrique ralentie ou réduite et une diminution du métabolisme (Herrin & Larkin, 2013).

En plus des conséquences de l’anorexie sur le plan biologique, la dénutrition prolongée chez les personnes atteintes a des impacts considérables sur leur fonctionnement psychologique et leurs comportements. L’anxiété et la dépression sont fréquemment co-morbides à l’anorexie (Klump, Bulik, Kaye, Treasure, & Tyson, 2009). Des changements de personnalité reliés à la dénutrition chronique peuvent également être observés et nuire au traitement (Abbate-Daga, Amianto, Delsedime, De-Bacco, & Fassino, 2013). D’autre part, 20 à 40% des causes de mortalité documentées chez les anorexiques sont attribuables au suicide (Sébastien

(18)

9

Guillaume et al., 2011). D’autres comportements autodestructeurs tels l’automutilation et l’abus de substances sont également prévalents chez cette population.

Finalement, en ce qui a trait aux conséquences sociales de l’anorexie, il a été documenté que l’habileté à prendre des décisions est grandement affectée par la maladie (Guillaume et al., 2015) et que la cognition sociale (c.-à-d. comment l’environnement social est perçu par la personne et comment cette information est utilisée subséquemment pour interagir avec les autres) semble également altérée (Zucker et al., 2007), nuisant ainsi de façon importante aux relations interpersonnelles. Un retrait des situations sociales et un focus intense sur la performance, que ce soit au travail ou à l’école, sont fréquents (Herrin & Larkin, 2013). 1.1.2.2 Boulimie

Selon une étude populationnelle réalisée aux États-Unis entre 2001 et 2003, la prévalence à vie de boulimie nerveuse se situerait à environ 1,5% chez les femmes et 0,5% chez les hommes (Hudson et al., 2007).

La boulimie nerveuse se caractérise par des périodes de consommation excessive de nourriture, appelées crises de boulimie. Les crises se définissent selon deux critères : (1) une grande quantité de nourriture est consommée dans un temps limité (p.ex. en moins de deux heures) et cette quantité est supérieure à ce que la majorité des gens mangeraient dans des circonstances similaires, et (2) la personne vit un grand sentiment de perte de contrôle pendant la crise, se sentant ainsi incapable de s’arrêter ou même de choisir ce qu’elle mange (APA, 2013). La personne souffrant de boulimie a tendance à utiliser des comportements compensatoires dans le but d’annuler la prise de poids potentielle secondaire aux crises, soit en faisant de l’exercice physique de façon intense, en provoquant des vomissements, en consommant des laxatifs ou diurétiques ou en pratiquant le jeûne, entre autres (APA, 2013).

Les complications physiques de la boulimie peuvent être nombreuses. À prime abord, il est important de noter que malgré les crises de boulimie récurrentes, ces personnes maintiennent souvent un poids dans les limites de la normale, tel que déterminé par l’IMC, ce qui peut parfois rendre leur détection plus ardue. La majorité des complications reliées à cette maladie

(19)

10

est due à l’utilisation récurrente de méthodes compensatoires. D’importants problèmes buccaux et dentaires peuvent survenir après plusieurs mois de vomissements provoqués réguliers (Mehler, 2011), en plus du gonflement apparent des glandes salivaires et parotides dans 50% des cas (Mehler & Andersen, 2010), donnant parfois une impression de «joues d’écureuil». Une des conséquences les plus graves de cette méthode compensatoire est la rupture de l’œsophage, une complication rare, mais potentiellement mortelle (Mehler, 2011). Des désordres dans les niveaux d’électrolytes, en plus de nombreux problèmes gastro-intestinaux peuvent également survenir avec une utilisation abusive de vomissements, laxatifs ou purgatifs comme moyens de compenser les apports alimentaires.

L’estime personnelle des personnes qui présentent une boulimie est grandement affectée par les pertes de contrôle lors des crises. Un grand sentiment d’échec est vécu chez ces individus, de par leur incapacité de se restreindre pleinement tel que désiré, provoquant beaucoup de honte et de souffrance, et par le fait même une diminution de l’estime de soi. Les personnes qui souffrent de boulimie nerveuse ont parfois tendance à naviguer entre un isolement social important et un grand besoin d’être accepté par les autres (Herrin & Larkin, 2013).

1.1.2.3 Hyperphagie boulimique

En 1959, Stunkard décrivait pour la première fois l’hyperphagie boulimique chez des personnes en surpoids. Malgré cela, cette psychopathologie n’a pas été reconnue dans le DSM-V comme un TCA distinct avant la parution de la dernière version du manuel en 2013. L’hyperphagie boulimique aurait une prévalence à vie de 3,5% chez les femmes et 2% chez les hommes (Hudson et al., 2007).

Ce TCA se caractérise par des crises de boulimie (ou accès hyperphagiques), mais cette fois-ci, à la différence de la boulimie, qui ne sont pas suivies par des comportements compensatoires inappropriés (APA, 2013). Les crises de boulimie doivent être accompagnées d’au moins trois des cinq manifestations suivantes : manger à une vitesse beaucoup plus rapide que la normale; manger au point d’être inconfortablement plein (distension abdominale); manger de grandes quantités de nourriture même en l’absence de faim; éviter de manger devant les autres par honte des quantités consommées; se sentir dégoûté de soi ou

(20)

11

vivre une grande culpabilité après avoir mangé. Les diagnostics d’anorexie mentale et de boulimie nerveuse doivent être exclus avant de pouvoir poser un diagnostic d’hyperphagie boulimique.

De multiples complications physiques peuvent survenir chez les personnes avec hyperphagie boulimique. Tout d’abord, celles-ci vivent beaucoup de symptômes et conséquences d’un point de vue digestif (ballonnements, constipation, etc.), souvent liés aux crises de boulimie. Ensuite, contrairement aux personnes atteintes de boulimie nerveuse, les personnes hyperphagiques auront généralement un poids bien au-dessus des normales attendues, en raison des crises récurrentes et l’absence de comportements compensatoires (Herrin & Larkin, 2013). La prise de poids associée aux accès alimentaires peut entrainer un désir de restriction, qui contrairement aux deux autres TCA, n’est pas au premier plan lors des premières manifestations des symptômes du trouble (Manwaring et al., 2006). Les pertes de contrôle viendraient donc souvent en premier lieu et le désir de perdre du poids ou d’empêcher la prise de poids viendrait par la suite. La restriction serait alors vue comme une solution à la prise de poids, malgré son inefficacité sur le long terme. L’hyperphagie boulimique suit aussi parfois un épisode de boulimie lorsque les personnes abandonnent les comportements compensatoires pour diverses raisons.

Médicalement parlant, les conséquences de l’hyperphagie se rapprochent de celles vécues chez les personnes en surpoids ou en obésité, telles qu’un risque plus élevé de développer du diabète, de l’hypertension ou de l’hypercholestérolémie, certains désordres du sommeil tel l’apnée du sommeil et de diverses douleurs chroniques (Mitchell, 2016; Olguin et al., 2017). Il semblerait également que les personnes souffrant d’hyperphagie aient plus de chances de développer un syndrome métabolique, et ce, au-delà du risque associé à l’obésité seulement (Hudson et al., 2010).

Les crises de boulimie et l’important surpoids ont des conséquences notables sur l’estime de soi et la valeur personnelle des personnes atteintes. Ces personnes, tout comme dans l’anorexie et la boulimie, sont très préoccupées par leur apparence physique et ressentent beaucoup de dégoût et de mépris face à leurs corps et leur poids (Wilfley, Schwartz, Spurrell,

(21)

12

& Fairburn, 2000). Ainsi, les femmes en surpoids avec une hyperphagie auraient une plus faible estime d’elles-mêmes comparativement aux femmes en surpoids sans cette psychopathologie. Par ailleurs, c’est le seul TCA où la détresse marquée est incluse dans les critères diagnostiques, démontrant l’ampleur de la culpabilité et de la honte ressentie face aux pertes de contrôle et aux comportements (APA, 2013). Les femmes souffrant d’hyperphagie présenteraient des taux plus élevés de dépression majeure, de trouble panique, de certaines phobies et de dépendance à l’alcool (Bulik, Sullivan, & Kendler, 2002).

Quant à l’impact social de cette maladie, une étude récente réalisée chez des adultes américains rencontrant les critères pour l’hyperphagie boulimique du DSM-V a mis en lumière un fonctionnement altéré en ce qui concerne la productivité au travail et le fonctionnement quotidien (Pawaskar, Witt, Supina, Herman, & Wadden, 2017). Le domaine le plus affecté lors de la présence d’hyperphagie était la vie sociale. Les auteurs ont même mentionné que les résultats des participants étaient similaires en ce qui concerne l’impact fonctionnel à celui de personnes souffrant de dépression majeure, d’un trouble d’anxiété généralisée ou d’un trouble de stress post-traumatique.

1.1.3 Comportements alimentaires : restriction et désinhibition

Si la restriction et la désinhibition sont les deux symptômes centraux des TCA, on en retrouve également des formes plus modérées dans la population en général. Ces comportements problématiques peuvent favoriser une évolution vers des TCA cliniques si leur fréquence et leur intensité sont très importantes. Les études présentées dans la prochaine section portent sur la restriction et la désinhibition telles qu’observées dans une population sans TCA clinique et traitent donc de ces comportements dans leur globalité plutôt que spécifiquement comme des symptômes de TCA. Puisque ces comportements sont centraux dans les TCA, il importe de bien les comprendre et d’utiliser des approches thérapeutiques visant à les diminuer et les remplacer par des comportements alimentaires plus adaptatifs (Tylka & Wilcox, 2006).

Tout d’abord, la restriction comporte deux facettes, soit la restriction physique et la restriction cognitive (Markowitz, Butryn & Lowe, 2008). La restriction physique, également appelée

(22)

13

restriction calorique, est le fait de consommer moins de calories que ce qui est nécessaire aux besoins de son corps. Lorsque cette restriction est volontaire, elle a généralement comme objectif principal une perte de poids. Elle peut cependant également être involontaire, comme par exemple, lors de périodes de stress important ou lorsqu’il y a présence de certaines maladies. Lorsque la restriction est volontaire, celle-ci a le potentiel d’entraîner des conséquences psychologiques importantes. Une des premières études sur la restriction alimentaire sévère et prolongée et les conséquences psychologiques pouvant y être associées a été réalisée à la fin des années 40 (Keys, Brožek, Henschel, Mickelsen, & Taylor, 1950). Elle visait à faire perdre environ 25% de leur poids à des hommes ayant une santé physique et mentale optimale, observer les changements et par la suite, déterminer quelle serait la meilleure méthode de réalimentation. Le seul fait de diminuer de moitié les apports énergétiques de ces militaires en pleine forme pendant six mois a provoqué d’importants changements dans leur état de santé, avec le développement d’importants symptômes associés aux TCA (Keys et al., 1950). Ces hommes n’avaient initialement aucune préoccupation par rapport à l’alimentation et au poids. Cependant, au fur et à mesure que les effets de la restriction commencèrent à se faire sentir, une obsession importante face aux aliments finit par se développer, et plusieurs comportements alimentaires très inhabituels (rituels, dilution des aliments avec de l’eau, lenteur exagérée aux repas, etc.) firent leur apparition. Certains hommes développèrent même une perception erronée face à leur silhouette, ne se trouvant pas particulièrement en sous-poids malgré leur maigreur évidente à la fin de la phase de restriction sévère de l’étude (Keys et al., 1950). Ainsi, bien que cette étude soit réalisée chez une population largement différentes de celle des personnes qui souffrent de TCA, les résultats suggèrent que la restriction calorique pourrait avoir le potentiel d’engendrer des changements psychologiques qui peuvent mener à des symptômes de TCA, et ce, malgré l’absence d’une problématique alimentaire au préalable.

Un autre type de restriction est la restriction cognitive qui peut être définie comme l’effort conscient pour contrôler les apports et le comportement alimentaire afin de diminuer le poids corporel ou éviter de l’augmenter (Herman & Polivy, 1975). Cet effort ne résulte pas toujours en une réelle restriction calorique. Ainsi, une personne en restriction cognitive s’impose des règles rigides concernant son alimentation, basées sur des croyances par rapport aux types

(23)

14

d’aliments (bon ou mauvais) qu’elle doit consommer et la quantité permise (Markowitz et al., 2008). Dans un contexte de restriction cognitive, le plaisir et la satisfaction sensorielle font place aux décisions intellectuelles, le choix des aliments devenant ainsi dépendant des propriétés nutritionnelles de ceux-ci (Le Barzic, 2001).

Ce contrôle cognitif de l’alimentation, à prime abord d’apparence inoffensive, a le potentiel d’entraîner des effets indésirables chez les personnes restreintes, comme par exemple, un important sentiment de privation et d’importantes préoccupations par rapport à la nourriture (Polivy & Herman, 1993). Le mangeur serait dans un état psychologique de privation perçue non pas parce qu’il mange réellement moins que ses besoins (reflété par un déficit énergétique), mais parce qu’il mange moins que ce qu’il voudrait ou pas les aliments qu’il souhaiterait (Lowe & Levine, 2005; Polivy, Coleman, & Herman, 2005). Une étude a vérifié si la privation perçue et les préoccupations alimentaires étaient une conséquence directe d’une restriction calorique. Celle-ci a été réalisée chez des femmes avec accès alimentaires sans purges et des femmes sans accès alimentaires, mais au régime. Les chercheurs ont découvert que les apports énergétiques et les apports en lipides n’étaient pas reliés à la privation perçue, apportant ainsi un certain soutien scientifique à la théorie que le sentiment de privation perçu peut se manifester même sans déficit calorique réel. Ainsi, l’évitement de certains types d’aliments ne se reflète pas toujours par une réelle diminution des quantités mangées (Lowe & Levine, 2005) et pourrait même au contraire, favoriser une augmentation des apports alimentaires via une plus grande vulnérabilité à la surconsommation alimentaire en présence de stimuli externes comme le stress et l’ennui (Bryant, King, & Blundell, 2008).

La privation perçue en combinaison ou non avec une restriction calorique peut donc mener à une certaine vulnérabilité à la désinhibition. La désinhibition reflète une tendance à la suralimentation lorsqu’il y a présence d’aliments avec une forte palatabilité ou en présence d’autres stimuli tels le stress ou la solitude (Stunkard & Messick, 1988). Les personnes en restriction qui s’imposent des limites et règles alimentaires (Herman & Polivy 1984) peuvent vivre un phénomène que ces auteurs ont appelé la contre-régulation alimentaire. Celle-ci implique que l’individu mange plus après avoir mangé quelque chose qu’il s’interdit alors qu’il devrait logiquement manger moins selon les signaux de faim et satiété dans une telle

(24)

15

situation. C’est donc le contraire de la régulation alimentaire. Ce phénomène a été observé dans certaines études classiques datant de plusieurs années (Herman & Mack, 1975; Polivy, 1976; Spencer & Fremouw 1979) ainsi que dans d’autres études plus récentes (Ling Yum Sin & Vartanian, 2012; Mills & Palandra, 2008).

Notamment, cet effet a été démontré pour la première fois par Herman et Mack (1975) dans un essai clinique randomisé. Les chercheurs avaient comme hypothèse que les personnes en restriction cognitive allaient être celles qui allaient manger le plus, une fois que les règles et interdits qu’elles s’étaient imposés allaient être transgressés. D’abord, les 45 étudiantes américaines, restreintes ou non, étaient assignées à l’un des trois groupes : le groupe contrôle sans lait frappé, le premier groupe expérimental qui devait consommer un lait frappé ou le deuxième groupe expérimental qui devait consommer deux laits frappés. Ensuite, après avoir consommé ou non les laits frappés, les étudiantes avaient comme tâche de faire un test de goût pour trois saveurs de crème glacée. Une fois la tâche accomplie, elles pouvaient manger de la crème glacée tant qu’elles le désiraient. Les résultats ont démontré que les étudiantes qui ont bu un lait frappé en plus d’être en restriction cognitive élevée ont mangé beaucoup plus de crème glacée comparativement au groupe témoin. À l’inverse, les femmes avec une faible restriction cognitive ont plutôt eu tendance à se fier à leurs signaux de faim et satiété, en ajustant ainsi leur consommation de crème glacée selon la quantité de lait frappé ingérée. Donc, cette étude permet de corroborer la théorie de la contre-régulation expliquée plus haut : puisque le lait frappé ne faisait pas partie des aliments permis pour les participantes en restriction cognitive, elles ont eu une réaction de contre-régulation en se désinhibant et en consommant plus de crème glacée que les autres participantes.

Dans le même ordre d’idées, mais de façon plus récente, après avoir révisé la littérature sur le sujet de la contre-régulation, des auteurs ont fait une étude très similaire à celle d’Herman et Mack tout en tentant de pallier à certaines des lacunes de ces études (Mills & Palandra, 2008). Leur objectif était de tester si la quantité de calories consommées perçue modère la désinhibition chez les mangeurs restreints. Les participants étaient assignés aléatoirement à l’une des trois conditions expérimentales : deux conditions de «précharge» (preload) où un lait frappé de 16 oz à la vanille devait être consommé et noté. Pour le premier groupe, le lait

(25)

16

frappé était décrit comme hautement calorique et pour l’autre comme faible en calories. Le troisième groupe (contrôle) ne buvait pas de lait frappé, mais devait plutôt compléter un mot croisé. Ensuite, les trois groupes recevaient des biscuits qu’ils devaient également noter, pour ensuite en consommer à volonté selon leurs désirs. La quantité de biscuits ingérée était pesée à l’insu des participants lorsqu’ils avaient terminé. Les principaux résultats ont révélé que dans les conditions avec laits frappés, qu’ils soient décrits comme élevés ou faibles en calories, ceux-ci ont provoqué de la désinhibition alimentaire chez les participants en restriction, sans aucune différence en termes de quantité entre les deux groupes. Ainsi, peu importe la quantité de calories dans l’aliment «interdit» consommé initialement, puisque les règles de la diète ont été brisées, il peut y avoir désinhibition. L’étude a cependant plusieurs limites dont le faible nombre de participants et des résultats qui ne sont peut-être pas applicables dans un contexte hors laboratoire.

En plus de tous les effets mentionnés précédemment, la restriction peut également avoir comme conséquence, un phénomène de rages alimentaires (c.-à-d. envies intenses de manger ou cravings) : en tentant d’éviter et de ne plus penser aux aliments qu’ils s’interdissent, l’effet contraire à ce qui est anticipé par les mangeurs restreints peut se produire. Plutôt que de ne plus y penser, ils peuvent devenir très préoccupés par les aliments et le fait de manger en général (K. Hart & Chiovari, 1998). Des chercheurs ont effectué une étude chez 103 femmes pour observer les associations entre la privation, les rages et comportements alimentaires chez les mangeuses restreintes et non restreintes. Ils ont émis comme hypothèse que les participantes en restriction et privées de chocolat auraient de fortes envies d’en manger et auraient davantage de risque d’adopter des comportements de désinhibition (Polivy et al., 2005). Comparé à deux groupes contrôle, le groupe des mangeuses en restriction et privées de chocolat a ressenti plus d’envies intenses de manger et a mangé plus de chocolat que les autres. La restriction calorique n’est pas ultimement nécessaire pour qu’apparaissent les rages alimentaires, mais il semblerait que certains aliments spécifiques qui ne font pas partie de l’alimentation régulière génèrent un plus grand sentiment de privation et seraient mangés en plus grandes quantités (Polivy et al., 2005), tels les aliments interdits souvent présents chez les personnes au régime ou avec un TCA, clinique ou non.

(26)

17

Tel que mentionné précédemment, dans le modèle explicatif de la désinhibition, il a été suggéré que celle-ci est une conséquence de la restriction. Cependant, certaines études ont soulevé la possibilité que cette théorie ne s’applique pas à tous et tout particulièrement aux personnes qui répondent aux critères diagnostiques d’hyperphagie boulimique (Abbott et al., 1998). Dans une étude réalisée chez 106 femmes en surpoids et à la recherche d’un traitement, 38,7% des personnes avec une alimentation désinhibée et 46,5% de celles correspondant aux critères d’hyperphagie boulimique ont rapporté de la désinhibition et des crises alimentaires avant qu’elles soient au régime et donc, qu’elles aient été en restriction (Abbott et al., 1998). Il a été démontré que les personnes atteintes de boulimie ont tendance à exercer une grande restriction alimentaire entre les épisodes de crises alimentaires (Downe, Goldfein, & Devlin, 2009) alors que chez les personnes hyperphagiques cela ne semblerait pas être toujours le cas (Marcus, Smith, Santelli, & Kaye, 1992; Wilfley et al., 2000). Ainsi, il est important de noter qu’il peut y avoir présence de désinhibition en l’absence d’une restriction initiale (Bryant et al., 2008).

Craighead (2006) suggère que la désinhibition et les pertes de contrôle surviennent lorsque la personne ne répond pas adéquatement à ses signaux de faim et satiété. Une ignorance et un évitement chronique des signaux via la restriction ou la suralimentation favoriseraient une déconnexion avec les signaux régulant l’appétit. Ainsi, d’une part, l’absence de perception normale de la faim peut mener à une faim vorace et intense puisque l’individu ne la ressent pas avant ce stade, résultant possiblement en de la désinhibition et donc des apports alimentaires excessifs. D’autre part, le fait de ne pas percevoir la satiété peut amener un comportement tout ou rien où la personne arrête de manger seulement lorsqu’elle n’est plus capable physiquement de le faire, menant possiblement de nouveau à un apport alimentaire plus important. Ainsi, on peut constater qu’un problème central de la désinhibition est probablement la non-reconnaissance des signaux corporels (Hill, Craighead, & Safer, 2011).

(27)

18

1.2 Survol sur le traitement des TCA

1.2.1 Interdisciplinarité

Les TCA étant des maladies complexes où les individus présentent de multiples problèmes à différents niveaux (Tholking & al., 2011), et considérant leur développement dans un contexte biopsychosocial, une équipe de traitement multidisciplinaire regroupant généralement un volet médical, psychologique et nutritionnel est fortement indiquée. Le médecin est généralement responsable du diagnostic de TCA et des autres comorbidités psychiatriques, mais le traitement s’avère plus optimal lorsque délivré par une équipe de plusieurs professionnels de la santé (Cockfield & Philpot, 2009). Ainsi, une collaboration étroite dans l’élaboration et l’application du plan de traitement entre le volet médical, psychologique et nutritionnel donnerait les meilleurs résultats, de même que l’inclusion dans la thérapie d’autres personnes clés telles que les membres de la famille, professeurs, entraineurs, leaders spirituels, etc.

Différents niveaux d’intensité de soins sont possibles pour traiter les personnes aux prises avec un TCA (Kaplan, Olmsted, Carter & Woodside, 2001). Certains organismes communautaires peuvent offrir des services pour les cas plus légers. Un suivi en externe avec un professionnel de la santé, comme un(e) psychologue ou un(e) nutritionniste, est également possible. En fonction de la sévérité des symptômes et des comorbidités présentes, le risque d’apparition de complications médicales augmente. Ainsi, un suivi de plus grande envergure est nécessaire, avec une plus grande variété de professionnels qui coordonnent leurs interventions. Le traitement est donc plus efficace et répond à l’ensemble des besoins physiques, psychologiques et sociaux de la personne (Thibault et al., 2017). Cette façon de faire est généralement présente dans les suivis interdisciplinaires (c.-à-d. plusieurs professionnels qui travaillent ensemble vers des objectifs communs) avec une équipe médicale complète, en centre hospitalier, programme de jour ou un autre centre pouvant offrir ces services.

(28)

19

1.2.2 Approche nutritionnelle

Les nutritionnistes peuvent se retrouver à tous les niveaux d’intensité de soin. En plus d’être souvent les premiers à reconnaître un potentiel TCA chez la personne qui consulte pour toutes sortes de raisons (Ozier et al., 2011), au sein d’une équipe de traitement multidisciplinaire ou interdisciplinaire, la présence des nutritionnistes est considérée comme essentielle (Mittnacht & Bulik, 2015; Ozier et al., 2011; Reiter & Graves, 2010). Il est d’ailleurs recommandé qu’un sous-poids sévère, généralement présent dans l’anorexie nerveuse, soit traité avant d’amorcer une psychothérapie (Ebeling et al., 2009). Une plus grande prise de poids a été observée chez des patients qui commençaient la psychothérapie seulement une fois la malnutrition sévère améliorée (Danziger, Carel, Tyano, & Mimouni, 1989). Les nutritionnistes sont donc tout indiqués pour aider à la prise de poids et à la réalimentation du patient, tout en l’aidant à développer une saine relation avec la nourriture (Mittnacht & Bulik, 2015).

Pour aider les nutritionnistes en ce qui concerne le traitement des TCA, un document sur la prise en charge nutritionnelle des différentes conditions de santé mentale incluant une section sur les TCA a été publié par les Diététistes du Canada (Davison & al. 2012). Cet article décrit les différents TCA et donne quelques pistes sur l’intervention nutritionnelle en parlant, par exemple, des objectifs à atteindre et en suggérant des sujets qui devraient être abordés avec les patients. Aucune stratégie concrète n’est expliquée en détail dans ce document. Aux États-Unis, des standards de pratiques spécifiques sont disponibles pour favoriser les meilleures pratiques en TCA (Ozier et al., 2011). Ce document a été créé par l’American Dietetic

Association (ADA) pour les nutritionnistes certifiés aux États-Unis comme un moyen

d’améliorer et de développer des compétences suffisantes et supérieures dans le domaine des TCA, en plus de permettre un traitement sécuritaire et efficace (Tholking et al., 2011). Bien que ces standards de pratique permettent de connaître les compétences à développer, autant au niveau de l’évaluation que de l’intervention nutritionnelle, ils n’incluent pas de stratégies concrètes à utiliser lors de l’intervention nutritionnelle et ne suggèrent pas de façon de les appliquer, rendant donc le document difficile à mettre en pratique. Des directives spécifiques sur la façon de développer les compétences suggérées et les stratégies et outils à préconiser

(29)

20

dans la pratique clinique de tous les jours manquent toujours dans la littérature (Hart, Russell, & Abraham, 2011).

Par ailleurs, les lignes directrices sont souvent basées sur très peu de données probantes, car un nombre limité d’interventions nutritionnelles ont réellement été testées dans des essais cliniques randomisés (en comparant par exemple, à la thérapie cognitivo-comportementale). Une revue de la littérature sur le traitement des TCA a rapporté que l’approche nutritionnelle à prioriser est un sujet qui est rarement étudié en profondeur dans les études (Bulik, Berkman, Brownley, Sedway & Lohr, 2007). Tel que suggéré par Hart & al. (2011), la création d’un traitement nutritionnel manualisé pourrait aider à faire avancer la recherche dans ce domaine et par le fait même, évaluer son efficacité. Présentement, la formation initiale des nutritionnistes au Canada est insuffisante pour développer les aptitudes nécessaires pour traiter en profondeur les personnes qui présentent un TCA (Mittnacht & Bulik, 2015). Ces professionnels auraient plus tendance à apprendre à traiter cette population via des moyens d’apprentissages informels, et sont d’ailleurs peu satisfaits des opportunités d’apprentissage dans le domaine de la thérapie des TCA avec un angle nutritionnel au Canada (Cairns & Milne, 2006). Cependant, bien que les directives pour traiter sur le plan nutritionnel soient actuellement peu concrètes, insuffisamment soutenues par la littérature et que les intervenants manquent de formation, un travail remarquable est fait cliniquement par les nutritionnistes des équipes pour rétablir la santé des patients.

Les objectifs généraux du traitement nutritionnel pour les TCA sont la prise ou la stabilisation du poids, le retour à une alimentation équilibrée et normale et le développement d’habiletés à manger de façon naturelle dans toutes sortes de situations sociales (Ebeling et al., 2009; Waterhous & Jacob, 2014). Pour permettre la réalimentation et outiller la personne dans sa démarche, ce qui est présentement proposé comme moyen d’intervention est le développement d’un plan alimentaire basé sur l’augmentation graduelle de l’apport en ca1ories. Cependant, aucun modèle de plan alimentaire basé sur des données probantes n’existe présentement dans la littérature pour le traitement nutritionnel des TCA (Mittnacht & Bulik, 2015). L’auto-observation des comportements à l’aide de journaux alimentaires fait également partie intégrante du traitement nutritionnel (Garner, Vitousek, & Pike, 1997;

(30)

21

Herrin & Larkin, 2013). Ainsi, l’intervention nutritionnelle permet d’explorer et de comprendre la relation qu’entretient l’individu avec la nourriture, en plus de le soutenir dans l’adoption de nouveaux comportements alimentaires favorisant le rétablissement et la santé (Davison & al., 2012).

Somme toute, considérant que les données probantes sur le traitement spécifique des TCA au niveau nutritionnel sont limitées, que les traitements présentement utilisés sont associés à de hauts taux de rechute et des taux de rémission relativement faibles sur le long terme (Bergh et al., 2013) et considérant qu’aucune des approches psychologiques présentement utilisées en clinique n’est efficace pour tous (Thibault et al., 2017), il importe de se questionner si d’autres approches qui misent sur le changement des habitudes de vie et des comportements alimentaires chez la population normale pourraient être adaptées pour être appliquées chez une population clinique. Les programmes de traitement et les approches actuelles se concentrent principalement sur l’amélioration des symptômes et la diminution des comportements alimentaires «maladaptés» plutôt que de façonner et renforcer les comportements alimentaires positifs et adaptatifs (Tylka & Wilcox, 2006). Ainsi, il pourrait être intéressant de parfaire les options de traitement actuelles en s’inspirant ou en intégrant d’autres approches novatrices, comme par exemple, l’alimentation intuitive.

1.3 L’alimentation intuitive chez la population générale

1.3.1 Concepts importants

L’alimentation intuitive est une approche sans restriction qui met l’accent sur le fait de manger pour des raisons physiques (en écoutant ses signaux internes de faim et de satiété) plutôt que de s’alimenter sur la base de règles cognitives (par exemple, « Je ne dois pas manger après 20h le soir »), ou en raison de facteurs environnementaux (par exemple, parce qu’il y a de la nourriture de disponible à ce moment-là ou parce que l’odeur d’aliments donne envie de manger), ou émotionnels (manger par ennui ou par solitude) (Anderson, Reilly, Schaumberg, Dmochowski, & Anderson, 2016; Denny, Loth, Eisenberg, & Neumark-Sztainer, 2013). Elle se base sur dix principes publiés pour la première fois en 1995 par Evelyn Tribole et Elyse Resch. Les principes de l’alimentation intuitive peuvent se résumer en quatre éléments clés soit : manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles,

(31)

22

écouter ses signaux de faim et de satiété, se donner la permission inconditionnelle de manger, et respecter la congruence corps-aliments (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014; Mathieu, 2009; Tribole, 2010; Tylka & Kroon Van Diest, 2013).

Le fait d’écouter ses signaux de faim et de satiété favorise un travail d’identification et de reconnaissance des sensations physiques de faim comme signal pour débuter l’apport alimentaire et les sensations physiques de satiété comme signal pour l’arrêter (Tribole & Resch, 2012). Cet élément ramène au fait qu’il est important de se fier, et surtout, d’avoir confiance en ses sensations physiques internes pour déterminer la quantité et la nature des aliments consommés, plutôt que de se fier à des règles cognitives imposées par soi. Il est important de noter que les mots satiété et rassasiement sont souvent utilisés de façon interchangeable même s’ils ont deux significations bien différentes. Selon le grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française, le rassasiement est le signal qui indique la fin de la prise alimentaire lorsque l’on mange alors que la satiété consiste plutôt en la suppression de la sensation de faim qui est perçue entre les repas. Dans le jargon usuel, le terme «satiété» est celui qui est le plus utilisé, souvent pour décrire autant la fin du repas que la période entre les repas, sans distinction. Puisque c’est le mot satiété qui est habituellement utilisé lorsqu’il est question d’alimentation intuitive, c’est le terme qui sera privilégié tout au long des prochaines sections.

Manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles est le principe qui encourage

l'individu à reconnaître et réguler ses émotions plutôt que d’utiliser différents comportements alimentaires pour éviter ou ressentir de façon moins intense les affects perçus comme dérangeants (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014; Tribole & Resch, 2012). Les personnes qui mangent pour des raisons physiques s’alimentent dans le but de supprimer le sentiment de faim provoqué par un déficit énergétique (Tylka, 2006) et caractérisé par différents symptômes comme une sensation de vide dans l’estomac, une salivation augmentée, des gargouillements d’estomac, une diminution de l’énergie et de la concentration en plus de pensées persistantes en lien avec la nourriture, même s’il y a absence de celle-ci dans l’environnement. Les personnes qui ne mangent pas pour des raisons émotionnelles arrêtent de manger lorsqu’elles se sentent confortablement pleines et

(32)

23

rassasiées. À l’opposé, les personnes qui débutent un apport alimentaire en réponse à des émotions agréables ou désagréables, ou d’autres stimuli externes auront tendance à moins se fier à leurs signaux pour leur indiquer quand arrêter de manger (Tribole & Resch, 2012). Le fait de viser à manger pour des raisons physiques plutôt qu’émotionnelles implique également de défaire les associations entre la nourriture et un réconfort émotionnel passager (Anderson et al., 2016).

Se donner la permission inconditionnelle de manger est un autre élément central de

l'approche qui suggère de se permettre à soi-même de manger de façon libre lorsque le signal de la faim est présent, sans se restreindre de certains aliments ou groupes d’aliments (Tylka, 2006). En d’autres mots, ce concept implique qu’il ne faut jamais s’abstenir de manger lorsque la faim est présente, et toujours se donner le droit de choisir l’aliment qui fait envie à ce moment précis. Cette permission inconditionnelle de manger ne se veut pas non plus une suggestion de manger « tout ce qu’on veut quand on veut » puisqu’elle est basée sur l’idée qu’il faut ressentir la faim physiquement pour manger et que la satiété sera le signal qui mettra fin à la prise alimentaire. Tel que mentionné précédemment, il a été démontré à maintes reprises que les mangeurs restreints semblent avoir une tendance plus élevée à la désinhibition (Polivy & Herman, 1993). Ainsi, le fait de se donner la permission inconditionnelle de manger permettrait d’éviter le sentiment de privation conséquent à la restriction. Ce principe de l’alimentation intuitive favoriserait donc une relation plus saine avec la nourriture, car lorsqu’il n’y a pas de règles externes entourant la quantité, le moment ou le type de nourriture ingérée, il s’en suit une préoccupation moindre par rapport à la nourriture (Tylka, 2006).

Tout récemment, un quatrième élément a été identifié comme faisant partie intégrante des composantes principales de l'alimentation intuitive (Tylka & Kroon Van Diest, 2013).

Respecter la congruence corps-aliments en lien avec les choix alimentaires fait référence à

la capacité qu'ont les mangeurs intuitifs d'être conscients de l'effet des aliments sur leur corps, ce qui les inciterait à consommer des aliments qui contribuent au bon fonctionnement de celui-ci et à combler leurs besoins, tout en incluant la saveur comme une composante centrale

(33)

24

de leurs choix (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014). Cette dernière composante ayant été validée plus récemment, peu d’études dans la littérature l’ont utilisée dans leurs mesures. L’être humain possède la capacité innée de réguler ses apports en énergie de façon optimale en écoutant ses signaux de faim et de satiété (Denny et al., 2013). Cette aptitude à réguler les apports en fonction des signaux physiologiques serait progressivement perdue au fil des années dû à un environnement favorisant une régulation externe de l’alimentation (Tribole & Resch, 2012). Les parents contrôlant l’apport alimentaire de leurs enfants à un très jeune âge pourraient en partie favoriser cette rupture avec les signaux internes (Tylka & Wilcox, 2006), puisqu’une restriction environnementale directe diminue la capacité naturelle à être intuitif (Carper, Orlet Fisher, & Birch, 2000). Plus tard dans la vie, le contexte (heure, moment pour manger), l’aspect cognitif (règles, désir de manger « santé ») et l’aspect émotionnel de l’alimentation viennent également perturber l’identification initialement spontanée des signaux de faim et de satiété. Ainsi, une approche plus intuitive de l’alimentation pourrait potentiellement favoriser un retour aux capacités originelles du corps en encourageant l'individu à ne pas se fier uniquement à ses connaissances par rapport à la composition et aux fonctions des aliments pour faire des choix alimentaires, mais plutôt laisser les goûts, les envies et les signaux internes guider les décisions alimentaires, et ce, sans jugement.

L’une des aptitudes pouvant aider dans la reconnaissance des états internes, un concept central dans l’alimentation intuitive, est la conscience intéroceptive. Celle-ci fait référence à la perception subjective des signaux qui sont originaires du corps (Cadena-Schlam & Lopez-Guimera, 2014). Ces signaux sont principalement la faim, la satiété et les différents états émotionnels. Une conscience intéroceptive augmentée permettrait de manger en fonction des signaux internes de faim et de satiété plutôt qu’en fonction de stimuli externes (Warren, Smith, & Ashwell, 2017). Il a été suggéré que les personnes avec un TCA auraient une capacité perturbée à percevoir les signaux internes du corps. Celles-ci auraient de la difficulté à identifier les différentes sensations reliées à la faim et à la satiété en plus de vivre de l’incertitude et de la confusion dans la reconnaissance des émotions. Ce problème semblerait bidirectionnel, signifiant que les personnes dotées d’une faible conscience intéroceptive seraient plus susceptibles de développer des comportements alimentaires malsains puisqu’ils

Références

Documents relatifs

Un modèle linéaire mixte (lme package sur R) a été utilisé pour évaluer les effets de la stratégie alimentaire (AP vs AC), du rang de portée (Primipares vs Multipares) et de

[r]

marge brute – remise – prix d’achat net – prix de vente hors taxe – coût d’achat prix de vente toute taxe comprise – prix d’achat net – frais d’achat – prix

Les réactifs sont les ions Ag + et le cuivre métallique car les courbes correspondantes ont un coefficient directeur négatif.. Les produits sont le métal Ag et les ions Cu 2+ car

Un régulateur est dit à action proportionnelle (P) lorsque la valeur de sa tension de sortie est proportionnelle à l’erreur détectée .Quand l’erreur a été corrigée,

Dans ce réseau, il y a trois possibilités de câbles d’un seul tenant (backbones) avec chaque fois un seul branchement en T :. FGJI : branchement en G vers les autres nœuds du

3- Ne cessant d’améliorer notre commande, nous avons constaté qu’un phénomène d’oscillation de l’eau autour d’un niveau provoque de nombreux démarrage et arrêt

On décompose le volume du liquide en rotation en couronnes cylindriques de rayon r, d’épaisseur dr et de hauteur z(r). Exprimer le volume dV d’une telle couronne. En supposant que