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Introduction de la première partie

I NNOVATION SOCIALE ET DEVELOPPEMENT TERRITORIAL DURABLE :CADRE CONCEPTUEL ET HYPOTHESES DE LA

1. Innovation sociale : Spécificités, approches et dimensions

1.2 Innovation sociale : deux lectures théoriques

1.2.2 Une conception axée sur le processus

La seconde famille d’approches porte davantage sur la nature collective du processus de l’innovation sociale. Elle a été globalement élaborée en Europe et au Québec (Guyon et Besançon, 2013). Dans cette perspective, deux approches peuvent être distinguées : L’approche de l’entreprise sociale, conceptualisée par les chercheurs du réseau EMES en Europe et l’approche institutionnaliste, mise au point entre autres par le CRISES au Québec.

− Approche de l’entreprise sociale

L’entreprise sociale présente deux séries de critères relatifs à la dimension économique de l’initiative d’une part, et à la dimension sociale d’autre part. Les indicateurs relevant de la dimension économique sont au nombre de quatre (Defourny, 2004) :

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− Une activité continue de production de bien et/ou de service ; − Une part importante d’autonomie (autonomie de gestion) ; − Un degré significatif de prise de risque économique ; − Une part minimum d’emploi rémunéré.

Toujours selon Defourny (2004), les indicateurs liés à la dimension sociale sont les suivants : − Une finalité claire de service à la communauté ;

− Une initiative provenant d’un groupe de citoyens ;

− Une décision non basé uniquement sur la détention du capital ;

− Une dynamique participative, impliquant différentes parties concernées par l’activité ; − Une restriction en termes de distribution des bénéfices.

La composante sociale renvoie donc à la façon dont l’action est mise en œuvre, comme un processus ascendant, basé sur des pratiques démocratiques, qui répond à une finalité sociale (Guyon et Besançon, 2013). Par ailleurs, la non lucrativité, définie comme une redistribution limitée afin d’éviter un comportement de maximisation du profit (Defourny, 2004), demeure une dimension essentielle de la définition. Cette logique entrepreneuriale est davantage marquée par une double dimension collective et démocratique, absente dans le modèle anglo-saxonne, plus individualiste et philanthropique (Guyon et Besançon, 2013).

− Approche institutionnaliste

Comme le font remarquer Guyon et Besançon (2013), l’approche institutionnaliste, quant à elle, a d’abord été mise au point par les chercheurs du CRISES9. Elle a ensuite été introduite en France par des chercheurs de l’IFRESI10, avant d’être finalisée dans de nombreux travaux en lien avec l’économie sociale et solidaire. Elle s’accorde avec l’approche de l’entreprise sociale présentée précédemment, en mettant en avant la dimension collective du processus de l’innovation sociale.

Dans cette optique, l’innovation sociale est définie comme:

« une nouvelle idée, approche ou intervention, un nouveau service, un nouveau

produit ou une nouvelle loi, un nouveau type d’organisation qui répond plus adéquatement et plus durablement que les solutions existantes à un besoin social

9Centre de Recherche sur les Innovations Sociale.

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bien défini, une solution qui a trouvé preneur au sein d’une institution, d’une organisation ou d’une communauté et qui produit un bénéfice mesurable pour la collectivité et non seulement pour certains individus. La portée d’une innovation sociale est transformatrice et systémique. Elle constitue, dans sa créativité inhérente, une rupture avec l’existant » (RQIS11 cité par Dancause, 2014, p : 3).

Comme l’écrivent Besancon et Chochoy (2013), cette définition met en avant, la nouveauté et la finalité (la résolution d’un problème social) de l’innovation sociale, d’une part. D’autre part, elle souligne la volonté de transformation sociale, l’aspiration au changement, et pouvant être à la base de l’action mise en œuvre par les acteurs sociaux, présentant conséquemment un aspect politique plus évident que dans les conceptions précédentes. Il convient à ce niveau de distinguer la transformation sociale du changement social. En effet, le changement social se produit dans la continuité, tandis que la transformation sociale désigne une mutation marquant la discontinuité (Lévesque, 2007).

Par ailleurs, cette conception porte sur le processus collectif ascendant (bottom-up) se formant à partir de l’inclusion des différents acteurs à la réponse au problème commun, produisant ainsi l’environnement d’«système d’innovation localisé, au sens d’organisation de coopérations

entre acteurs sur un territoire donné» (Richez-Battesti et al., 2012).

Un autre élément sur lequel l’approche institutionnaliste et les autres approches de l’innovation sociale semblent se distinguer est la nature novatrice de la solution. Le terme de nouveauté est dépassé ici par celle de changement. En effet, plusieurs travaux se référant à l’approche institutionnaliste conçoivent le changement comme une «discontinuité par rapport aux

pratiques habituellement mises en œuvre dans un milieu donné» (Cloutier, 2003, p : 8). Le

changement n’implique pas forcément la nouveauté. En effet, l’innovation sociale «tire son

caractère novateur de la rupture avec les pratiques existantes dans un contexte donné (il peut s’agir de pratiques existant ailleurs). Il s’agit, comme chez Chambon, David et Devevey (1982), d’une solution hors normes compte tenu du problème en question» (Cloutier, 2003, p : 8).

Par ailleurs, la notion de finalité est remplacée par celle de processus. Plutôt que d’apprécier l’innovation sociale au regard des besoins auxquels elle répond, il s’agit de la caractériser en fonction de la manière dont cette réponse a été définie et construite par l’ensemble des acteurs concernés, pour la qualifier de socialement innovante (Guyon et Besançon, 2013).

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Force est de constater que la finalité de l’innovation, telle qu’elle a été conceptualisée dans la littérature économique, est d’améliorer la compétitivité afin de faire face à la concurrence par les prix ; d’où l’importance pour toute organisation (entreprise ou territoire) d’être innovant. L’innovation sociale abordée dans la première conception s’inscrit dans la continuité de ces développements, qu’elle soit vue comme le moyen d’augmenter la performance d’une entreprise, d’améliorer l’attractivité d’un territoire, de limiter les externalités négatives ou d’assurer la durabilité du développement économique (Ibid.).

La finalité de l’innovation qui émane de la seconde conception (notamment l’approche institutionnaliste) se distingue de la précédente (sans y être néanmoins opposée). En effet, Elle met l’accent sur la portée transformatrice de l’innovation sociale, c’est-à-dire sa capacité à faire émerger d’autres formes de coordination et de coopération que les relations purement marchandes. La transformation est à prendre ici dans le sens de ce que l’on pourrait appeler le changement institutionnel, l’évolution des habitudes de penser (les représentations) et de faire (les pratiques) (Veblen, 1970).

Cependant, cette transformation ou ce changement n’est pas automatique. Elle repose sur l’aptitude des acteurs à prendre part au processus du développement qui les concerne, laquelle est souvent conditionnée par leur dotation en certaines capacités pour lesquelles on utilise couramment le terme de «capacité d’absorption des connaissances». Ce concept fera l’objet de la section suivante.