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Introduction de la première partie

I NNOVATION SOCIALE ET DEVELOPPEMENT TERRITORIAL DURABLE :CADRE CONCEPTUEL ET HYPOTHESES DE LA

1. Innovation sociale : Spécificités, approches et dimensions

1.2 Innovation sociale : deux lectures théoriques

1.2.1 Une conception axée sur la finalité

Ce premier modèle, principalement anglo-saxon, aborde l’innovation sociale en fonction de deux dimensions : sa nouveauté et sa finalité sociale. Deux approches structurent cette conception de l’innovation sociale :

− L’innovation sociale comme moyen de changement des politiques publiques et sociales

Cette première approche concerne le changement au niveau des politiques publiques, et particulièrement leur dimension sociale. Selon Guyon et Besançon (2013.), cette vision de l’innovation sociale est généralement prônée par des gouvernements et administrations nationales, et par des organisations supranationales (Commission européenne, par exemple).

Approche institutionnaliste L’IS Comme co-construction démocratique d’acteurs multiples en rupture dans un contexte et un territoire donné Entreprise sociale (approche européenne) L’IS Issue d’un processus ascendant, basé sur

une organisation démocratique et non lucrative

Entrepreneuriat social (approche

anglo-saxonne) Modernisation des politiques publiques L’IS Comme nouvelle modalité d’action pour dépasser les limites de l’action publique Ecole des recettes marchandes L’IS Portée par une

activité économique marchande au profit d’une finalité sociale Ecole de l’innovation sociale L’IS Portée par un entrepreneur au service d’une finalité sociale − Economie plurielle − Nouveauté

− Besoins et aspirations sociales − Processus

− Logique de marché − Nouveauté

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Dans cette perspective, l’innovation sociale est abordée comme un « levier d’évolution et

d’amélioration de notre modèle social et économique » (Euro group consulting, 2011, p : 7).Les

arguments avancés dans ce sens sont nombreux : faire face à la raréfaction budgétaire, s’inspirer des pratiques issues du secteur privé, être à l’écoute des besoins des usagers, etc., objectifs qui s’accordent avec les travaux sur le «New Public Management7» (Guyon et Besançon, 2013.).

L’innovation dans ce dessin est mise en avant car conçue comme la capacité des acteurs privés et ceux de la société civile à panser les maux et les imperfections de l’action publique classique, voire de la remplacer.

− L’innovation sociale comme nouveauté introduite par un entrepreneur social

Cette approche porte sur l’entrepreneuriat social. Apparu à la fin des années 1980, le concept d’entrepreneuriat social est d’origine anglo-saxonne (Guyon et Besançon, 2013). En ce sens Seghers et Allemand affirment que :

« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le concept n’est donc pas né dans

la tête de militants sociaux, d’opposants à l’économie de marché ou de marxistes pur jus. C’est bien dans les cercles patronaux et les plus grandes écoles de gestion qu’il fait son apparition » (Seghers et Allemand, 2007, p : 10).

Deux écoles de l’entrepreneuriat social peuvent être distinguées, toutes deux américaines : celle de l’innovation sociale et celle des recettes marchandes (Dees et Anderson, 2006 ; Defourny et Nyssens, 2010 ; Richez-Battesti et al., 2012).

Dans cette conception l’accent est porté sur l’individu et sur la finalité de son action, la satisfaction d’un besoin ou la résolution d’un problème social, ainsi que sur la portée de ses effets. Selon Ashoka8, un entrepreneur social est :

« Quelqu’un qui met ses qualités entrepreneuriales au service de la résolution d’un

problème social et/ou environnemental à grande échelle. Quel que soit le domaine où il s’engage, l’entrepreneur social se donne comme critère majeur de réussite l’ampleur de son impact sur la société ».

7Le New Public Management, courant apparu au début des années 1980, a pour objectif une réforme globale de l’action publique. La méthode consiste en «l’introduction d’une forme de concurrence entre les services administratifs afin de bénéficier des bienfaits supposés de celle-ci, utilisation des mécanismes de marché comme mode de régulation interne, délégation maximale et encouragement à la gestion participative, redéfinition du bénéficiaire ou de l’usager comme client, conduite des administrations publiques au regard de missions stratégiques» (Piqueux, 2010, p : 6). Il s’agit globalement d’une transposition de méthodes de gestion du secteur privé vers le secteur public.

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L’innovation sociale recherchée serait donc le fait d’un individu, héroïque et visionnaire, avec des qualités hors du commun (Seghers et Allemand, 2007). « La personnalisation de

l’innovation sociale qui s’exprime ainsi, traduit le choix de privilégier l’individu sur l’organisation » (Richez-Battesti et al., 2012, p : 20). Toutefois, si les caractéristiques

individuelles de l’entrepreneur social et ses motivations sont mises en avant, le processus (composante collective) de l’innovation demeure ambigu.

Dans ce contexte, l’entrepreneuriat social pourrait tout aussi bien émerger au sein d’une organisation non lucrative, on parlera alors d’entreprise sociale, qu’au sein d’une entreprise dont la finalité première n’est pas sociale, on parlera alors de social business (Muarice-Demourioux, 2012). Dans le premier cas de figure, la composante sociale reste dominante, tandis que dans le second, elle est subordonnée à la dimension économique. Cette frontière s’est ensuite atténuée :

« L’école des recettes marchandes définit l’entreprise sociale comme forme

d’organisation qui permet de résoudre les problèmes de financement des NPO’s (organisations non lucratives) en développant des activités économiques génératrices de recettes mises au profit de la mission sociale des organisations. Cette première conception a ensuite été élargie pour considérer aujourd’hui comme entreprise sociale toute organisation, lucrative ou non, qui déploie une activité économique marchande au profit d’une finalité sociale » (Richez-Battesti

et al., 2012, p : 20).

L’école des recettes marchandes, tout comme l’école de l’innovation sociale, met l’accent sur la fonction entrepreneuriale. Selon Guyon et Besançon (2013), l’école de l’innovation sociale insiste sur les caractéristiques de l’innovation et de l’entrepreneur qui la mise en œuvre ; l’école des recettes marchandes s’intéresse plutôt aux moyens financiers nécessaires pour développer l’innovation sociale, conçue comme réponse à un besoin social.

En somme, les deux approches, amélioration des politiques publiques et entrepreneuriat social, se révèlent deux voies d’accès différentes à l’innovation sociale, mais complémentaires. En effet, l’innovation sociale est ici conçue comme une réponse à des besoins sociaux pour lesquels l’action publique se révèle inefficace. Cette réponse est mise en place par un entrepreneur social, financée soit classiquement pour l’activité marchande, soit par des aides privés ou publiques pour les initiatives dont le financement ne peut être assuré par les seules activités (Guyon et Besançon, 2013).

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− Le fait de placer plus haut le rôle de l’entrepreneur individuel se fera aux dépens d’autres formes d’initiatives collectives, et porteuses de pratiques démocratiques ;

− La logique philanthropique, qui sous prétexte de combattre la pauvreté et l’exclusion étoufferait certaines questions telles que la lutte contre les inégalités, et risquerait de créer un lien de dépendance entre entrepreneurs et donateurs d’une part et bénéficiaires d’autres part ;

− Le recours au marché suscite de nombreuses questions ; en effet cette conception sous-tend une logique de distinction entre ce qui relève de l’économique d’une part, et ce qui relève du social d’autre part, distinguant les organisations ayant une finalité économique des autres ayant une finalité sociale (Guérin et Servet, 2005 ; Maurice-Demourioux, 2012) ;

− Cette référence continuelle au marché a également pour conséquence le transfert de méthodes managériales propres au secteur privé capitaliste à l’ensemble des organisations ; dans cette perspective, les organisations à but non lucratif seront amenées, progressivement, à se convertir en organisations dites classiques, dont elles respecteront les principes de gestion et de rentabilité, mais avec une composante sociale. Cette proximité du secteur privé ferait en sorte qu’elles deviennent efficaces économiquement au détriment de leurs composantes politiques (Laville, 2010).