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Le concept de réification dans l’œuvre de Georg Lukács

« L’idéologie n’est que la conscience renversée, notamment celle qui prend un phénomène partiel de la vie sociale pour un être autonome. »

Karl Korsch, Marxisme et philosophie.

§ 10. Avant-propos

Jean Grondin amorce un article qu’il réserve à la question de la réification par une question : « Georg Lukács est-il un classique de la tradition philosophique ? »88 En dehors des

cercles marxistes, cette question pourrait paraître sans intérêt. Or, l’influence de Lukács sur la philosophie, bien que souterraine, s’est exercée abondamment à travers tout le XXe siècle, surtout

par l’entremise des penseurs de la Théorie critique. Herbert Schnädelbach, dans son livre

Philosophy in Germany 1831-1933, fait ainsi d’Histoire et conscience de classe l’un des trois livres les plus

marquants de cette période considérée comme un âge d’or de la philosophie allemande avec la publication du Tractatus de Wittgenstein et d’Être et temps de Heidegger. Frédéric Vandenberghe considère de son côté Histoire et conscience de classe comme « le texte de philosophie marxiste le plus important depuis la mort de Marx. »89

Lukács est né en 1885 à Budapest en Hongrie de parents appartenant à la petite bourgeoisie hongroise. En 1905, ses études le mèneront à l’université de Berlin où il suit les cours de deux penseurs majeurs de l’époque, soit Wilhelm Dilthey et Georg Simmel. De 1911 à 1917, alors qu’il vit toujours en Allemagne, Lukács fréquente Max Weber. Autant Weber que Simmel exerceront une influence décisive pour sa pensée. Il commence à s’intéresser au marxisme et joint le Parti communiste hongrois en 1918. Il s’en suit une brève expérience en politique hongroise sous le gouvernement de Béla Kun, qui l’amène à s’intéresser à l’œuvre de Marx,

88 Grondin, Jean. « La réification de Lukács à Habermas : L’impact de Geschichte und Klassenbewusstsein sur la théorie critique ». Archives de Philosophie 51, 1988, p. 627

89 Vandenberghe, Frédéric. Une histoire critique de sociologie allemande : Aliénation et réification, La découverte, 1997, tome 1, p. 227

Lénine et de Rosa Luxembourg — Lukács identifie Luxembourg comme étant la seule disciple de Marx à prolonger réellement l’œuvre de celui-ci sur le plan des faits économiques et de la méthode économique. Il rédige Histoire et conscience de classe en 1923.90 Lukács y expose les

fondements d’un marxisme dit « occidental », mais aussi les fondements de sa théorie de la réification.91 Selon Kostas Axelos, son traducteur français, ce « livre maudit »92 du marxisme est

une collection d’études sur la dialectique marxiste écrite de 1919 à 1922, où il cherche à « comprendre correctement l’essence de la méthode de Marx et [à] l’appliquer correctement, et nullement [à] la “corriger” en quelque sens que ce soit »93. Le livre est initialement très mal reçu

dans les cercles marxistes. Dès 1924, le livre est condamné comme « révisionniste, réformiste et idéaliste »94, par le Ve Congrès de l’international communiste. Lukács devra se résigner à

désavouer publiquement son travail, contribuant ainsi à ce que le livre sombre dans l’oubli pour une assez longue période. Malgré cette condamnation, l’ouvrage de Lukács devient toutefois une des pièces maîtresses du marxisme au XXe siècle. Les penseurs de la Théorie critique seront

fortement influencés par l’œuvre de ce dernier. Dans une lettre à Alban et Hélène Berg écrite en 1925, le jeune Adorno, relatant sa rencontre avec Lukács, le désigne comme celui « qui m’a influencé intellectuellement plus profondément que tout autre »95. Il est cependant à noter

qu’Adorno évoque aussi dans la même lettre d’importantes divergences théoriques avec Lukács ; différends qui ne feront que s’accroître au fil du temps.

On peut affirmer que Lukács, en opérant la synthèse de la pensée de Marx (aliénation, idéologie et fétichisme), de Simmel (tragédie de la vie, de la culture et de la société) et de Weber (rationalisation formelle), donne sa formulation classique à la théorie de la réification.96 Cette

formulation est toujours d’actualité, non pas parce que Lukács a donné toutes les bonnes réponses, mais parce qu’il a posé les bonnes questions, notamment celle de la réification.97

Lukács accorde beaucoup d’importance à la théorisation que fait Marx de la marchandise, mais surtout au chapitre du Capital sur le fétichisme de la marchandise. Il utilise cette théorie de

90 Lukács, Georg. Histoire et conscience de classe, Op. Cit., p. 10

91 Jay, Martin. Marxism and Totality, University of California Press, p. 1

92 Lukács, Georg. Histoire et conscience de classe, Op. Cit., préface du traducteur, p. 4 93 Ibid. p. 10

94 Ibid. p. 11.

95 Tertulian, Nicolas. « Adorno-Lukács : polémiques et malentendus », Cités, vol. 22, 2005/2, p. 199

96 Vandenberghe, Frédéric. Une histoire critique de sociologie allemande : Aliénation et réification, tome 1, Op. Cit., p. 211 97 Ibid., p. 215

Marx comme tremplin pour développer sa propre théorie de la réification. Par cette thèse, Marx montre comment une chose inerte, dans ce cas-ci la marchandise, qui n’est en fait qu’une construction sociale, peut s’autonomiser au point de dominer les hommes. Poursuivant les travaux de Marx, Lukács développe une analyse sociologique très poussée du phénomène de la réification dans une société capitaliste. Pour lui, le capitalisme est une totalité, et non pas uniquement un système économique partiel, et cette totalité produit des effets dans toutes les sphères de la vie humaine. Cette totalité capitaliste modifie avant tout profondément la manière qu’ont les humains d’interagir entre eux. Plus qu’une réduction de l’humanité à sa force de travail, Lukács voit en effet dans le système de production capitaliste une profonde tendance à réifier le vivant avec comme principale conséquence de modeler les relations humaines sous cette même forme. Cette idée est illustrée à merveille par un économiste critique comme Karl Polanyi, lorsqu’il énonce dans l’introduction de son livre sur les origines politiques et économiques de la modernité : « que l’idée d’un marché s’ajustant lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert ».98

Dans la suite de ce chapitre, Lukács sera situé dans la tradition marxiste comme un des initiateurs du « marxisme occidental », selon le concept défini par Maurice Merleau-Ponty dans

Les aventures de la dialectique.99

§ 11. Évolution des théories marxistes au XXe siècle : l’importance de Korsch et Lukács

pour le marxisme occidental

Comment allier le bolchevisme de l’URSS à la philosophie marxiste présente chez les auteurs de la Théorie critique ? Bien que dans les deux cas l’inspiration soit la même — les écrits de Karl Marx —, on y trouve de grandes divergences théoriques. Le spécialiste du marxisme Leszek Kolakowski écrit à propos de Lukács qu’il essaye d’introduire en catimini un marxisme critique et authentiquement humaniste.100 Cette même idée est présente chez Jean Grondin qui

98 Polanyi, Karl. La grande transformation, Gallimard, 1983, p. 38

99 Merleau-Ponty, Maurice. Les aventures de la dialectique dans Œuvres, Gallimard, édition Quarto, 2010 100 Cité dans : Vandenberghe, Frédéric. Une histoire critique de sociologie allemande, tome 1, Op. Cit., p. 212

écrit : « Le tour de force de Lukács consiste à relativiser l’économisme du marxisme de son temps en ressuscitant le versant humaniste (jeune hégélien) de la pensée de Marx. »101 Ces divergences

s’expliquent en partie par une conception différente du marxisme qui est d’ailleurs en transformation au cours du XXe siècle. Lukács écrit à ce sujet : « Le marxisme orthodoxe ne

signifie donc pas une adhésion sans critique aux résultats de la recherche de Marx, ne signifie pas une foi en une thèse ou en une autre, ni l’exégèse d’un livre sacré. »102 On voit que Lukács se

montre critique d’une certaine « foi » qui reposerait sur des écrits « sacrés ». De ce fait, un auteur comme Lukács est intéressant pour étudier cette transformation, car il se trouve, avec Korsch, à un point pivot de l’histoire du marxisme. Martin Jay, résume cette idée : « […] History and class

consciousness, has been generally acknowledged as the character document of Hegelian Marxism,

the highly controversial inspiration of a loyal (and sometimes not so loyal) opposition to institutional Marxism in this century. »103 Un bref survol de l’évolution des théories marxistes

dans ce siècle permettra de mieux comprendre la position de Lukács, mais aussi celle des penseurs de la Théorie critique.

Le marxisme théorique (ou orthodoxe) tel qu’il s’était développé à la fin du XIXe et au

début du XXe en Allemagne apparaît aux yeux de ses supporteurs comme une théorie scientifique

quasi achevée : « on s’attendait de lui [la théorie marxiste] la formulation des lois du développement social comme on attendait des sciences du monde physique la formulation des lois du mouvement de la matière. »104 Ce marxisme annonce le dépassement de la métaphysique

et de la philosophie. La théorie se développe à cette époque selon laquelle il faut distinguer, dans les écrits de Marx, une science de l’économie (Le Capital) pourvue de fondements épistémologiques comparables aux autres théories économiques, et, d’un autre côté, des écrits plus politiques tournant autour d’un ensemble d’exigences, de justice et de solidarité humaine. En conséquence, le marxisme n’était plus critique des catégories mêmes de l’économie sociale et de leur fonctionnement dans la réalité sociale. L’articulation entre théorie et pratique n’était plus fonctionnelle, le marxisme se tournant uniquement vers la pratique. Lukács et Korsch développent leurs théories en réaction à cette conception du marxisme alors dominante en

101 Grondin, Jean. La réification de Lukács à Habermas, Op. Cit., p. 630 102 Lukács, Georg. Histoire et conscience de classe, Op. Cit., p. 18 103 Jay, Martin. Marxism and Totality, Op. Cit., p. 84

Europe. Ils cherchent à rétablir l’unité entre la théorie et la pratique ; la théorie permettra de décrire et de critiquer une réalité réifiée et de la transformer en s’appuyant sur la résistance du prolétariat.

Dans leurs écrits, Lukács et Korsch convergent sur certains points établissant les assises théoriques du marxisme occidental. Tout d’abord, comme mentionné précédemment, ils s’inscrivent tous deux contre l’antiphilosophisme propre au marxisme orthodoxe de leur époque. Ils tentent plutôt de montrer les liens du marxisme avec une philosophie qui n’est ni idéaliste ni spéculative. Korsch est très explicite à ce sujet dès les premières pages de Marxisme et philosophie :

Les professeurs de philosophie bourgeois s’assuraient mutuellement que le marxisme ne possédait pas de contenu philosophique propre — et croyaient ce faisant avoir dit quelque chose d’important en sa défaveur. De leur côté également, les marxistes orthodoxes s’assuraient mutuellement que leur marxisme n’avait par essence rien à voir avec la philosophie et croyait ce faisant avoir dit quelque chose d’important en sa faveur. 105

Ce lien du marxisme avec la philosophie prend racine dans la relation de Marx à Hegel, notamment dans l’emprunt par Marx de la méthode dialectique et sa reformulation matérialiste. Le trait marquant de cette dialectique de Marx est un rapport intrinsèque avec la totalité sociale, mais une totalité sociale qui n’est plus considérée comme totalité de l’étant, ainsi qu’elle l’était dans les philosophies idéalistes et contemplatives. Cette « science de la totalité » est en effet à la fois critique des formes de la pensée et des formes de pratique qu’elle met au jour dans une société qui opère à outrance la division du travail et qui opère également la division du travail intellectuel. Les travaux de Lukács et Korsch dévoilent et critiquent ainsi le caractère idéologique et l’apparence d’immédiateté de « l’objet partiel » (économie, sociologie, droit, etc.) et du sujet de cette science partielle (le sujet de la connaissance désintéressé).106 À propos de cette idée, Korsch

écrit que « […] dans la phase plus tardive, les différents éléments de ce tout, l’économie, la politique, l’idéologie — la théorie scientifique et la pratique sociale, avancent séparément. Nous pouvons dire suivant une expression de Marx que le cordon ombilical de leur lien naturel s’est déchiré. »107 Finalement, ce rapport avec la totalité présuppose toutefois que la théorie a un

105 Korsch, Karl. Marxisme et philosophie, Allia, 2012, p. 19

106 Durand-Gasselin, Jean-Marc. L’école de Francfort, Gallimard, 2012, p. 27-28 107 Korsch, Karl. Marxisme et philosophie, Op. Cit., p. 52

rapport important avec la praxis. Ici, théorie et praxis ne s’opposent pas car, « la dialectique signifie un lien intrinsèque entre saisie totale, saisie critique et révolution ».108

Malgré ces convergences, Lukács dépasse sur plusieurs points les propositions de Korsch. Il élabore une analyse de son époque centrée sur le concept de réification et également de toutes les catégories dominantes de la philosophie à partir de ce point de vue. Une dernière divergence a trait au moyen que prendra la révolution pour se réaliser. Pour Korsch, le Parti (c’est-à-dire l’engagement politique) est suffisant pour garantir la nécessaire unité entre théorie et pratique alors que pour Lukács cela ne suffit pas.109 La révolution passera selon lui par un éveil

de la conscience du prolétariat, éveil qui pourra également se réaliser dans le Parti. Sur cette volonté d’allier théorie et pratique, nous verrons cependant qu’autant la théorie de Korsch que celle de Lukács se montrent insatisfaisantes.

§ 12. L’influence de Weber et de Simmel : la tendance naturelle des sociétés modernes

à l’hyperrationalisation

La pensée de Lukács repose sur une influence forte de la pensée du philosophe Georg Simmel et du sociologue Max Weber. Cette influence sera développée dans la suite de ce paragraphe. Afin de bien comprendre cette filiation, il faut d’abord répéter que Lukács n’a pas toujours été marxiste, mais a toujours été fortement influencé par Weber et Simmel. La réception que fait Lukács de ces deux auteurs a cependant évolué lorsque s’amorce la période marxiste de Lukács, soit à partir de la publication d’Histoire et conscience de classe en 1923. On peut malgré tout affirmer que dès ses premiers écrits, Lukács bâtit une théorie de la réification synthétisant les analyses de Hegel, de Marx, de Simmel et de Weber. Seulement dans cette phase prémarxiste, Lukács conçoit la réification de façon non dialectique comme une forme de rationalisation formelle au sens où l’entendait Weber.110

Dans sa phase marxiste, la réification est plutôt conçue de façon dialectique comme un moment de son propre dépassement. La prise de conscience par le prolétariat apparaît maintenant comme le moment décisif qui permet de surmonter la scission entre le sujet et son objet.

108 Durand-Gasselin, Jean-Marc. L’école de Francfort, Op. Cit., p. 28 109 Vincent, Jean-Marie. La théorie critique de l’école de Francfort Op. Cit., p. 18

L’influence de Simmel

Simmel publie en 1900 un livre intitulé Philosophie de l’argent dans lequel il interprète l’argent comme le symbole de la modernité. Simmel y expose de quelle façon l’argent devient le moyen d’expression de la relation et de la dépendance réciproque entre les hommes. L’argent est ainsi appréhendé comme un « fait social total » ou dit autrement comme un symbole exprimant et condensant en lui toutes les relations sociales :111

Mais de même qu’un fondateur de religion ne se réduit nullement à un phénomène religieux et s’examinera également à travers les catégories de la psychologie, voire de la pathologie, de la sociologie ou de l’histoire générale ; de même aussi qu’un poème n’est pas seulement une réalité historico-littéraire, mais esthétique, philologique et biographique ; de même enfin que le point de vue d’une science, toujours assujettie à la division du travail, n’épuise jamais la totalité d’une réalité — de même donc le fait que deux hommes échangent leurs produits n’est-il pas seulement un fait économique ; car il n’existe pas de faits dont le contenu soit épuisé par leur image économique.112

Simmel voit dans la modernité une objectivation incessante de la valeur et, en conséquence, une réification des relations sociales. Il commence à développer l’idée que l’échange de marchandise, représenté par l’argent, a des conséquences directes sur les hommes participants à un tel système. Par l’analyse des différentes causes de l’introduction de l’argent dans les sociétés, les multiples conséquences d’un tel phénomène apparaissent.

On doit ainsi lire Simmel dans la continuité des travaux de Marx sur l’aliénation et comme le point de départ préparant les travaux de Weber sur la rationalisation. Lukács va « marxiser » quelque peu cette théorie simmelienne avec son concept de réification comme une caractéristique distinctive de la modernité. Retenons ici que Simmel utilise avant Lukács le concept de réification. Comme mentionné précédemment, la réification désigne pour ce dernier l’essence même de la structure marchande dans une société capitaliste dont les conséquences sont la transformation d’un rapport entre hommes en un rapport entre choses.113 Simmel, quant

à lui, s’efforce d’identifier les « signifiances » pour l’être humain de ce système économique alors en développement.

111 Ibid., p. 136

112 Simmel, Georg. Philosophie de l’argent, PUF, 2009, préface, p. 15 113 Lukács, Georg. Histoire et conscience de classe, Op. Cit., p. 110

Pour Simmel, l’économie monétaire a permis à l’individu de se libérer de l’étroitesse des liens de dépendance associés à ces formes historiques de subordination et de travail qu’étaient l’esclavage ou le servage. Cette émancipation a entraîné une dépersonnalisation graduelle des relations interpersonnelles qui a favorisé la liberté individuelle. En effet, la condition de salarié, où l’obligation que contracte un employé envers un employeur est relative à un temps de travail déterminé, permet selon Simmel une plus grande liberté par rapport aux formes antérieures de travail. Cependant, le versant négatif d’une telle transformation est d’avoir rendu l’individu dépendant d’une multitude de personnes anonymes et interchangeables. Il y a donc une dépersonnalisation des rapports humains. Frédéric Vandeberghe conclut en affirmant que pour Simmel : « dans les sociétés modernes, les relations sociales sont impersonnelles et instrumentales. Le lien social n’est plus spontané, émotionnel et personnel, mais artificiel, froid et fonctionnel. »114 Cette caractéristique contient plusieurs concepts mobilisés par Lukács,

notamment celui du caractère instrumental des relations humaines dans une société où la structure de la marchandise est érigée en absolu.

L’influence de Weber

Une autre influence majeure sur les écrits de Lukács est celle de Weber, lequel pose le second jalon d’une compréhension des sociétés capitalistes modernes comme ayant une forte tendance à la réification. Weber s’inscrit en continuité de l’analyse de Simmel portant sur la dépersonnalisation de la société capitaliste. Cette thèse de Weber, qui influencera aussi la Théorie critique, stipule une adéquation entre le capitalisme et la rationalité formelle. Ce concept de rationalité peut être tenu pour l’idée maîtresse de l’œuvre de Weber et pour fil conducteur des différentes études qu’il consacre à des thèmes comme la religion, le droit, la domination, l’économie, etc. Pour Weber, en un mot, la rationalisation est la caractéristique fondamentale de la modernité.115 Ce qui marquera profondément Lukács et les auteurs de la Théorie critique est

plus spécifiquement sa réflexion sur les conséquences d’une telle rationalisation. Weber, à l’instar de Simmel, sera d’abord ambivalent quant aux conséquences d’un tel phénomène. La rationalisation s’accompagne en effet d’une plus grande liberté pour les individus dans certaines sphères, notamment celle du droit. Weber est cependant davantage critique au regard de

114 Vandenberghe, Frédéric. Une histoire critique de sociologie allemande, tome 1, Op. Cit., p. 143 115 Ibid., p. 158

certaines conséquences de la rationalisation, dont l’industrialisation de la société et la montée en importance de la bureaucratie. En particulier, Weber soutient que le protestantisme a joué un rôle prépondérant dans cette rationalisation de la société, dans sa célèbre étude L’éthique protestante

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