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La composition de l’assiette fiscale et le fardeau fiscal

1.8 Le fardeau fiscal

1.8.2 La composition de l’assiette fiscale et le fardeau fiscal

Par ailleurs, deux contribuables, en situation identique et bénéficiant de services équivalents, peuvent supporter un fardeau fiscal différent sans qu’il y ait iniquité « directe » pour autant : un poids fiscal équivalent sera réparti différemment selon la composition de l’assiette foncière de chaque municipalité – quelle est l’importance des différents types de propriété et la valeur moyenne de chacun et, notamment, quelle est l’importance du non résidentiel. À cet égard, on s’entend généralement pour estimer que, du point de vue du budget municipal, il est relativement plus avantageux d’accueillir des investissements non résidentiels : comparativement à un investissement résidentiel de même niveau, une municipalité retirera généralement plus d’impôt foncier grâce à des prélèvements de diverses natures, sans pour autant devoir fournir plus, ni même autant de services, au contraire. Il est clair qu’une municipalité et ses contribuables tirent profit d’une grosse usine payant d’importants impôts fonciers ou d’une grande institution donnant droit à de considérables compensations tenant lieu de taxes mais n’exigeant pas une dépense en services équivalente. Si Archimède avait été maire, on aurait pu l’entendre soupirer : « Donnez-moi un hôpital [comme point d’appui] et je soulèverai le monde47! ».

En pareil cas, la différence constatée quant au fardeau fiscal ne résulte pas d’une iniquité directe et évidente; pire encore, la différence de taux peut être perçue ou revendiquée comme la juste récompense d’une gestion municipale économe, dynamique et astucieuse. Or, il est bien évident que, parfois (souvent ?), le mérite (ou le tort) d’une administration

municipale est presque nul et se limite à couper un ruban d’inauguration pour accueillir un important investissement non résidentiel; car l’influence des administrations municipales sur la localisation des investissements est généralement toute relative (nous y reviendrons plus loin, notamment dans la prochaine section48). Mais qu’elles y soient ou non pour quelque

chose, lorsque les investissements affluent, les administrations municipales49 s’en attribuent,

au moins en partie, les mérites, sous les applaudissements de tous, et c’est de bonne guerre. Au contraire, en période de disette, sous les huées et la critique unanime, les autorités municipales seront plus enclines à reconnaître et à faire savoir que leur responsabilité n’est que partielle, comme à admettre le caractère contingent des éventuelles retombées économiques des actions municipales. Autant les gagnants se félicitent, autant les perdants plaident que c’est la faute à « pas de chance »; mais s’ils soutiennent le contraire l’un de l’autre, les deux groupes ne peuvent pas avoir raison en même temps.

Parfois, l’influence du contexte est plus évidente : ainsi, les municipalités gaspésiennes ont beau rivaliser d’audace et d’astuce, on comprend, ou on devrait comprendre, qu’elles ne soient pas tellement récompensées de leurs efforts. Comme on dit : « la " puck " ne roule pas pour eux-autres ! »

Généralement, c’est la force d’inertie qui domine : le scénario d’avenir le plus plausible consiste en la reconduction de ce qui existe. En matière de fiscalité locale comme dans d’autres domaines, les inégalités ne se résorbent pas « naturellement »; elles ont plutôt tendance à se perpétuer, et même à s’accentuer. D’ailleurs, pour décrire ces mécanismes de reproduction à l’identique de ce qui est, les expressions toutes faites abondent : « la misère s’abat sur le pauvre monde50 » ou, inversement, « l’argent va à l’argent ». En effet, plus

souvent qu’autrement, le succès vole au secours de la victoire : ainsi, dans certaines situations, il est presque certain que n’importe qui, n’importe quelle administration municipale qui se retrouverait avec de semblables atouts ou le même concours de circonstances, ou les deux et une chance équivalente n’aurait qu’à se laisser porter par la vague pour obtenir, comme par enchantement, des résultats formidables. Et, en pareil cas, c’est souvent comme si un peu tout le monde avait intérêt à occulter l’influence positive presque déterminante du contexte : on aime bien célébrer les mérites des gagnants, même si, parfois, ils ont été

48 Section 2 « Pourquoi voudrait-on réorganiser ? »

49 Tout comme les gouvernements supérieurs, en plus de tous ceux qui ont pour raison d’être de stimuler le

davantage chanceux qu’astucieux ou valeureux. Tout comme inversement, on culpabilise les perdants allègrement et sans mauvaise conscience, car il est toujours trouver facile de trouver quelque chose à redire : une occasion ratée par manque d’opportunisme, à cause d’efforts inconstants, d’une concertation insuffisamment large, d’une solidarité fêlée, d’une formation insuffisante de la main-d’œuvre, d’une main-d’œuvre trop gourmande, etc. On a souvent un petit côté « gérant d’estrade » qui ne demande qu’à s’exprimer dans l’analyse des causes des malheurs d’autrui.

En somme, la différence de fardeau fiscal (du moins celle qui résulte du plus ou moins grand succès de la municipalité à attirer des investissements non résidentiels) constitue une iniquité bien réelle mais indirecte : il sera toujours possible aux gagnants de défendre leur position avantageuse en prétendant qu’elle leur revient de droit, comme une juste récompense de leurs louables efforts, et qu’il est très vilain de jouer les envieux à leur égard. Et on pourra toujours blâmer les perdants : à vrai dire, c’est ce qu’il y a de plus facile.

Mais au fait, le fardeau fiscal est-il si différent entre les municipalités de la MRC de Joliette ?