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Chapitre 4 : Mon langage musical illustré au sein de trois compositions

4.3. L'homme à deux têtes

4.3.1. La composition

Le genre opératique est un défi de composition puisqu'il demande au compositeur une certaine soumission au texte, qui doit être l'inspiration de la musique. Cela se traduit par le fait que le livret impose un drame et une forme à l'œuvre. Cette contrainte pourrait être perçue négativement, mais pour ma part, il s'agit d'une force créatrice supplémentaire qui stimule mon imagination. Dans cette composition, mon objectif artistique était de faire une interprétation personnelle du texte, tout en lui restant fidèle. Pour y arriver, j'ai pris le temps de m'immerger dans l'univers créé par la librettiste afin de bien m'approprier chacun des personnages ainsi que le drame qui les unissait et ce, en lisant le texte à plusieurs reprises. Cette démarche m'a mené à faire certains choix au niveau de l'instrumentation, de l'harmonie et finalement, la création des leitmotive.

L'effectif de la commande était limité à deux chanteurs et cinq musiciens sans percussions ni piano, il me fallait donc choisir un ensemble et des voix qui permettent de mettre en valeur le caractère général de l'opéra ainsi que celui de chaque personnage. Étant donné le caractère glauque de l'opéra, la présence d'un monstre à deux têtes ainsi que les personnalités psychotiques et malsaines des personnages, des voix sombres me semblaient plus à propos. Cependant, je voulais conserver une certaine proximité de registre entre les deux voix. Ainsi, les voix de mezzo-soprano et de baryton ont été choisies. Une voix de contralto aurait probablement été mieux pour générer l'effet sombre désiré, mais la rareté d'une telle voix aurait risqué de rendre impossible sa réalisation avec les chanteurs de l'Université de Montréal. Pour cette raison, Il m'est apparu plus sage de choisir une voix de mezzo-soprano. Du côté de l'instrumentation, le choix des anches doubles s'est imposé étant donné leur caractère fort et narquois. En effet, ces sonorités criardes, pincées et minces permettent une coloration qui m'apparaissaient tout à fait cohérentes avec le sujet du livret. De plus, en utilisant deux instruments à anches doubles, soit le hautbois et le basson, il est possible de créer des sonorités à caractères forts tout en conservant un fondu relativement facile. Les cordes, quant à elles, ont été choisies pour permettre une certaine homogénéité et une sonorité plus neutre. En dernier lieu, le cor a été sélectionné parce qu'il permet de créer un fondu entre les sonorités très différentes des cordes et des bois, tout en ajoutant de la force et un timbre cuivré pour les grands fortissimos.

Par la suite, les deux systèmes harmoniques ont été conçus. L'idée de définir une partie des personnages autour de systèmes harmoniques est arrivée très tôt dans la composition. L'attribution d'une personnalité à une couleur harmonique était très évocateur pour moi, en plus de me permettre une interprétation très personnelle du livret. Dans cette optique, un système fondé sur des accords majeurs et mineurs a été choisi pour représenter la mère, qui est une femme aspirant à la normalité, malgré une certaine déviance. Étant donné la froideur et la monstruosité de l'homme à deux têtes, c'est un système harmonique plus dissonant qui a été choisi. Celui-ci est construit autour des intervalles de tritons et de secondes.

La conception des principaux leitmotive a suivi, soit : celui de l'homme à deux têtes, celui de la mère et celui de l'émotion de l'homme à deux têtes. Ces motifs représentant les personnages ont été conçus en cohérence avec les systèmes harmoniques des personnages

qu'ils représentent. Par exemple, on peut constater la grande présence de la cellule harmonique de l'homme à deux têtes (voir figure 7, p.26) dans son leitmotiv (exemple 41).

Exemple 41 : La cellule harmonique de l'homme à deux têtes dans le leitmotiv du personnage

Les autres motifs ont été créés pendant la composition, en fonction des besoins de l'œuvre. Par exemple, afin de mettre en lumière le désir de normalité de la mère, un rythme de valse est souvent emprunté. Nous pouvons constater cela à l'exemple 42. En effet, ce rythme a pour objectif de créer des liens vers des univers connus de l'auditeur, quelque chose qui pourrait être qualifié d'habituel ou de normal. Cependant, ces valses sont toujours un peu tronquées grâce aux métriques irrégulières. Cet écart rythmique désire insuffler un doute sur la normalité de cette dernière. Dans ce sens, ce rythme déviant est par la suite utilisé comme leitmotiv du doute et de la crainte.

Les grands défis dans la composition de cet opéra n'étaient pas tellement au niveau de l'interprétation du texte, puisque mon style dramatique et programmatique me semblent rendre le genre opératique naturel. Deux difficultés sont dignes de mention lors de la composition de cette musique. La première est en lien avec la nature de la commande qui demandait des œuvres plus concises. En effet, les opéras commandés ne devaient pas dépasser trente minutes. Cet objectif n'a donc pas été atteint puisque L'homme à deux têtes a une durée d'environ trente-six minutes. En second lieu, l'orchestration aérée nécessaire au passage de la voix comme premier plan a présenté un défi. On peut observer que malgré cela, la voix passe relativement bien dans un passage forte tel que les mesures 198 à 209. Dans ce cas, l'ensemble ne fait que quelques accents pour ponctuer le discours des chanteurs. À titre de second exemple, la voix de la chanteuse ressort encore bien dans son air entre les mesures 472 et 480. Dans ce cas, on peut remarquer qu'elle est seule à chanter dans ce registre et qu'elle représente la voix la plus active et la plus lyrique de l'ensemble. Tous ces facteurs sont susceptibles de contribuer à la prépondérance d'une voix sur les autres.