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1.2 Microstructure des aciers duplex : influence des traitements thermomécaniques sur

1.3.2 Comportement micromécanique des aciers duplex

La différence de comportement mécanique des phases constitutives d’une structure duplex lors de la sollicitation mécanique conduit à une partition non uniforme de la contrainte entre les deux phases. En outre, l’interaction entre les grains au sein d’une phase qui résulte de l’anisotropie de leurs propriétés élasto-plastiques, influence l’état de contrainte microscopique des phases. Ces deux paramètres conduisent à la formation de deux types de micro-contraintes dans les aciers duplex. On trouve le premier type de contrainte au niveau des interfaces entre les deux phases alors que le second type se trouve au niveau des joints de grains. Ces micro-contraintes, résultant de l’anisotropie entre les phases et au sein même des phases, sont appelées les contraintes résiduelles. [31]

Les contraintes résiduelles représentent un état de contrainte qui existe dans le matériau sans application d’une sollicitation extérieure. Ces contraintes de nature élastique représentent la réponse du matériau à une distribution hétérogène de la déformation non élastique comme la déformation plastique, la précipitation, les transformations de phases ou la déformation induite par différence de coefficients de dilatation.

Les contraintes résiduelles se divisent en macro et micro-contraintes. Les macro-contraintes sont par définition identiques dans les deux phases. Elles peuvent provenir de l’interaction entre la surface et le cœur de l’échantillon (surface en compression alors que le cœur est en traction). Les micro-contraintes sont homogènes dans un petit domaine comme le grain ou la phase mais elles sont propres à chaque phase. [32]

Les deux phases constituantes de l’acier duplex ont des coefficients de dilatation thermique différents. Ceci conduit à la formation des contraintes internes d’origine thermique suite au refroidissement par trempe à partir des températures élevées [26,31–35]. Dans une étude menée sur un acier duplex (29.6Cr-10.9Ni-0.04N) avec la même fraction volumique des deux phases, les micro-contraintes thermiques ont été trouvées de l’ordre de 500 MPa. Elles sont en traction dans l’austénite et en compression dans la ferrite. Ce même résultat a été rapporté dans le cas de l’acier duplex 2304 [26,32,33]. Etant donné que le coefficient de dilatation de l’austénite est supérieur à celui de la ferrite, il est raisonnable de mesurer des contraintes de traction dans l’austénite. La nature et l’ordre de ces contraintes thermiques peuvent être

prédits par le modèle purement élastique d’Eshelby lorsque le matériau est trempé à partir de la température de mise en solution, en prenant l’hypothèse qu’il ne peut y avoir de relaxation de contraintes pendant la trempe. Toutefois, dans une autre étude portant sur la même question, la modélisation en éléments finis des contraintes internes d’origine thermique a montré une différence comparée aux résultats expérimentaux. Cette différence est justifiée par la relaxation partielle par déformation plastique suite au refroidissement. [42] L’évolution des contraintes résiduelles d’origine thermiques lors de la sollicitation mécanique dépend des caractéristiques élasto-plastiques de chaque phase. Dans une étude menée sur un alliage constitué d’une matrice ferritique avec des particules de cémentite, les auteurs ont rapporté l’influence de ces contraintes sur la limite d’élasticité. [43]

La nécessité de procéder à la mesure des contraintes résiduelles est illustrée par le fait que la réponse globale d’un acier duplex ne peut être modélisée par la loi de mélange classique. Une raison possible de ce comportement est que les contraintes résiduelles initiales et la textures ont été négligées. De plus, les aciers duplex plats manifestent des microstructures en bandes héritées de l’étape de laminage à chaud. Cette morphologie complexe conduit à une variation de contraintes au sein de la phase, ce qui à son tour va influencer la déformation plastique. Il est rapporté dans la revue de Johansson [43] que l’effet de la morphologie a été étudié par Winholtz et Cohen. La réponse mécanique de chaque phase d’un acier au carbone biphasé (ferrite + perlite) a été investiguée par un essai de fatigue pour deux morphologies différentes : lamellaire et sphérique. Les auteurs ont rapporté que les contraintes internes sont importantes dans le cas de la morphologie lamellaire. Ils ont conclu, en considérant les différents paramètres microstructuraux, que cette différence est engendrée par la morphologie. En effet, la morphologie type perlitique (lamellaire) est plus efficace dans le transfert de charge à la seconde phase. Par conséquent, l’état de contrainte important de la microstructure lamellaire lui confère une vitesse d’écrouissage plus élevée que celle de la microstructure sphérique.

La combinaison de l’essai de traction in situ avec les techniques de caractérisations microscopiques comme l’EBSD et l’AFM (microscope à force atomique) constitue un outil

efficace pour étudier les mécanismes de déformation des phases dans les matériaux bi et multiphasés.

Divers travaux dans la littérature ont abordé la question de la distribution de la déformation dans les aciers duplex. Il est rapporté [36] que les interfaces jouent un rôle important dans la déformation plastique. Dans le cas des aciers duplex, les mécanismes de transfert de dislocations entre la ferrite et l’austénite ont été analysés. Il est rapporté que ce transfert dépend fortement des relations d’orientation entre les grains. Dans le cas d’une relation spéciale comme celle de K-S ou N-W, les bandes de glissement dans la ferrite, engendrées par les dislocations émises au niveau des interfaces, révèlent la compatibilité des systèmes de glissement efficaces entre les deux phases. Cette situation conduit à la localisation de la déformation.

Dans le cas d’une relation d’orientation aléatoire, l’incompatibilité entre les systèmes de glissement efficaces des deux phases conduit à activer le mécanisme de glissement dévié dans les grains de ferrite. Ce mécanisme conduit aux phénomènes de multiplication et de formation de boucles ou de débris de dislocations. Par conséquent, le comportement mécanique résistant des aciers duplex pourrait être attribué au mécanisme particulier de transfert de dislocations relatif à l’aspect aléatoire de la relation d’orientation entre les grains de ferrite et d’austénite. Ce constat est justifié par la nécessité d’une contrainte importante pour assurer le transfert de dislocations entre les deux phases. De plus, le glissement dévié des dislocations dans la ferrite amène à l’homogénéisation de la déformation et de l’écrouissage.

Les travaux de Fréchard et al [37] sur la détermination des systèmes de glissement des phases de l’acier duplex Uranus 50 par les techniques EBSD et AFM, ont conforté les résultats précédents. En effet, ils ont pu montrer qu’en raison de la morphologie des bandes de glissement observées dans la ferrite, l’écoulement plastique de cette phase résulte d’un transfert de dislocations depuis les grains d’austénites adjacents ou via le mécanisme de glissement dévié.

Un point commun se dégage des études [38,39] réalisées sur la distribution de déformation entre les phases des aciers duplex : au début de la plasticité, c’est l’austénite qui accommode

la déformation. Ce comportement s’inverse avec la progression de la déformation plastique en raison de l’écrouissage de l’austénite qui est supérieur à celui de la ferrite.

Cependant, une étude réalisée par Moverare et Odén [26] montré l’influence de la texture sur le partitionnement de contrainte et de déformation entre les deux phases, il est observé que les deux phases se déforment plastiquement avec le même degré dans la direction de laminage. Selon la direction transversale, il est constaté que l’austénite est la phase qui accommode le plus la déformation plastique bien que le cas opposé ait été trouvé pendant la sollicitation à 45°.

La caractérisation mécanique locale a été longtemps représentée par la mesure de dureté. Ce paramètre ne constitue pas une propriété intrinsèque de matériau en raison de sa dépendance de la géométrie et de la nature des solides en contact. Un essai d’indentation, présenté dans la Figure 1-24, fournit le moyen de mesure de la variation de la charge appliquée (P), qui est de l’ordre de µN, en fonction de la pénétration imposée (h) qui est de l’ordre de quelques centaines de nanomètres. La nature et la géométrie de l’indenteur conditionnent la mécanique de l’essai et par conséquent les grandeurs exploitables ainsi que les diverses méthodes et modèles adaptés pour les identifier. [40,41]

Figure 1-24 : Présentation de l’essai d’indentation instrumenté et ses paramètres caractéristiques.

La mesure de la dureté à partir des courbes force-pénétration fournies par l’essai d’indentation est donnée par la relation : 𝐻 = 𝑃𝑚𝑎𝑥𝐴

𝑐 , où 𝐴𝑐 est l’aire de contact. Il est clair que la notion de dureté dépend fortement de la définition de l’aire de contact utilisée. On distingue deux définitions de dureté et de son aire associée :

- La dureté apparente : l’aire de contact correspond à l’aire transverse de l’indenteur à une profondeur donnée. Le qualificatif « apparente » renvoie à la non prise en considération d’éventuelle déformation de la surface de l’échantillon au niveau de contact.

- La dureté résiduelle : l’aire utilisée est celle de l’empreinte résiduelle, mesurée après l’essai d’indentation. Cette définition permet la prise en compte de phénomène de bourrelet et d’enfoncement au niveau des indents. Dans la pratique, on suppose que l’aire résiduelle est équivalente à l’aire de contact.

La différence principale entre les deux définitions consiste dans l’effort et le temps fournis pour obtenir les mesures. En effet, la dureté apparente est facile à mettre en œuvre mais moins précise. Dans le cas de la dureté résiduelle, cette méthode, bien que laborieuse, fournit l’estimation la plus fiable de l’aire de contact.

La pénétration mesurée par l’essai d’indentation représente l’enfoncement de l’indenteur sous la surface de l’échantillon. L’indenteur doit avoir une rigidité importante et rester élastique lors de l’essai. Ces deux propriétés conjuguées favorisent logiquement les matériaux les plus durs. Dans la pratique, on utilise souvent le diamant ou le saphir dont les modules élastiques sont présentés dans le Tableau 1-4. [40]

Tableau 1-4 : Propriétés élastiques des matériaux les plus utilisés pour fabriquer les indenteurs. Matériau Module de Young [GPa] Coefficient de Poisson

Diamant 1141 0.07

Saphir 440 0.3

La géométrie de contact dépend de la forme de l’indenteur utilisé. Il existe deux familles d’indenteurs : les indenteurs auto similaires dont la forme est un cône au sens large. Les géométries des indenteurs coniques sont détaillées sur la Figure 1-25. La seconde famille correspond aux indenteurs dont la géométrie ne peut être assimilée à un cône, la géométrie sphérique en fait partie. Dans la pratique, un indenteur est caractérisé par sa fonction d’aire

A(h) et une section qui définit sa forme à une hauteur donnée. Par la suite, on va utiliser deux indenteurs de géométrie différente : la sphère et l’indenteur de type Berkovich. [40]

Figure 1-25 : Géométrie des indenteurs coniques : a) Cône de demi angle au sommet ψ = 70,3°, b) Indenteur « Berkovich » d’angle de l’axe aux faces de ψ = 65,3°. Ces deux indenteurs

présentent la même fonction d’aire transverse A(h) = 24,5h².

Les travaux théoriques réalisés par Hertz et Love ont permis d’établir les relations entre la force appliquée et la pénétration dans le cas des indenteurs sphérique et conique. La théorie hertzienne qui s’applique aux petites déformations, modélise le contact élastique de deux solides de surface lisse. Une surface est considérée comme lisse si elle ne présente aucun sommets ou arètes dans le voisinage du contact. Cette théorie est capable de décrire les premiers stades du contact entre l’indenteur sphérique de rayon R, et la surface de l’échantillon par les équations suivantes :

𝑃 = 4 3 𝐸𝑒𝑞√𝑅 ℎ3 2 , avec 𝐸𝑒𝑞 = (1− 𝜈𝑖𝑛𝑑2 𝐸𝑖𝑛𝑑 + 1− 𝜈𝑒𝑐ℎ2 𝐸𝑒𝑐ℎ ) −1 Eq: 1-1

où 𝐸𝑒𝑞 est la rigidité apparente, 𝐸𝑖𝑛𝑑, 𝜈𝑖𝑛𝑑 et 𝐸𝑒𝑐ℎ, 𝜈𝑒𝑐ℎ sont les modules de Young et de Poisson de l’indenteur et de l’échantillon respectifs.

Cependant, le cas d’un indenteur pointu comme un cône dont la courbure locale est infinie à la pointe présente une divergence. Ce cas est repris dans les travaux de A. Love dont la solution analytique prévoit une courbe de charge parabolique décrite par l’équation Eq :1-34.

𝑃 = 2

𝜋 𝐸𝑒𝑞𝑡𝑎𝑛 (𝜓)ℎ

2 Eq: 1-2

Une conséquence importante de la solution analytique de Love, dans le cas des métaux, est le fait que le matériau indenté ne peut contenir cette déformation sous une forme uniquement réversible. Ainsi avec un indenteur de type conique parfait, la plasticité apparait dès les premiers stades de contact. [40,42]

Ces éléments nous permettent de mieux appréhender l’effet des différentes géométries : l’indenteur sphérique permet, suivant son rayon, de bien couvrir la transition élasto-plastique (faibles déformations), alors qu’avec l’indenteur Berkovich voire CubeCoin, la contrainte d’écoulement (dureté) mesurée correspond à une déformation plastique représentative de l’ordre de 7%. La Figure 1-26 présente la déformation représentative des indenteurs avec trois géométries différentes dont la sphère et le cône font partie.

Figure 1-26 : La déformation représentative caractérisée par des indenteurs de géométries différentes dont la sphère et le cône font partie.

Un ensemble de modèles a été développé dans le but de déterminer les propriétés mécaniques de matériaux à partir de l’essai d’indentation. Les travaux de Sneddon rapportés dans les études [40,43] proposent une solution générale au problème d’un milieu élastique semi infini indenté par un poinçon axisymétrique de forme quelconque. La relation générale

issue de ces travaux, bien que simple, permet la mesure du module de Young à partir de la connaissance du rayon de contact.

𝑆 = 𝑑𝑃

𝑑ℎ = 2𝐸𝑒𝑞𝑟𝑐 Eq: 1-3

Comme mentionnée auparavant, l’aire de contact est cruciale dans l’exploitation des données de l’indentation instrumentée. La méthode basée sur la mesure d’aire post-mortem est fastidieuse à mettre en œuvre. Une méthode alternative a été proposée en se basant sur la mesure directe de l’aire de contact à partir de la courbe d’indentation.

Lors de l’essai d’indentation, la périphérie de l’indent n’épouse pas la forme de la section de l’indenteur en raison des phénomènes de bourrelet et d’enfoncement. La Figure 1-27 schématise la géométrie de contact entre le matériau et un indenteur de type Berkovich. On observe au niveau de la périphérie de l’indent les phénomènes de bourrelet et d’enfoncement ainsi que la hauteur de contact correspondante.

Figure 1-27 : Illustration des phénomènes de bourrelet et d’enfoncement dans le cas de l’indentation conique.

En général, le calcul de l’aire de contact est basé sur l’aire transverse de l’indenteur. Dans ce cas, la question est de savoir quelle est la hauteur adaptée et qui pourrait être assimilée à la hauteur de contact (ℎ𝑐). La Figure 1-28 présente plusieurs méthodes d’estimation de la hauteur de contact. Dans les travaux de thèse de L. Charleux [40], on rapporte que la première méthode proposée est celle de Doerner et Nix. Ces auteurs ont été les premiers qui ont tenté de répondre à la question en supposant que l’aire de contact ne varie pas lors des premiers

stades de décharges. Cette forte hypothèse a conduit à une sous-estimation de la hauteur de contact, qui a été définit comme :

𝑐 = ℎ𝑑 = ℎ − 𝑃

𝑆 Eq: 1-4

Figure 1-28 : Méthodes directes d’estimation de la hauteur de contact ℎ𝑐. [48]

A l’heure actuelle, la méthode la plus utilisée est celle proposée par Oliver et Pharr [43]. Les auteurs supposent que la décharge est assimilable à une solution élastique autre que celle associée au poinçon plat. La hauteur de contact est donnée par l’équation Eq :1-37, où ε est égale à 0,75 dans le cas d’un indenteur sphérique et 0,72 dans le cas d’un cône. Il est à noter que cette formulation de la hauteur de contact ne permet pas la prise en compte de l’effet de bourrelet.

𝑐 = ℎ − 𝜀𝑃

𝑆 Eq: 1-5

Les travaux de A. Khosravani et al [42] sur un alliage martensitique ont été réalisés dans le but de mettre en pratique une méthode permettant la mesure de la limite d’élasticité à partir de l’essai d’indentation. Leur travail consiste à effectuer des essais d’indentation avec une géométrie sphérique et de calculer la contrainte et la déformation d’indentation en se basant sur les relations suivantes :

𝜎𝑖𝑛𝑑 = 𝑃

𝜋𝑟2 et 𝜀𝑖𝑛𝑑 = 4 3𝜋

A partir des courbes 𝜎𝑖𝑛𝑑-𝜀𝑖𝑛𝑑, les auteurs ont calculé la contrainte à 0,2% de déformation. Il est à noter que les données des essais de traction uniaxial ne pourraient être comparées directement à celles obtenues par l’essai d’indentation. La correspondance entre la contrainte d’indentation à 0,2% de déformation et la limite d’élasticité obtenue par l’essai de traction a été réalisée en se basant sur la théorie de Tabor : 𝐻 = 2,2 𝜎𝑦. Le facteur de « 2,2 » a été identifié suite à une étude numérique réalisée par éléments finis.

En supposant que le comportement plastique des matériaux pourrait être assimilé à une loi puissance, M. Dao et al [41] ont développé une méthode basée sur l’analyse dimensionnelle qui permet de déterminer les propriétés mécaniques (E, 𝜎𝑦 𝑒𝑡 𝑛) à partir des données de l’indentation. L’étude de N. Hirota [44], basée sur la méthode de Dao, a été menée pour déterminer la limite d’élasticité des aciers duplex en utilisant la relation de Hall-Petch. Une autre application intéressante de la technique de la nano-indentation est celle présentée dans le travail de Seok et al [45]. Dans cette étude, les auteurs ont évalué les coefficients de Hall-Petch au début de la plasticité et à 7% de déformation en mettant en œuvre des essais d’indentation avec les géométries sphérique et conique. Une conséquence importante de ce travail est la démarche proposée pour comparer le durcissement engendré par des joints de phases et celui des joints de grains.

1.4 Modèles pour décrire l’anisotropie de l’écoulement plastique des aciers