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CHAPITRE 1 : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE DES INTERACTIONS ENTRE

IV- 2 Comportement en eaux carbonatées

Le lessivage des ions calcium des bétons dans notre environnement quotidien se manifeste assez souvent visuellement. En effet, des coulures ou des concrétions blanchâtres sont souvent identifiées à leur surface. Le mécanisme responsable de ces formations est la précipitation de carbonates de calcium par le dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique (gaz)

ou les espèces carbonates en solution (milieu aqueux). Les travaux relatifs à la carbonatation sont en très grande majorité effectués en milieu insaturé. Parrot (cité par Badouix [BAD 00]) et Chaussadent [CHA 97] réalisent des synthèses des résultats liés à la carbonatation.

Les carbonates dans les eaux naturelles peuvent avoir trois origines : l’atmosphère, les phases minérales ou l’activité bactérienne dans les sols ou les effluents. Les eaux naturelles, de surface ou souterraines, présentent un équilibre avec tout un éventail de pressions partielles en CO2, induisant une certaine concentration en carbonates dans la solution, qui

peut être estimée à partir de la loi de Henry.

[H2CO3]* = α.pCO2 avec α = 10-1,46 à 25°C à 1 atm Eq. 1-6 avec [H2CO3]* représentant la concentration totale en carbonates dissous.

L’eau souterraine dans l’argilite du COX est en équilibre avec une pression partielle de CO2

30 fois supérieure à la pCO2 atmosphérique (pCO2 (COX) = 1.3.10-2 atm) [GIR 05] [GAU

06b], imposant une concentration en ions hydrogénocarbonate d’environ 3,3 mmol/L [GAU 07]. L’eau, dans ce cas précis, est en équilibre avec les sédiments carbonatés de la formation naturelle. C’est la dissolution des roches qui apporte les carbonates en solution. Le dioxyde de carbone dissous dans l’eau aboutit à la formation d’acide carbonique H2CO3

(ou CO2(aq)). L’ion HCO3- est l’espèce carbonate majoritaire dans l’eau du COX et dans de

nombreuses eaux naturelles dont le pH est proche de la neutralité. Dans le cas des eaux plus acides (eaux de pluies ou eaux en contact avec des roches acides), l’acide carbonique devient l’espèce majoritaire. Un diagramme de spéciation des espèces carbonates en fonction du pH est représenté en figure 1-9.

Une description détaillée des équilibres chimiques entre les différentes espèces ioniques des carbonates est réalisé par Michard [MIC 89]

Figure 1-9 : diagramme de spéciation des ions carbonate en fonction du pH de la solution ; réalisé avec JCHESS (base de donnée : chess.tdb)

IV-2-2- Le mécanisme de la carbonatation d’une matrice cimentaire La carbonatation d’un matériau cimentaire est l’introduction de carbonates dans un système chimique en évolution permanente. En milieu saturé, lors de la lixiviation de la portlandite et à un degré moindre des C-S-H, un flux de calcium et d’hydroxydes migre de la zone la plus concentrée (la zone saine du béton) vers la moins concentrée en ces éléments (la surface). Dans le cas d’une eau agressive riche en carbonates, la rencontre avec les ions calcium provoque la précipitation d’une phase minérale très peu soluble : le carbonate de calcium.

HCO3-+ H2O → H3O+ + CO32- Eq. 1-7

Ca(OH)2→ Ca2+ + 2OH- Eq. 1-8

CO32- + Ca2+→ CaCO3 Eq. 1-9 Damidot [DAM 95b] propose un diagramme des phases stables du système CaO-SiO2-CO2-

H2O à 25°C (figure 1-10). Par rapport au diagramme Ca O-SiO2-H2O présenté

précédemment, une nouvelle phase minéralogique apparaît, la calcite. Le diagramme comporte trois points invariants :

Point 1 : calcite + C-S-H (SII) (ou C-S-H-γ)+ CH + H2O

Point 2 : calcite + C-S-H (SI) (ou C-S-H-β)+ C-S-H (SII) (ou C-S-H-γ)+ H2O

Point 3 : calcite + SH + C-S-H (SI) (ou C-S-H-α)+ H2O

La carbonatation d’un matériau cimentaire en solution peut se résumer aux deux équations bilans suivantes :

Ca(OH)2 + CO32-→ CaCO3 + 2OH- Eq. 1-10 1,7CaO.SiO2.1,7H2O + 1,7CO32-→ SiO2(am) + 1,7CaCO3 + 3,4 OH- Eq. 1-11

Figure 1-10 : diagramme des phases stables du système CaO-SiO2-CO2-H2O à 25°C [DAM 95b]. L’eau est en excès et n’est donc pas représentée. La solubilité de chaque hydrate correspond à

une surface d’équilibre. Le diagramme contient 5 phases solides : SiO2 aq amorphe (SH), un C-S-H de bas C/S (C/S = 1,1) noté C-S-H (SI), un C-S-H(SII) avec un C/S plus élevé égal à 1,8, la

portlandite (CH) et la calcite

Si l’état de l’art sur la carbonatation est très documenté, il l’est surtout pour la carbonatation en insaturé. La carbonatation en milieu saturé est en effet présentée comme négligeable par rapport à la carbonatation atmosphérique [PAR 89]. Cependant, avec la problématique du stockage des déchets nucléaires dans les couches géologiques profondes, induisant à plus ou moins long terme l’arrivée d’une eau carbonatée en contact des bétons de structure des alvéoles de stockage, l’étude de la carbonatation des matériaux à base de liants hydrauliques devient incontournable pour la modélisation à long terme de la perturbation physico-chimique des alvéoles en béton. De ce fait, de nombreuses expérimentations voient le jour au début des années 90.

Des séries d’expérimentations ont été réalisées sur des pâtes de ciment plongées dans des solutions à différents pH [REV 92]. L’essai qui est particulièrement intéressant ici est celui qui immerge une pâte de ciment CEM I dans une solution à pH = 4,6, en équilibre avec une pCO2 très élevée dans l’atmosphère du réacteur. Des profils de concentrations en calcium

sont réalisés sur des essais de durées égales 3 mois et 2 ans (figure 1-11). La zone saine de l’échantillon est plus riche en calcium (composée de portlandite et de C-S-H et située au-dessus de la barre horizontale sur la figure 1-11). La diminution progressive de la teneur en calcium en se rapprochant de la surface est très nette. Les pics situés en dessous la barre horizontale correspondent à la calcite.

Figure 1-11 : profils microsonde du calcium et du soufre pour des pâtes de ciment CEM I plongées 3 mois et 2 ans dans une solution carbonatée à pH 4,6 [REV 92]

Ces travaux sont complétés 5 ans plus tard par de nouveaux essais de carbonatation de pâtes de ciment en solution, avec cette fois-ci une maîtrise de la concentration en ions carbonate dans la solution agressive ([C] = 0,01 mmol/L) [REV 97]. Cette étude permet de

mettre en avant le rôle de barrière diffusionnelle liée à la formation de carbonates de calcium dans le matériau cimentaire.

Cette notion de barrière de diffusion est étudiée par Badouix [BAD 00]. La figure 1-12 illustre l’effet de l’introduction de carbonates dans la solution agressive sur la diffusion des hydroxydes et du calcium.

Figure 1-12 : évolution des quantités relâchées d’ions calcium et hydroxyles lors d’une période de lixiviation en eau pure suivie d’une période de lixiviation avec NaHCO3 (1.10-3 mol/L)

[BAD 00].

Il apparaît très clairement que la diffusion des ions est fortement ralentie, voire stoppée, après l’introduction des carbonates dans le système. La précipitation de carbonate de calcium colmate la porosité au point de faire chuter le coefficient de diffusion effectif du matériau dans la zone touchée. Dans le but de modéliser l’altération à long terme des bétons, Badouix réalise des essais de lixiviation de pâtes de ciment dans des eaux carbonatées (NaHCO3 à 2,5.10-3 mol/L) à 25°C. L’essai consiste à placer l’échanti llon de

pâte de ciment dans un réacteur thermostaté de 500 mL. Un agitateur magnétique assure l’homogénéisation de la solution. Un titrateur contenant de l’acide nitrique régule la valeur de pH à 8,5. La solution est renouvelée régulièrement pour maintenir les conditions chimiques externes constantes. Le système est très proche de celui utilisé par Revertégat et al. [REV 92]. Après 200 jours, la calcite est le seul composé identifiable sur les 7 premiers microns. Il semblerait qu’une couche colmatante de calcite se forme sur la surface exposée à la solution. Entre 7 µm et 40 µm de profondeur, l’ettringite semble s’être carbonatée. A 75 µm, la portlandite est à l’état de trace et disparaît totalement à 40 µm. Entre 75 et 175 µm, des précipitations d’ettringite sont authentifiées par DRX (augmentation du signal). La perturbation s’étend jusqu’à 250 µm avec le retour à la concentration nominale de la portlandite à cette profondeur (figures 1-13 et 1-14).

Figure 1-13 : image MEB sur section polie de la zone dégradée d’une pâte de ciment CEM I immergée 7 mois dans une solution

à 2,5 mmol/L de NaHCO3 [BAD 00]

Figure 1-14 : schéma de la zonation d’une pâte de ciment CEM I (e/c = 0,4) immergée 7 mois dans une solution à 2,5 mmol/L de NaHCO3 [BAD 00]

Badouix schématise la dégradation en eau carbonatée par un système en cinq zones distinctes :

- Zone 1 : une couche dense, colmatante, en surface (5 µm d’épaisseur)

composée de calcite.

- zone 2 : une couche dense derrière la surface jusqu’à 60 microns composée de

calcite diffuse et de C-S-H.

- zone 3 : une zone très poreuse constituée d’ettringite et de C-S-H. - zone 4 : une zone avec portlandite altérée, ettringite et C-S-H

- zone 5 : une zone saine composée de portlandite, d’ettringite et de C-S-H.

La couche superficielle de surface est décrite comme composée de microcristaux de calcite rhomboédriques très bien formés (automorphes). Leur taille varie entre 400 nm et 1 µm. La couche poreuse d’une centaine de microns présente de l’ettringite parfaitement cristallisée. Une nouvelle étude expérimentale est menée pour identifier l’influence de la carbonatation sur la lixiviation des matériaux cimentaires [KUR 07]. Dans ce même papier, les auteurs présentent également l’influence des chlorures associés aux carbonates.

Des pâtes de ciment CEM I (à différents e/c) sont immergées dans différentes solutions agressives (eau pure, solution saline, solution synthétique représentative d’eau de nappe…). Notre intérêt se porte ici sur l’interaction entre les solutions contenant des carbonates (eau de mer, eau de nappe) et le matériau cimentaire. Comme pour Badouix, la dégradation est réalisée selon une dimension grâce à la protection des faces en périphérie avec de la résine Epoxy pour simplifier la compréhension des mécanismes de dégradation.

La précipitation de calcite est identifiée par DRX et MEB à la surface du matériau et inhibe le processus de lixiviation du matériau cimentaire. Plus la concentration en carbonates dans la solution est importante, plus la dégradation est faible.

La dégradation semble moins importante dans le cas de la solution représentative de l’eau de mer que dans le cas de la solution représentative de l’eau de nappe après 1 an. Les auteurs expliquent cela par le développement d’une couche de calcite à la surface de l’échantillon dans le cas de l’eau de mer (figure 1-15).

Figure 1-15 : distribution élémentaire à la surface des échantillons après immersion pendant 1 an dans une solution représentative d’une nappe souterraine (Fg) ou d’une eau de mer (Sg) (à noter l’existence d’une erreur sur cette figure : aucun enrichissement en Si n’est observé en

eau de mer mais un enrichissement en C) [KUR 07]

Etant donné les concentrations identiques en carbonates dans l’eau souterraine et dans l’eau de mer dans cette étude, la formation d’une couche colmatante en eau de mer peut

s’expliquer par la quantité importante de calcium déjà présente dans la solution (ce qui n’est pas le cas dans l’eau de nappe) et qui au voisinage du matériau est exposée à une brusque augmentation de pH, ce qui permet la précipitation de calcite sur le substrat qu’est la surface du matériau. La croissance se fait très rapidement. La figure 1-16 schématise les mécanismes à l’œuvre dans la formation de cette couche de carbonate de calcium.

Figure 1-16 : schéma des mécanismes simplifiés de l’inhibition de la lixiviation d’un matériau cimentaire immergé dans des solutions contenant des hydrogénocarbonates [KUR 07]. Les matériaux cimentaires à base de ciment Portland plongés dans les solutions contenant des carbonates subissent deux mécanismes d’agressions principaux : la lixiviation et la carbonatation. Lors de la lixiviation de la portlandite, le calcium relâché réagit avec les carbonates de la solution externe pour former un carbonate de calcium, de la calcite le plus souvent en milieu saturé. La carbonatation se traduit par le développement d’une couche colmatante dans les premiers microns du matériau. Cette couche inhiberait les mécanismes d’altération mis en œuvre dans le cas des dégradations en eau pure. Le développement de cette couche n’est pas parfaitement localisé. Certes elle se produit à la surface du matériau, mais est-elle interne à celui-ci (dissolution des phases primaires/précipitation), ou est-ce une croûte exogène qui se développe par-dessus la surface du matériau? Aucune donnée expérimentale n’existe sur la porosité de cette couche en raison de sa taille très mince. Dans tous les cas, cette carbonatation joue un rôle de protection du matériau cimentaire dans les environnements agressifs et sa présence ou non est un enjeu important dans la prédiction du comportement à long terme du matériau cimentaire dans de tels milieux. Une part importante de nos travaux porte sur l’identification, la localisation, la quantification et l’impact sur le transport de cette carbonatation.

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