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La complémentarité entre les savoirs traditionnels autochtones et les connaissances

Le STA peut-il être acquis dans une perspective de complémentarité avec la connaissance scientifique? Y a-t-il compatibilité entre la vision holistique autochtone et la description scientifique d’un écosystème?

Les notions de synergie et de complémentarité sont essentielles à la reconnaissance d’une approche par écosystème. Lors d’une ÉE, les experts reconnaissent que la synergie entre le STA et la science est au cœur de la protection de l’environnement en territoire autochtone. Le milieu de la recherche et du développement s’intéresse aux connaissances traditionnelles. C’est le cas de la pharmacologie. Ce sont aussi toutes les recherches sur le pergélisol. Que dire des efforts et des investissements de l’industrie pétrolière et gazière pour connaître avec

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précision la géologie et la géomorphologie des sites potentiels. La contribution des savoirs traditionnels à la conservation et à l’aménagement est de plus en plus reconnue. Si c’est vrai au Canada, c’est aussi le cas dans plusieurs pays (Upretty et autres, 2012). Le niveau de dégradation des écosystèmes justifie le besoin d’intervention et de conservation et autant d’investissements (Upretty et autres, 2012). De plus, il est de plus en plus reconnu que l’intégration des connaissances scientifiques et traditionnelles est nécessaire non seulement à la connaissance, mais pour assurer le succès des efforts de restauration des écosystèmes dégradés (Upretty et autres, 2012).

Quelle technique utiliser pour colliger l’information recueillie auprès des autochtones? Des experts nous réfèrent au chapitre 22 de la CBJNQ et au rapport d’étape sur la participation du public (Morin, 2014). D’autres penchent plutôt vers l’« Acceptation des aînés et des Chefs de différentes nations » (Borrows, 2014). Au Québec, le régime en territoire conventionné (CBJNQ) intègre les STA de façon différente à ce qui se passe dans la procédure applicable en territoire méridional. Sur le territoire régi par la CBJNQ, le savoir autochtone est pris en compte alors que le processus fait une place prépondérante aux Autochtones en tant que partie prenante et décisionnelle. Ils contribuent à l’analyse des projets, participent aux discussions et leurs perceptions sont intégrés à la prise de décision. C’est un processus conjoint. C’est là un modèle intéressant. Toutefois, il n’est pas applicable en territoire non conventionné. En territoire conventionné le régime de la convention s’applique ainsi que la consultation au grand public. De plus, il y a des consultations par comité (Berrouard, 2014). Le processus de collaboration, de consultation et de prise de décision dans le Québec méridional est tributaire de l’intérêt et de la volonté d’un promoteur et du cadre réglementaire pour identifier les projets devant faire l’objet d’un examen et une évaluation de projet (Q-2, r.23). La participation autochtone s’inscrit dans le processus légal où le BAPE encadre la consultation et s’il y a lieu, les audiences publiques (Q-2, r.45). S’il y a atteinte aux droits autochtones ou aux revendications territoriales, un échange peut s’amorcer entre le gouvernement, la nation autochtone par son Conseil de bande et peut-être le promoteur, pour que toutes les parties prenantes autochtones soient écoutées. Ainsi la contribution autochtone au processus décisionnel sur le territoire du Québec méridional, n’est pas garantie. En pratique, on en vient souvent aux gestes d’éclat pour être mieux entendus (Berrouard, 2014).

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Comment intégrer le STA, leurs formes variées et leur contenu spécifique à un espace dans la planification des projets et dans la gestion des ressources naturelles et leur prise en compte dans l’ÉE? Peut-on affirmer en toute logique que le STA et le savoir scientifique se complètent? Les modes de communication sont-ils efficaces? Et, s’assure-t-on que les impacts d’un projet et les méthodes utilisées lors des évaluations sont présentés de sorte à clarifier tous détails importants?

Certains experts soutiennent que parce que les savoirs sont transmis de génération à génération, et qu’ils sont fondés sur des perspectives autochtones et sont exprimés en langue autochtone, ces savoirs reflètent des points de vue uniques et balisent notre connaissance du développement historique d’un territoire (Borrows, 2014). D’autres vont jusqu’à affirmer qu’il est difficile de définir le STA compte tenu de sa diversité et les difficultés pour le reconnaître. L’important, c’est d’être à l’écoute des différents besoins exprimés formellement par les Conseils de bande (Berrouard, 2014). D’expérience, Landry affirme que :

« la meilleure façon est de laisser le soin à la communauté impliquée de décider de quels savoirs prendre en compte, mais des règles éthiques devraient toutefois être élaborées afin d’encadrer la “ collecte ” des savoirs. En outre, certains outils intéressants pourraient être davantage utilisés afin de respecter la confidentialité des savoirs traditionnels » (Landry, 2014).

S’il y a accord quant à l’intérêt de mieux intégrer le STA aux ÉE, il n’y a pas de consensus sur les pratiques et les modalités de communication. Les autochtones ont certes la responsabilité d’améliorer la situation économique de leur communauté. C’est d’ailleurs pourquoi Morin affirme qu’ils devraient transmettre leurs préoccupations aux promoteurs (Morin, 2014). Mais la pratique ne converge pas avec la réalité. Le STA n’est pas toujours consigné, prêt à être diffusé. Le savoir, c’est surtout ce qui émerge du consensus de la communauté et non simplement l’expression de l’opinion d’un individu (Berrouard, 2014).

Berrouard explique comment on reconnaît de plus en plus ces formes de savoirs qui sont comparables et parfois plus compréhensibles que les savoirs scientifiques, par exemple :

« Une compagnie peut négocier avec les Autochtones sans passer par le gouvernement. Parfois c’est un point positif, mais d’autres fois ceci prive le gouvernement de commentaires provenant des autochtones ou de ceux-ci de se faire entendre. Une nation n’est pas monolithique. On ne peut généraliser un groupe ou une nation, car celle-ci est constituée d’individus, tous différents les uns des autres. Le savoir autochtone c’est autre chose qu’une opinion par un seul autochtone. Il faut que le savoir fasse partie d’un consensus dans la communauté

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autochtone. L’accès à ce savoir n’est pas évident, il n’existe pas de banque de données, et parfois les autochtones ne tiennent pas à divulguer cette information au grand public. L’utilisation du STA par le promoteur est demandée dans la Directive. Par exemple, lors d’aménagements d’infrastructures dans le Nord du Québec au Nunavut, dans un village où coule la rivière George, la Directive d’étude d’impact ne ciblait pas une sorte de poisson, qui pourtant était d’une grande importance pour cette nation autochtone, car ceux-ci se nourrissent des œufs. Le savoir provenant d’Aînées de la communauté a modifié l’ÉIE pour que cette sorte de poisson soit considérée dans l’ÉIE. Un autre exemple est dans le projet d’Eastmain Rupert. Hydro-Québec a travaillé en étroite collaboration avec les Cris de la région pour s’assurer de connaître leurs STA, dans leurs études, surtout dans les travaux terrains. Actuellement le site Internet du Ministère, ainsi que le Guide intérimaire de consultations autochtones » (Berrouard, 2014).

Il y a également les forces, les qualités et les avantages distinctifs d’un mode de vie autochtone, par exemple :

« La vie dans le bois et la diversité des points de vue chez les Autochtones. Le mode de vie, disons traditionnel est certainement plus près de la terre et c’est encore extrêmement important pour eux de transmettre les traditions et les savoirs aux plus jeunes. Mais ces derniers vivent dans un monde différent de leurs parents et de leurs grands-parents. Le degré d’importance que chacun va accorder à ce mode de vie autochtone (traditionnel?) varie énormément d’une personne à l’autre. Mais l’un des points forts est certainement cette connaissance poussée de l’environnement, des relations (au sens large), de l’écologie, l’importance de la communauté, de la spiritualité » (Landry, 2014).

Les auteurs Crawford, Wehkamp et Smith, dans leur projet de recherche Transposer aux évaluations environnementales les points de vue du savoir autochtone et de la science occidentale en matière de gestion adaptative, synthétisent les caractéristiques d’une harmonisation entre le STA et la quête scientifique occidentale en mettant en relation la gestion évolutive, ainsi que la participation des peuples autochtones non seulement à la gestion, mais aussi à la prise de décision. Ce sont là les mêmes constats auxquels sont arrivés les experts que l’auteure a consultés.