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Les constats que nous allons établir suite à l’analyse de ces questionnaires ne vise en aucun cas la généralisation. Nous cherchons à démontrer que l’outil conçu (pour un travail à long terme) a contribué à modifier les conceptions et les croyances des élèves sur le handicap moteur principalement. Pour rappel nos questions de recherche étaient les suivantes :

1. Les représentations sociales des élèves de classe ordinaire sur le handicap moteur:

a) Quelles sont les représentations des élèves ordinaires sur le handicap moteur lorsque leur école ne participe à aucune intégration scolaire ?

b) Sur quoi se basent ces représentations? D’où proviennent-elles ? De quoi se constituent-elles ?

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c) Peut-on modifier les représentations des élèves de classes ordinaires sur leurs camarades présentant un handicap ?

2. L’objectif de création du dispositif pédagogique :

a) Peut-on, à travers la mise en œuvre d’un dispositif particulier, modifier les représentations des élèves de classe ordinaire sur le handicap moteur ?

3. La faisabilité de ce dispositif dans la réalité d’une classe :

a) Un tel dispositif est-il réalisable dans la réalité d’une classe de l’école primaire genevoise ?

Nous avons déjà répondu à la question de recherche 3a. L’outil est réalisable dans la réalité d’une classe genevoise parce que non seulement, il est pluridisciplinaire et donc au service d’autres disciplines, mais aussi, parce que son caractère innovant motive et intéresse davantage les élèves.

Un bref détour par l’analyse globale des questionnaires nous permettra de répondre aux autres questions de recherche.

Les élèves visiteurs comme les élèves organisateurs ont développé une certaine empathie envers les personnes présentant un handicap moteur. Néanmoins, il semble davantage intégré par les élèves ayant travaillé avec Cap sur le handicap que si l’on veut développer une relation sereine et constructive avec ces personnes, il faut tenter de les comprendre.

La perception du handicap comme quelque chose de terrible demeure omniprésente chez tous les élèves. L’image du malheur est associée et imbriquée dans celle de la tristesse. La frontière entre ces deux sentiments n’est pas nette pour les élèves et ils ne peuvent les dissocier du handicap. Pour eux, une personne qui se trouve en chaise roulante n’a pas de chance, et sa situation est triste, donc les élèves sont tristes pour elle. Ils n’ignorent plus qu’elle peut vivre des instants de bonheur, mais le handicap demeure toujours quelque chose de terrible. Nos données révèlent qu’à l’issue de l’intervention pédagogique, la plupart des élèves ont toutefois modifié en partie leur manière de penser : dans le second questionnaire, on trouve plus d’élèves qui soutiennent que ce n’est pas la personne elle-même qui est triste mais la situation dans laquelle elle se trouve.

Nous ne visions pas, à travers l’utilisation de l’outil, à modifier cette conception, mais à faire prendre conscience aux enfants que handicap et bonheur peuvent cohabiter et que la personne présentant un handicap n’est pas toujours en situation de handicap et n’est pas non

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plus si différence des personnes valides dans de nombreuses situations ; elle est même, dans certaines circonstances, plus habiles que ces dernières quand il s’agit par exemple de jouer au basket assis sur un fauteuil roulant, de comprendre la langue des signes ou de décoder du braille. Pari gagné. Les élèves semblent avoir saisi cette idée.

Les automatismes langagiers reviennent rapidement lorsque les élèves parlent entre eux ou sans qu’une question les invite à prendre de recul. Aussi, lorsqu’ils discutent, les notions de malheur et de tristesse sont encore très présentes dans les discours. Mais quand on leur demande si, selon eux, il s’agit d’une caractéristique constante et commune à toutes les personnes, ils répondent par la négative : l’idée de vie épanouie réapparaît.

En référence à notre cadre théorique, nous avions vu que pour être modifiée, une représentation doit être atteinte dans son noyau central (Jouet Le Pors, 2006, Deschamps &

Beauvois, 1996). Or, il semble ici, que les éléments périphériques issus des connaissances de sens commun, constituent une barrière solide. Les idées de tristesse et de malheur véhiculées par la société absorbent les nouvelles conceptions et les empêchent d’atteindre le noyau central et alors, d’opérer une transformation totale (Guimelli, 1994). Aussi, pouvons-nous répondre à la question que nous nous étions posée concernant la provenance des représentations des élèves sur le handicap. Les croyances véhiculées par l’entourage proche des enfants constituent leur référence pour appréhender le handicap. Ces conceptions, encrées dans le système de représentation des élèves, forment une barrière protégeant le noyau central.

Elles permettent aux enfants de se repérer et de ne pas se sentir désabuser si une situation anormale surgit. Or, le dispositif créé les a mis dans une posture nouvelle et les a obligé à remettre en cause leurs perceptions initiales.

Nous pouvons donc répondre à la question de recherche peut-on modifier les représentations des élèves de classes ordinaires sur leurs camarades présentant un handicap.

Il est possible de faire évoluer les représentations des enfants sur le handicap, néanmoins, pour les transformer durablement, un travail encore plus long serait nécessaire.

Nous allons maintenant tenter de répondre à la question de recherche numéro 2, à savoir peut-on, à travers la mise en œuvre d’un dispositif particulier, modifier les représentations des élèves de classe ordinaire sur le handicap moteur ?

La présence de personnes en fauteuil roulant au sein de l’école, est, selon nous, l’élément qui détermine une bonne partie de l’efficacité de l’outil. Les élèves n’étaient pas seulement mis face à des documents, mais étaient confrontés à l’aspect physique du handicap et à la présence de l’outil (la chaise roulante). Les réactions étaient variées et chaque élève a évolué dans sa relation avec la personne présentant un handicap. Certaines étaient flagrantes, les

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élèves concernés étant passés d’un état de retrait et d’observation à l’instauration d’un long dialogue. Ce qu’il faut retenir est que leurs réactions initiales témoignaient de leur véritable rapport au handicap. Leurs actes transcrivent la gêne, la timidité, la crainte ou au contraire, l’aisance, la spontanéité. L’attitude des élèves plus à l’aise a suscité l’intérêt des autres plus en retrait.

Le fait que les élèves aient eu un premier contact lors de l’interview avec une personne en fauteuil roulant a eu une influence non négligeable sur l’accueil qu’ils ont fait à la seconde personne invitée lors de l’exposition. Ils démontraient beaucoup moins de réticence, adoptaient un comportement « naturel » et une atmosphère plus détendue régnait. Au-delà du simple contact, la familiarité qui s’instaure entre les personnes demeure la clef des échanges (Rohmer, 2001, Louvet & Rohmer, 2000).

Dans son texte, Sarah (document donné en cours) exprime ce que Calin (1999) a développé concernant la persistance des relations asymétriques dans les échanges entre enfants valides et présentant un handicap. Sarah s’exprime sur le sujet : « Ils m’aidaient, mais il n’y avait pas d’échange : je ne leur rendais pas service » (p. 9).

Au regard des réponses des élèves ayant participé à la mise en œuvre du dispositif, ils semblent qu’ils aient compris que l’autre, bien qu’avec un handicap, peut également apporter quelque chose, nous apprendre quelque chose. L. a très bien mis en avant le fait que rares sont les fois où on ne leur demande pas s’ils ont besoin d’aide.

Abrahams et al (1990) cités par Desombres (2009). Ces derniers ont montré que, chez les enfants, les « stéréotypes et la stigmatisation sont dépendants du type de handicap ainsi que de la visibilité de celui-ci » (p.4). Les affects comme la pitié ou le rejet s’estompent rapidement, les enfants allant plus facilement vers la personne à mesure qu’ils font sa connaissance. Ils sont intéressés par ce que l’autre vit, sachant qu’ils peuvent vivre les mêmes choses que lui, qu’il est une personne comme eux. Le constat fait par les enfants concernant l’idée que la personne présentant un handicap peut aussi leur apporter quelque chose, leur fournir des connaissances qu’ils n’avaient pas, permet de modifier ces stéréotypes.

Aussi, le contact doit-il être régulier, certes, si l’on se réfère à la théorie d’Allport (cité par Yzerbyt & Schadron, 1996) sur l’hypothèse du contact. Néanmoins, plus que la fréquence, c’est la nature même de la relation qui s’instaure qui va faire toute la différence (Rohmer, 2001). Pour faire évoluer la nature de la relation et des échanges, il faut créer des situations qui permettent aux enfants de comprendre ce que vivent les personnes présentant un handicap : rencontre, explication, recherche, exposition.

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Notre dispositif didactique et pédagogique a contribué à faire évoluer les représentations des élèves sur le handicap moteur. Lorsque les enfants, trois mois après la clôture du dispositif, parlent encore du projet, amènent des documents, demandent des nouvelles de L., nous ne pouvons que penser que le pari a été gagné.

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Annexes