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COMPARAISON AUX TRAVAUX DE LA LITTERATURE

III. DISCUSSION

3. COMPARAISON AUX TRAVAUX DE LA LITTERATURE

Plusieurs études ont eu une démarche méthodologique semblable à notre enquête, notamment auprès des médecins praticiens. En effet, les connaissances et les pratiques faces aux MSF ont été étudiées chez les praticiens de l’Est Parisien [4], et aussi chez les généralistes du département de la Seine et Marne [6]. En Seine Saint Denis, les pratiques des professionnels de santé dans les centres de protection maternelle et infantile [20] et ceux des maternités ont également été objet d’enquêtes [5]. En Espagne, la perception des MSF par les professionnels de santé a été explorée au cours de deux études consécutives en 2001 et en 2004 [7]. Les attitudes des étudiants égyptiens concernant les MSF ont fait aussi l’objet d’une enquête [35], et les facteurs associés à leur indulgence vis-à-vis de cette pratique ont été décrits dans une autre étude réalisée en 2001 [37]. Du côté des patientes, une enquête réalisée auprès des femmes excisées résidant en France s’est intéressée à leur vécu par rapport à leur mutilation [29]. Par ailleurs, les connaissances des complications, des qualifications juridiques ainsi que les attitudes vis-à-vis des MSF ont été enquêtées chez des patientes kenyanes en 2007 [38].

3.1 Connaissances des étudiants

Notre enquête a montré que les connaissances théoriques des étudiants concernant les MSF étaient incomplètes ou erronées, surtout sur le plan juridique. Les étudiants paraissaient conscients de leurs lacunes et se sentaient insuffisamment formés sur le thème des MSF.

Le sentiment de manque de formation était aussi partagé par leurs aînés. En effet, la moitié des médecins interrogés dans les PMI de Seine-Saint-Denis en 2006 ne se considéraient pas suffisamment formés sur les MSF [20].

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Quant au manque réel de formation, la plupart des études ont fait ce constat. L’enquête transversale réalisée auprès des professionnels de la santé en Espagne (n=225 en 2001 puis n=184 en 2004) a montré qu’ils avaient des connaissances insuffisantes concernant la typologie, la répartition géographique et les justifications socioculturelles des MSF [7]. De même, l’étude concernant les professionnels de santé des maternités de Seine-Saint-Denis a révélé que moins d’un tiers parmi eux a été formé au sujet des MSF [5].

3.2 Pratiques des étudiants

Notre enquête a révélé que les étudiants ont sous-estimé la qualification juridique des MSF. Ainsi dans la situation clinique d’une « mineure présentant ou à risque de subir une MSF », l’attitude la plus marquante a été celle de la réticence au signalement administratif et surtout judiciaire.

La plupart des études ayant traité ce sujet ont fait le même constat. En effet 59% des 190 médecins des centres de protection maternelle et infantile en Seine Saint Denis ayant constaté une mutilation n’ont jamais fait de signalement [20]. Ils assimilaient cette obligation à de la « dénonciation ». De manière similaire en 2007, l’obligation de signalement n’était connue que de 40,5% des 119 répondants sollicités parmi des équipes obstétricales dans les maternités de Seine Saint Denis. En 2009, les 236 médecins généralistes interrogés en Seine et Marne ne se sont pas montrés plus volontaires au signalement [6]. Dans ces études, cette réticence au signalement était indépendante du niveau de formation et de connaissances des médecins [6, 20].

3.3 Projet d’abord du thème des MSF avec les patientes et ses déterminants

Etant orientée vers la pratique future, notre enquête est l’une des rares à avoir explorée le projet d’abord du thème des MSF auprès des étudiants.

A noter qu’une étude réalisée en 2001 auprès de 69 étudiants en médecine en Egypte a évalué le projet de pratiquer l’excision auprès des futures patientes [35] (en effet, dans ce pays un tiers des excisions sont réalisées par les médecins ou le corps paramédical). 61% des étudiants avaient exclu cette action de leur pratique future.

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Dans l’enquête réalisée dans les maternités de Seine-Saint-Denis, la majorité des praticiens ont évoqué la question avec les patientes sans aborder ni les complications, ni les possibilités thérapeutiques avec au final un abord incomplet et une prévention insuffisante [5]. La situation a été comparable chez les praticiens de Seine et Marne, seulement 17,2% des médecins répondeurs ont affirmé avoir abordé le thème des MSF au cours d’une consultation [6]. De plus, il y a une différence nette entre le groupe de médecins formés par rapport à celui des praticiens non formés : une meilleure formation se traduisait par une meilleure communication avec les patientes et leurs familles dans les situations pratiques de mineure présentant ou à risque de subir une MSF et aussi chez les femmes majeures excisées.

On note cependant que l’enquête portant sur le vécu de femmes mutilées et qui comportait une enquête secondaire concernant les médecins ayant participé aux entretiens avec les patientes, n’a pas montré de difficultés de la part des praticiens à aborder le sujet. Ces enquêteurs étaient toutefois déjà habitués à évoquer régulièrement cette question, et constituaient un échantillon faible en nombre (11 médecins) [30].

3.3.2 Facteurs influençant l’abord futur des étudiants

Dans notre étude, les facteurs influençant l’abord futur des MSF par les étudiants en médecine ont concordé avec les données publiées dans la littérature auprès des professionnels de santé.

Le sexe

Notre étude a montré que le sexe féminin était l’unique facteur démographique favorisant le projet d’abord chez les étudiants. Plusieurs enquêtes avaient abouti à un résultat similaire. En effet, chez les 477 généralistes de l’Est Parisien, les médecins hommes avaient plus de difficultés à évoquer le sujet que leurs consœurs [4]. Cette différence a été attribuée à la nature de ces pratiques qui touchent à la sphère intime de la sexualité féminine, mais aussi au fait que ces patientes issues de pays traditionnalistes s’adressaient préférentiellement à des médecins femmes pour évoquer les problèmes gynécologiques.

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Une autre enquête transversale réalisée auprès des professionnels de la santé en Espagne (n=225 en 2001, puis n=184 en 2004) a montré que les femmes ont manifesté un plus grand intérêt à ce sujet [7]. Elles identifiaient mieux les différentes typologies des MSF, étaient plus enclines à éduquer et à sensibiliser les patientes, mais quand les approches préventives échouaient, elles signalaient plus souvent que leurs confrères, les MSF constatées.

Compétences techniques

A travers notre étude, ce sentiment de manque de compétence, signalé par les deux tiers des étudiants, s’est révélé être le frein le plus puissant au projet d’abord du thème des MSF. Cet obstacle a rendu l’abord difficile et délicat aussi chez les médecins généralistes de l’Est Parisien [4]. Ils ont estimé nécessiter une formation préalable à l’abord de ce sujet. Par ailleurs les praticiens des maternités de Seine Saint Denis ont exprimé un besoin de formation considérable [5]. En effet 72% parmi eux ne se sentaient pas bien préparés à aborder cette question en consultation.

De manière prévisible, la formation « réelle » acquise a influé sur l’abord en consultation. Ainsi un tiers des praticiens de Seine et Marne formés aux MSF abordait ce sujet au cabinet ; alors que seuls 2.6% des médecins du groupe non formé osait faire cette démarche. Dans l’étude effectuée auprès des étudiants égyptiens, un score composite évaluant leurs connaissances théoriques a été mis au point [37]. Plus le score était élevé, moindre était l’indulgence des étudiants vis à vis des MSF.

Les frontières entre le « sentiment » de manque de formation et le degré de formation « réelle » sont difficiles à distinguer. Néanmoins ces deux variables constituent un frein à l’abord futur des MSF en consultation.

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Compétences relationnelles

Réticence « supposée » des patientes

Dans notre étude, un autre déterminant important du projet d’abord était lié aux compétences relationnelles du médecin. En effet la réticence supposée des patientes a augmenté le risque de ne pas aborder le sujet des MSF par les étudiants de 1,85 fois. Cependant, et selon l’étude réalisée auprès de femmes excisées, la majorité d’entre elles émettait un avis positif sur le fait d’avoir évoqué leur mutilation [30]. Elles ont facilement accepté d’aborder ce sujet avec un médecin et pensaient pour la plupart que c’était utile pour elles (bien que seule une faible proportion d’entre elles abordaient le thème spontanément).

L’autre enquête concernant les praticiens de Seine et Marne, a suggéré que la réticence à évoquer cette question était liée principalement à l’état d’esprit des médecins plus ou moins à l’aise selon leurs connaissances [6].

Au final, la plupart des patientes ne semblent pas réticentes à parler des MSF pour peu qu’on les sollicite. Aussi, le médecin doit dépasser ses propres réticences, faire la part entre ses représentations et les véritables attentes de ces femmes pour un abord sans ambivalence de la question des MSF en consultation.

MSF sujet « Tabou et gênant »

D’une manière inattendue, le 3ème frein par ordre d’importance concernant l’abord futur

en consultation a été le fait de considérer que les MSF étaient « un sujet tabou et gênant ».

De manière similaire, 36,7 % des professionnels de santé enquêtés dans les maternités de Seine-Saint -Denis en 2009 ont répondu qu’ils « n’osaient pas aborder ce sujet délicat et souvent tabou » [6].

Outre l’obstacle technique, la dimension relationnelle de l’exercice médical doit être prise en compte, pour que les étudiants et les praticiens puissent aborder le sujet des MSF et transmettre un message sans ambiguïté à leurs patientes sans qu’elles se sentent contraintes ou jugées.

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Réflexion éthique

D’une manière étonnante, le frein éthique s’est révélé être tout aussi puissant au projet d’abord que le sentiment de manque de formation chez les étudiants.

En 2001, dans l’enquête réalisée auprès de 69 étudiants en médecine en Egypte, pays où les MSF sont un problème de santé publique majeur, 21% d’entre eux ne les considéraient pas comme tel. Leur argumentation se fondait sur des justifications culturelles et sur leur attachement à leurs traditions [35].

En Seine et Marne, la moitié des médecins qui étaient majoritairement opposés aux MSF, admettait que le respect des coutumes et traditions pouvait justifier cette pratique [6]. Ceci indépendamment de leur degré de formation dans ce domaine.

Cette barrière morale a été constatée aussi chez les praticiens de l’Est Parisien enquêtés en 2008 [4]. En effet, certains pensaient que les MSF étaient un problème plus culturel que médical, ils ne savaient comment l’aborder et avaient l’impression de commettre une intrusion dans les coutumes d’autrui.

Au final, aborder les MSF fait appel à une réflexion éthique et nécessite de dépasser les préjugés de « respect des coutumes et traditions ». Actuellement, cette barrière morale est puissamment ancrée dans les esprits des étudiants et de leurs aînés. Une approche transculturelle apportant une réponse conforme à la réflexion éthique est indispensable pour la dépasser.

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