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Compétitions entre amines aliphatiques

On peut prévoir que deux éléments seront clés pour la réaction monoclick : le positionnement de l’alcyne face aux fonctions azoture dans le complexe d’inclusion et la stabilité du produit qui reflète l’état de transition de la cycloaddition (le complexe d’inclusion dans l’hypothèse d’un état de transition précoce ou le produit monofonctionnalisé auto-inclus dans l’hypothèse d’un état de transition tardif). La longueur de l’espaceur est une donnée cruciale pour ces deux éléments. Nous avons donc cherché à évaluer son influence.

La vitesse globale de la monoclick vnest définie à chaque instant comme la vitesse d’apparition

du produit monofonctionnalisé, qui peut être exprimée en fonction de [HGn] puis en fonction des

concentrations en réactifs initiaux et des constantes kn et Kn.

vn= d[Zn · MCnNH2]

dt = kn[HGn] = knKn

[Zn · X6N3·(H2O)] · [CnNH2]

[H2O]

(2.1)

La vitesse absolue vnest difficile à évaluer à cause de l’hétérogénéité du milieu réactionnel. L’in-

fluence de la longueur de l’espaceur a donc été étudiée grâce à des expériences de compétition, d’une part entre C3NH2 et C4NH2, d’autre part entre C4NH2 et C5NH2. Les processus d’inclusion et

de cycloaddition intramoléculaire ont été examinés séparément.

a. Complexations compétitives : détermination des valeurs relatives de Kn

Les expériences de complexation compétitives ont été effectuées dans CD3CN à 300 K. Dans

un premier temps, nous nous sommes intéressés à la compétition entre C3NH2 et C4NH2. Des

solutions des deux amines sont préparées dans CDCl3 avec un étalon interne (DMF pour C3NH2,

1,2-dibromoéthane (DBE) pour C4NH2) et les spectres RMN 1H sont enregistrés (Figure 2.5).

L’intégration relative6 de chaque amine par rapport à son étalon permet de doser chaque solution.

Les concentrations sont indicées d’un zéro pour indiquer qu’il s’agit de la concentration initiale en amine, avant complexation.

[C3NH2]◦ [DMF] = 2.00/2 4.57/6 = 1.31 ± 0.05 (2.2) [DBE] [C4NH2]◦ = 4.14/4 2.00/2 = 1.04 ± 0.05 (2.3) Un mélange des solutions dosées est alors ajouté sur une solution de complexe précurseur [Zn·X6N3·(H2O)]2+ dans CD3CN, tel que les deux amines soient introduites en excès, et le spectre

RMN 1H est enregistré (Figure 2.6). On n’observe plus de complexe de départ, ce qui indique que

la complexation est quantitative.

6. En refaisant les intégrations à l’aveugle plusieurs fois, nous avons déterminé une incertitude relative d’environ 5% sur chaque mesure.

2.3. Monoclick avec les aminoacétylènes CnNH2 (n = 3, 4, 5) 61 DMF(6H)! DBE(4H)!

!"

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#"

#+$"

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H

2

O!

H

2

O!

(a)! (b)! NH2 ! " # $ NH2 ! " # $ %

Figure 2.5 – RMN 1H (CDCl3, 500 MHz, 300 K) des solutions d’aminocétylènes et leurs étalons internes : (a) C3NH2 et DMF ; (b) C4NH2 et DBE. Les intégrations sont indiquées sous chaque

signal.

Le nombre d’équivalents introduits de chaque amine est déterminé par intégration relative de chaque étalon interne et du calix[6]arène (ici, la somme des deux signaux des protons HArN3 de

chaque complexe d’inclusion).

[C3NH2]◦ [Zn · X6N3]◦ = [C3NH2]◦ [DMF] · [DMF] [Zn · X6N3]◦ = 1.31 ·46.2/6 6.0/6 = 10.1 ± 1.0 (2.4) [C4NH2]◦ [Zn · X6N3]◦ = [C4NH2]◦ [DBE] · [DBE] [Zn · X6N3]◦ = 1 1.04· 43.2/4 6.0/6 = 10.4 ± 1.0 (2.5) Ainsi, environ 10 équivalents de chaque amine ont été introduits : le mélange est presque équi- molaire. Le rapport des concentrations en complexes d’inclusion est déterminé par le rapport des intégrations des méthylènes β de chaque espèce.

[HG4]

[HG3]

= 1.29

0.71 = 1.82 ± 0.10 (2.6) On constate donc que pour une introduction d’amines en quantité équimolaire, le complexe d’inclusion avec l’amine C4NH2 est favorisé.

Ensuite, il faut déterminer le rapport des concentrations en amine libre après complexation. L’intégration directe sur le spectre est difficile à cause du chevauchement des signaux des amines libres entre elles et avec les résonances du calixarène. On obtient donc le résultat en déduisant du nombre initial d’équivalents de chaque amine la quantité de complexe d’inclusion correspondant formé.

62 Chapitre 2. Monofonctionnalisation de calix[6]arènes tris-imidazole s! s! s! tBu! HArN3! DMF! (1H)! ImH! f! f! f! f! f! DMF! (6H)! DBE! (4H)! Bu !4" !3" #4" #3"

Figure 2.6 – RMN 1H (CD3CN, 500 MHz, 300 K) du mélange de complexes d’inclusion HG3 et HG4 et zoom sur la zone des champs forts. Les méthylènes β et γ d’un complexe HGn sont

respectivement notés βn et γn. Les intégrations sont indiquées sous chaque signal. s = solvant

résiduel, f = aminoacétylène libre.

[C3NH2] [C4NH2] = [C3NH2]◦−[HG3] [C4NH2]◦−[HG4] = 10.1 − 0.71/2 10.4 − 1.29/2 = 1.0 ± 0.1 (2.7) On en déduit enfin le rapport des constantes d’association.

K4 K3 = [HG4] [HG3] ·[C3NH2] [C4NH2] = 1.82 ± 0.20 (2.8)

Par des expériences et des calculs similaires, nous avons pu déterminer également le rapport des constantes d’association lors d’une compétition entre C4NH2 et C5NH2.

K4

K5

= 1.87 ± 0.20 (2.9)

Ainsi, l’aminoacétylène possédant un espaceur à quatre chainons (C4NH2) est le meilleur ligand

des trois. Les constantes d’association sont tout de même du même ordre de grandeur, ce qui s’explique par le fait que la force motrice de la complexation est le fort gain enthalpique lors de la création de la liaison de coordination azote-zinc. La sélectivité en faveur de l’invité à quatre chainons est contrôlée par des interactions plus faibles entre la chaîne aliphatique et la cavité, probablement

2.3. Monoclick avec les aminoacétylènes CnNH2 (n = 3, 4, 5) 63

des interactions de type CH-π.

Nous supposons désormais que les valeurs relatives de Kn déterminées dans CD3CN à 300 K

restent valides dans le toluène à 110°C (conditions de la monoclick) puisque les structures des trois amines sont proches et aucun effet de solvant favorisant un complexe d’inclusion particulier n’est attendu.

b. Cycloadditions compétitives : détermination des valeurs relatives de kn

Le facteur entropique est primordial dans les réactions de cycloaddition car le bon positionne- ment spatial des réactifs avant réaction est clé pour la réactivité. L’étape de reconnaissance présentée ci-dessus permet le rapprochement des réactifs et la longueur n de l’espaceur impose le positionne- ment relatif de l’alcyne et des azotures. Plus ils sont proches, plus le système se rapproche de l’état de transition et plus la réaction est rapide. Nous nous sommes donc intéressés aux valeurs relatives des constantes de cycloaddition intramoléculaire kn.

Une fraction du mélange des complexes d’inclusion HG3 et HG4 obtenu précédemment a été

diluée dans du toluène sec et cette solution a été chauffée au reflux pendant 2 heures.7 Après

précipitation à l’éther et plusieurs cycles de centrifugation et de lavage à l’éther, un solide a été obtenu et analysé par RMN 1H (Figure 2.7).

!

4"

!

3"

#

4"

Figure 2.7– RMN1H (CD3CN, 500 MHz, 300 K) du mélange des complexes monofonctionnalisés [Zn·MC3NH2](ClO4)2 et [Zn·MC4NH2](ClO4)2 dans la zone des champs forts. Les méthylènes β et

γ d’un complexe [Zn·MCnNH2](ClO4)2 sont respectivement notés βn et γn. Les intégrations sont

indiquées sous chaque signal.

Le rapport des concentrations en complexes après réaction (t → ∞) est évalué par intégration relative des méthylènes β.

[Zn · MC4NH2]∞

[Zn · MC3NH2]∞

= 2.00

0.88 = 2.27 ≃ 2.3 ± 0.1 (2.10) Pour obtenir le rapport des kn, il faut déterminer le rapport des vn car à chaque instant on peut

écrire : v4 v3 = k4 k3 ·K4 K3 ·[C4NH2] [C3NH2] (2.11)

7. L’équilibre HG3+ C4NH2 ⇄ HG4+ C3NH2 étant indépendant de la concentration totale, la dilution ne

64 Chapitre 2. Monofonctionnalisation de calix[6]arènes tris-imidazole

À ce stade, une approximation est nécessaire pour relier le rapport des produits en fin de réaction au le rapport des réactifs à t = 0. Si on suppose que le rapport des concentrations en amines libres reste constant, ce qui est raisonnable car elles ont été introduites en large excès (environ 10 équivalents chacune), alors le rapport des vitesses est constant. Sous cette approximation, le rapport v4/v3 peut-être évalué à n’importe quel instant t > 0. Nous choisissons donc de l’évaluer à temps

infini grâce au rapport des concentrations des produits monofonctionnalisés.

v4 v3 = d[Zn · MC4NH2] d[Zn · MC3NH2] = [Zn · MC4NH2]∞ [Zn · MC3NH2]∞ = 2.3 ± 0.1 (2.12)

Par ailleurs, nous pouvons évaluer le rapport à t = 0 :

v4 v3 = k4 k3 ·[HG4]◦ [HG3]◦ (2.13)

En combinant les équations (2.12) et (2.13), on obtient le rapport des constantes de vitesses.

k4 k3 = [Zn · MC4NH2]∞ [Zn · MC3NH2]∞ ·[HG3]◦ [HG4]◦ = 2.27 · 1 1.82 = 1.25 ≃ 1.3 ± 0.10 (2.14) Une étude similaire avec les amines C4NH2 et C5NH2 a permis d’établir le rapport de leurs

constantes cinétiques.

k4

k5

= 2.3 ± 0.2 (2.15)

Ainsi, le substrat qui conduit à la plus grande constante de vitesse est l’aminoacétylène à quatre chainons C4NH2, ce qui démontre que pour n = 4, l’arrangement spatial entre les groupes azoture

et la fonction acétylène dans le complexe d’inclusion HG4 conduit à l’état fondamental le plus

favorable pour la cycloaddition.

c. Conclusion des expériences de compétition, analogie avec le modèle de Michaelis- Menten

La conversion catalytique d’un substrat S en produit P par un enzyme E peut-être décrite par le modèle de Michaelis-Menten. L’association entre l’enzyme et son substrat conduit à un intermédiaire E·S qui évolue en P et libère E, qui peut à nouveau transformer une molécule de substrat.

E + S ⇄k1

k−1

E · S kcat

−−→E + P

La résolution du système cinétique conduit à l’expression de la vitesse de la réaction enzymatique :

v = kcat [E]◦[S]

KM+ [S]

avec KM=

k−1+ kcat

k1

Dans l’hypothèse où la réaction chimique est lente (kcat ≪k1, k−1), l’association enzyme-substrat

peut-être considérée comme un pré-équilibre. L’expression de KM se simplifie alors et on reconnait

2.3. Monoclick avec les aminoacétylènes CnNH2 (n = 3, 4, 5) 65

en faible quantité, l’expression de la vitesse se simplifie.

v = kcat KM [E]◦[S] et KM= k−1 k1 = 1 Kass

Le rapport kcat/KM devient donc une constante de vitesse de deuxième ordre entre le sub-

strat et l’enzyme et mesure la spécificité de l’enzyme pour un substrat en combinant le paramètre thermodynamique de l’association avec le paramètre cinétique de la transformation.

Notre réaction monoclick est très similaire à ce modèle, à la différence que le processus n’est pas catalytique car le calix[6]arène est transformé. Par analogie, Kncorrespond à 1/KMet kncorespond

à kcat. La spécificité de complexe précurseur pour les trois invités est donc quantifiée par le produit

knKn : k4K4 k3K3 = 2.2 et k4K4 k5K5 = 4.3 (2.16)

Cette analyse indique une plus grande spécificité pour C4NH2. Vient ensuite C3NH2, tandis

que C5NH2 est très nettement le moins bon substrat des trois.

2.3.4 Analyse conformationnelle : rationnalisation de la longueur optimale de