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CHAPITRE 4 – RIRE ET ENSEIGNEMENT

4.1 Compétences de l’enseignant

À nos yeux, lorsque nous rions, nous introduisons de la joie dans notre vie. En tant qu’enseignants nous avons, en plus de notre objectif d’instruire, de socialiser et de former les élèves qui nous sont confiés, ce désir de rendre leurs journées agréables. Pour ce faire, le rire est un ingrédient de choix. Mais ce dernier requiert des compétences personnelles que nous avons regroupées au sein de quatre thématiques : adopter une attitude réflexive, se connaître et se faire confiance, savoir rire de soi et prendre du recul. Précisons que le maître n’est pas tenu d’être irréprochable dans chacune de ces catégories. Notre objectif est ici de souligner l’importance de la connaissance de soi dans une profession dont nous pourrions comparer les rapports humains aux fondations d’un édifice.

Attitude réflexive

La relation que nous entretenons avec le rire est très souvent liée à l’histoire de l’individu.

Mais il ne suffit pas d’avoir vécu des expériences pour en tirer profit, il s’agit, idéalement, de s’y replonger a posteriori, d’y réfléchir et d’en tirer des apprentissages. Lors de nos entretiens, nous avons pu remarquer combien il est important de se connaître pour devenir, être et rester heureux et épanoui dans son métier d’enseignant. Paolo nous a confié qu’il portait fréquemment un regard critique sur lui-même, essayant d’analyser les raisons de certains de ses comportements. Pour lui, il existe un lien qui unit sa propre estime et la discipline qu’il pratique en classe; l’humour y est souvent utilisé afin de faire appliquer une directive. Paolo ne souhaite en aucun cas indisposer ses élèves par ses interventions. Lorsque toutefois un commandement est nécessaire, il essaye d’en atténuer la sévérité en utilisant des pincettes humoristiques. Comme le dit Ryan, il existe un jeu incessant entre l'influence qu’a le sujet sur l'objet et celle que crée l'objet sur le sujet. Son objet à lui, c’est l’enseignement qu’il définit comme la transmission de connaissances et l’éducation à la citoyenneté; “c'est mon objet qui m'influence, qui m'a influencé, qui fait que j'ai la joie de vivre, beaucoup de plaisir à faire ce que je fais et du plaisir à me lever le matin pour venir enseigner”. Nous pouvons donc considérer que ce plaisir de venir travailler est lié au fait que Ryan connaisse, par le biais d’une attitude réflexive, la raison de cette joie.

Dans le cadre de nos entretiens, certains professionnels se sont même parfois livrés à cœur ouvert, nous offrant la possibilité d’être témoins de leur auto-analyse. C’est le cas de Paolo qui s’est, l’espace de quelques instants, plongé dans des souvenirs lointains. Il fait référence aux touches d’humour qu’il insère çà et là, au gré de ses activités:

Ça fait quinze ans que j’enseigne et des petites situations comme ça, j’en ai une coupe dans mon sac. Puis c’est comme ça que je vais aller placer ma discipline pour être à l’aise dans ma classe parce que, trop sérieux, je n’aime pas ça. Je n’étais pas capable de fonctionner dans un cours trop sérieux, je détestais l’école. […]. Je ne me rappelle de beaucoup d’autres enseignants qui étaient capables de venir me chercher comme ça, comme le Père M. C’est donc ma façon de fonctionner.

Annie, enseignante depuis de nombreuses années, nous a quant à elle fait part d’une expérience dont elle a su tirer une leçon : le professionnel peut aussi se faire attraper par le rire. Elle se souvient d’une activité durant laquelle elle fut prise d’un fou rire. S’arrêter était impossible. À chaque fois qu’elle essayait, elle se stoppait quelques instants, se concentrait, mais rien n’y faisait, ça recommençait de plus belle ! Finalement, elle s’en est allée boire un peu d’eau, s’est excusée auprès de ses élèves et a repris son cours. Cet événement lui a appris que le rire, même nerveux, peut toucher chacun de nous. Sans cette attitude réflexive, nos

enseignants n’auraient rien retiré de leurs expériences. C’est à nos yeux cette capacité de revenir sur les conséquences de nos actes et sur nos ressentis qui nous fait progresser et qui nous permet de nous connaître toujours un peu plus.

“Il faut toujours se réserver le droit de rire le lendemain de ses idées de la veille.” Napoléon Bonaparte

Confiance et connaissance de soi

Un enseignement de qualité commence, à nos yeux, par un professionnel bien dans sa peau, qui se connaît et qui s’estime. Linda déclare, au cours de son entretien que, parce qu’elle est consciente de ses limites et qu’elle a confiance en elle, elle ne craint pas d’utiliser le rire en classe et même parfois de l’intensifier volontairement. Notre enseignante nous énonce que le recours au rire n’est pas absolument nécessaire, mais que pour y avoir accès, nos pratiques doivent être en accord avec ce que nous sommes. Il faut avoir conscience de nos limites et faiblesses et croire en ses forces avant de monter pour la première fois sur les planches du rire.

Mary semble se connaître elle aussi très bien et nous le fait comprendre en nous disant sur un ton sûr que, lorsqu’elle est fâchée, ça se voit et tout le monde le sait. De la même manière, lorsqu’elle a envie de rire, de plaisanter et de s’amuser, son entourage s’en rendra rapidement compte ! Pour Mary, l’enseignement c’est avant tout “vivre avec les enfants” et vivre c’est pleurer, rire, être en colère, aimer, etc. Dans ses propos se cache un cheminement personnel au travers de ses expériences et de ses émotions, un parcours qui fait qu’aujourd’hui Mary sait comment être en accord avec elle-même.

Paolo nous fait lui aussi comprendre qu’il a une très bonne connaissance de ses envies et de ses besoins. Il nous avertit que nous ne pourrions sous aucun prétexte le forcer à mener une activité qu’il ne souhaite pas effectuer. Il en a fait l’expérience et cette dernière ne s’est pas avérée concluante : “je l’ai fait une fois mais ce n’était pas génial, j’étais comme borné. Ce sont des situations qui ne m’intéressent pas”. Paolo présente à ses élèves des situations choisies par ses soins et teintées de ses couleurs. Ces récits nous montrent donc combien il est important, avant d’endosser le costume d’enseignant et d’avoir recours au rire, de savoir qui nous sommes et de se faire confiance.

Rire de soi et prendre du recul

Mais ce costume ne doit en aucun cas cacher l’authenticité de l’individu qui le revêt.

L’enseignant est, comme le dit Reymann Sutter (2001), présenté “[…] avec ses qualités et ses défauts, car son efficacité passe par la congruence du sujet lui-même […]” (p.81). Il est appelé à refuser de se prendre au sérieux. Comme le dit Linda, nous nous mettons en danger,

“parce que dans l’humour, il y a aussi beaucoup de…rire de soi-même, de nos erreurs”.

L’enseignant doit accepter de rire de lui. Linda nous a parlé de ses cheveux blancs, couleur qu’elle n’a pas choisie. Allergique aux colorations, elle se voit dans l’obligation de laisser la nature et le temps prendre le dessus. Durant un certain temps, notre enseignante ne voulait plus se montrer en public. Elle était découragée. Un jour, elle se demande si, finalement, cette couleur dérangeait vraiment son entourage ? Depuis, elle n’a plus honte de se montrer telle qu’elle est réellement, sans nécessairement recourir à des artifices. Walker & Walker (1994) affirment qu’il est essentiel “d’être capable de rire de [nous]-même et de voir les drôleries de certaines situations tous les jours” (p.52). Il s’agit en effet de prendre du recul face à des événements qui pourraient être vus comme offensifs ou contrariants, de les mettre à distance par le biais du rire. Une manière plaisante d’être bien dans son établissement, avec ses élèves et dans sa peau. Joseph Folliet, sociologue et écrivain français, dirait : “Bienheureux celui qui a appris à rire de lui-même : il n’a pas fini de s’amuser” (site Internet 1) !

Une fois ces compétences acquises ou du moins mises en lumière dans l’esprit du professionnel, le rire pourra être utilisé et laisser éclater au grand jour son importance.

Comme le laisse transparaître Rinza (1988), le rire rend humain. De plus, au risque de nous répéter, rappelons qu’il est crucial d’avoir du plaisir dans la profession que nous exerçons, tant pour notre bien-être que pour celui de nos élèves. Cuq (Savoir(s) en rire 3) nous offre une très belle définition de l’acte éducatif : “Faire plaisir en se faisant plaisir” (p.61).