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Nous avons fait le choix de commencer par une analyse du signifiant afin de pouvoir en dégager la spécificité et construire l’étude de l’ouvrage en partant d’un mode d’écriture

67 « Si influence il y a eu, elle est venue de la littérature allemande du XIXe siècle, qui possède des rythmes prosodiques très prononcés, où la prose est plus importante que, dirons-nous, le contexte social ou l’action dans tous les sens du terme. Cette littérature allemande du XIXe siècle était, même à cette époque, très provinciale et sa réception en dehors des limites de l’Allemagne ne mérite pas d’être mentionnée. Mais elle a toujours été proche de moi, notamment parce que tous les écrivains sont originaires des pays situés à la périphérie de l’espace germanophone d’où je viens. Adalbert Stifter en Autriche. Gottfried Keller en Suisse. Tous deux sont de merveilleux écrivains qui sont parvenus à un très haut degré d’intensité dans leur prose. » The emergence of memory, conversations with W.G. Sebald, p. 77-78 (traduction personnelle).

bien défini. Ainsi nous proposons dans ce chapitre de relever avec précision les marques de la

langue et du style de Die Ausgewanderten : les différentes stratégies d’écriture – longs rubans

phrastiques, hypotaxe, parataxe, harmonie imitative, effets mélodiques, rythmiques et

stylistiques, allitérations, assonances, rhétorique argumentative, pamphlétaire ou satirique,

écriture picturale, le tout participant d’un lyrisme élégiaque

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. Mais au-delà de ce ton lyrique,

la langue de W.G. Sebald, lourde de souvenirs, de mémoire et d’histoire, s’élève avec d’autant

plus de force que la densité de son tissu textuel la tient au sol. La langue, ici, suit le tracé de la

conscience individuelle qui, attachée dans le filet arachnéen de ses itinéraires, s’élève pour

rejoindre un degré supérieur. Ainsi que le narrateur l’écrit dans Die Ringe des Saturn au sujet

de la langue de Thomas Browne, celle de W.G. Sebald offre une matière qui, malgré la

densité et la longueur des phrases, pratique l’art de la lévitation :

Und um den dafür notwendigen Grad von Erhabenheit zu erreichen, gab es für ihn nur das einzige Mittel eines gefahrvollen Höhenfluges der Sprache. Wie die anderen Schriftsteller des englischen 17. Jahrhunderts führt auch Browne ständig seine ganze Gelehrsamkeit mit sich, einen ungeheuren Zitatenschatz und die Namen aller ihm voraufgegangenen Autoritäten, arbeitet mit weit ausufernden Metaphern und Analogien und baut labyrinthische, bisweilen über ein, zwei Seiten sich hinziehende Satzgebilde, die Prozessionen oder Trauerzügen gleichen in ihrer schieren Aufwendigkeit. Zwar gelingt es ihm, unter anderem wegen dieser enormen Belastung, nicht immer, von der Erde abzuheben, aber wenn er, mitsamt seiner Fracht, auf den Kreisen seiner Prosa höher und höher getragen wird wie ein Segler auf den warmen Strömungen der Luft, dann ergreift selbst den heutigen Leser noch ein Gefühl der Levitation70.

« La Shoah nous emplit de honte », c’est en ces termes que s’est exprimée la

chancelière allemande, Angela Merkel. Premier chef de gouvernement allemand à être reçu,

mardi 18 mars 2008, dans l’enceinte de la Knesset, le parlement israélien, Angela Merkel s’y

est exprimée quelques instants en hébreu, donnant ainsi une tonalité supplémentaire à ce geste

de réconciliation hautement symbolique, plus de soixante ans après le génocide juif. Seuls

69 Ainsi que l’étymologie du mot l’indique, le lyrisme est lié à l’idée de musique – lyrisme vient de lyre, instrument de musique –. La poésie lyrique était une poésie chantée qu’un accompagnement de lyre soutenait. Et si au XVIIIe siècle l’expression du sentiment personnel nourri par l’individualisme se développe considérablement le lyrisme s’attache alors à des caractéristiques comme l’émotion, la subjectivité, la nostalgie ; Hegel définit dans son Esthétique la poésie lyrique : « Ce qui forme le contenu de la poésie lyrique, ce n’est pas le déroulement d’une action objective s’élargissant jusqu’aux limites du monde, dans toute sa richesse, mais le sujet individuel et, par conséquent, les situations et les objets particuliers, ainsi que la manière dont l’âme, avec ses jugements subjectifs, ses joies, ses admirations, ses douleurs et ses sensations, prend conscience d’elle-même au sein de ce contenu. » Hegel, Esthétique, La Poésie, Paris, Aubier-Montaigne, 1965, p. 253.

70 « Et pour atteindre le degré d’élévation que cela nécessitait, il n’avait d’autre moyen que de voler à haute altitude, dangereusement sur les ailes de la langue. A l’instar des autres écrivains du XVIIe siècle anglais, Browne est constamment lesté de toute son érudition, un fonds colossal de citations comprenant les noms de tous ceux qui ont fait autorité avant lui ; il use de métaphores et d’analogies qu’il pousse jusque dans leurs derniers retranchements et bâtit des phrases labyrinthiques, se déroulant parfois sur une et même deux pages entières, foisonnantes, semblables à des processions ou à des cortèges funèbres. En raison notamment de cette charge énorme, il ne parvient pas toujours à décoller du sol, mais quand il se laisse porter, tel un adepte du vol à voile aspiré par les courants d’air chaud, de plus en plus haut, avec son fardeau, par les mouvements orbiculaires de sa prose, alors, même le lecteur d’aujourd’hui a le sentiment d’entrer en lévitation. » RS, p. 29-30 (Les Anneaux de

quelques députés de l’extrême droite étaient manquants, déclarant que la langue allemande

était la langue de la Shoah et que par conséquent elle ne devrait plus être permise. C’est sans

doute pour cette raison que la langue de W.G. Sebald est une langue volontairement purifiée

des scories de l’Histoire : langue muséale, elle rappelle l’époque d’avant la Shoah.

L’écriture de Sebald réfléchit le scandale de la Shoah. Et Max Aurach, héros éponyme

du quatrième récit de l’ouvrage, nous offre, nous venons de le dire, l’allégorie de l’élégante

dame vêtue d’une robe de bal en soie grise qui représente l’Allemagne d’avant la déchirure :

lorsqu’il pense à l’Allemagne, c’est la folie qui lui vient à l’esprit. Aussi ne veut-il se souvenir

que de l’Allemagne d’avant 1939, d’avant l’émigration, d’avant son départ à l’aéroport de

Munich. Et de même que la langue allemande vit en lui comme un murmure lointain, de

même il se rappelle l’Allemagne comme quelque chose d’effacé, de distant, de gris, au devant

duquel se dessinent processions, défilés et parades du Troisième Reich :

Wenn ich an Deutschland denke, kommt es mir vor wie etwas Wahnsinniges in meinem Kopf. Und wahrscheinlich aus der Befürchtung, dass ich dieses Wahnsinnige würde bestätigt finden, bin ich nie mehr in Deutschland gewesen. Deutschland, müssen Sie wissen, erscheint mir als ein zurückgebliebenes, zerstörtes, irgendwie extraterritoriales Land, bevölkert von Menschen, deren Gesichter wunderschön sowohl als furchtbar verbacken sind. Sämtlich tragen sie Kleider aus den Dreißiger Jahren oder noch ältere Moden und außerdem zu ihren Kostümen völlig unpassende Kopfbedeckungen – Fliegerhauben, Schildmützen, Klappzylinder, Ohrenschützer, gekreuzte Stirnbänder und handgestrickte wollene Kappen. So erscheint bei mir täglich eine elegante Dame in einem Ballkleid aus grauer Fallschirmseide und mit einem breitkrempigen, mit grauen Rosen besteckten Hut. […] Ich glaube, die graue Dame versteht nur ihre Muttersprache, das Deutsche, das ich seit 1939, seit dem Abschied von den Eltern auf dem Münchner Flughafen Oberwiesenfeld, nicht ein einziges Mal mehr gesprochen habe und von dem nur ein Nachhall, ein dumpfes, unverständliches Murmeln und Raunen noch da ist in mir. Möglicherweise, fuhr Aurach fort, hängt es mit dieser Einbuße oder Verschüttung der Sprache zusammen, dass meine Erinnerungen nicht weiter zurückreichen als bis in mein neuntes oder achtes Jahr und dass mir auch aus der Münchner Zeit nach 1933 kaum etwas anderes erinnerlich ist als die Prozessionen, Umzüge und Paraden, zu denen es offenbar immer einen Anlass gegeben hat71.

La langue de Sebald refuse l’histoire et les souillures du nazisme, elle est restée en quelque

sorte dans sa beauté virginale. Elle traduit, ainsi que l’explique Sigrid Korff, l’intention de

l’auteur de redonner à la langue allemande la légitimité et la souveraineté perdues : Sebalds

71 « Quand je pense à l’Allemagne, elle se présente à mon esprit comme quelque chose de démentiel. C’est vraisemblablement par crainte de trouver cette démence confirmée que je n’y suis plus jamais retourné. L’Allemagne, il faut que vous le sachiez, m’apparaît comme un pays resté en arrière, détruit, en quelque sorte extra-territorial, peuplé de gens dont les visages sont à la fois merveilleux et « mal cuits », ce qui est effrayant. Tous portent des vêtements des années trente ou à la mode il y a encore plus longtemps, et en outre des couvre-chefs qui ne siéent absolument pas à leurs tenues – bonnets d’aviateurs, casquettes à visière, gibus, protège oreilles, bandeaux croisés sur le front et bonnets de laine tricotés main. Presque tous les jours apparaît chez moi une dame élégante, en robe de bal taillée dans de la soie grise de parachute, avec sur la tête une grande capeline piquée de roses grises. […] Je crois que la dame grise ne comprend que sa langue maternelle, l’allemand, que depuis 1939, depuis les adieux à mes parents sur l’aéroport munichois d’Oberwiesenfeld, je n’ai plus jamais parlé une seule fois et dont il ne me reste qu’un écho, un murmure, un bruissement sourd et inintelligible. Il est possible, continua Ferber, que cette perte et cet ensevelissement de la langue aient quelque chose à voir avec le fait que mes souvenirs ne remontent pas plus loin qu’à ma neuvième ou huitième année et qu’il ne me reste de l’époque de Munich après 1933 guère plus que les processions, les défilés et les parades pour lesquels visiblement les occasions ne manquaient pas. » DA., p. 270-272 (Les émigrants, p. 237-238).

Konstruktion einer Sprache, die die Sprachentwicklung nach 1933 ausklammert, indem sie