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Le comique recouvre tout ce qui peut distraire et faire rire le récepteur

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Victoroff.D (1953). Le rire et le risible, PUF.

Le comique recouvre tout ce qui peut distraire et faire rire le récepteur

sans que cela nécessite un effort de sa part, se rattachant en cela aux théories

affectives ou ludiques. Le comique, utilisé au premier degré, serait donc plus

direct.

Quant à l’humour à proprement parler, il est plus subtil, souvent sous

entendu, il relève du fameux « second degré ». Il fait plus appel à l’intelligence

et demande un effort de compréhension, créant ainsi un climat de complicité et

de connivence (théorie cognitive).

Le ton d’un message publicitaire peut ainsi, selon qu’il se rapproche plus de

l’humour ou du comique, présenter des risques ou des contraires différentes

pour les publicitaires et les annonceurs. Dans le cas du comique, le risque

majeur est de sombrer dans le vulgaire, alors que pour l’humour, l’écueil

principal est la difficulté de compréhension du message.

Et si nous réconcilions tout le monde en disant que l’humour c’est du comique qui a de l’esprit ?

Et puisque rien n’est plus clair qu’un bon exemple, risquons-nous à raconter cette histoire pour justifier et illustrer la différenciation opérée. On la doit à Chamfort : un Marquis, entrant dans le boudoir de sa femme, trouve celle-ci dans les bras d’un évêque. Il va alors calmement vers la fenêtre, et commence à faire le signe de la croix, comme s’il bénissait une foule se trouvant en bas. « Mais, que faites-vous ? », demande la femme angoissée. « Monsieur remplit mes fonctions », répondit le Marquis, « alors moi je remplis les siennes. »

Exemple évident de réaction faisant appel à l’humour. L’utilisation du comique aurait consisté dans une franche caleçonnade, poursuite de Monseigneur l’Evêque en petite tenue, façon Louis de Funès, qui aurait certes fait rire, mais qui en même temps aurait probablement ridiculisé le Marquis autant que l’Evêque. L’appel à l’humour lui aura au contraire permis de se sortir dignement d’une situation ou généralement le hommes prêtent plutôt à rire.

Tableau 1.1 L’humour et le comique

Humour Comique

Ton employé Impassible Plaisant, amusant

Effet désiré Connivence Rire, détente

Mécanisme utilisé Défi, distance Jeu, plaisir

Lieu de réception Tête (cognitif) Cœur (affectif)

Facilité de compréhension Effort, certain délai Aucun effort, immédiate

Effet sur le récepteur Gratification Détente

Répercussions Aucune, compréhension

individuelle Contagion possible

Moyen utilisé Plutôt verbal Plutôt visuel

Source: H.Bergson (1912)(15)

1.6- L’humour en publicité

L’humour publicitaire est-il spécifique ? En effet, il s’agit d’un humour « contrarié », dans la mesure ou il souffre d’une contradiction interne qui peut paraître insoluble, puisqu’au même moment où il cherche à distraire, à faire oublier le quotidien, il rappelle tout un chacun à la réalité d’une société de consommation à laquelle le publicitaire est toujours inféodé.

Mais s’agit il vraiment d’une contradiction, ou alors si contradiction il y a, n’est-elle pas inhérente au processus publicitaire lui-même, tout au moins dans sa forme moderne ? De plus en plus, en effet, le propre d’une bonne publicité est de faire oublier ses intentions. Ainsi l’évolution de l’expression publicitaire dans les pays avancés : partant à l’origine d’une préoccupation utilitaire et immédiate, celle de vendre, et par conséquent de démonstrations au premier degré, qui traduisaient cet utilitarisme primaire, elle s’en est progressivement affranchie. Partant donc

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du produit et de ses qualités supposées ou réelles, elle a pris ses distances vis-à-vis de ce dernier… De la démonstration, on passe à la connivence et au clin d’œil, du premier degré au deuxième, voire au troisième.

Et qui peut mieux permettre ce passage au deuxième ou au troisième degré que l’humour ? Finalement, en abordant l’humour, on rentre de plein-pied dans le fonctionnement de la publicité actuelle, dont le grand principe est de nous faire croire qu’elle ne cherche pas à nous convaincre ou à nous séduire. La "pub" agit aujourd’hui à notre insu, et nous cache derrière le plaisir du comique ou de l’humour la réalité de la consommation .L’humour n’est-il pas précisément le meilleur moyen de dire le non dicible ? Il permet d’exprimer l’inacceptable psychique ou social, et de la même façon « l’inacceptable commercial ». Les motifs d’utilisation de l’humour de la part des créatifs font donc partie intégrante des spécificités de l’humour publicitaire. Même si cela peut paraître simpliste, nous faisons l’hypothèse qu’un bon publicitaire cherche à faire connaître, aimer, voire acheter le produit. C’est pour un de ces trios motifs qu’il emploiera l’humour. Notre préoccupation va donc plutôt être de savoir s’il a raison de le faire. On est alors en principe loin de théories freudiennes. Et pourtant, faire appel à Freud va peut-être nous permettre de mieux comprendre, indépendamment des objectifs poursuivis, une raison qui peut pousser le publicitaire à utiliser l’humour. Pour résumer très schématiquement ces théories, disons que Freud pense que l’humour peut être considéré comme un masque qui sert à exprimer des pulsions sexuelles ou agressives socialement inacceptables. Il pourrait également être utile pour cacher d’autres pulsions, et par extension tout ce qui peut être socialement mal accepté. C’est ainsi que l’humour aide à exprimer les sentiments, qu’il ne serait pas seyant d’exprimer dans un style « normal.»

Pourquoi, par extension, ne pas voir dans l’humour un moyen d’exprimer des intentions commerciales qui apparaîtraient trop triviales sous une expression plus directe ? Il ne s’agit pas de prétendre que le publicitaire aurait à refouler les caractéristiques d’un métier qu’il supporterait

mal… mais seulement de chercher à le prendre de façon plus subtile. Ce faisant, il fait aussi le jeu du consommateur qui se trouve par là même valorisé. L’humour est une sorte de politesse que les publicitaires doivent au consommateur. Ils sont bien conscients du caractère intrusif de la publicité, du dérangement qu’elle provoque auprès du récepteur, que l’on vient importuner chez lui alors qu’il n’a rien demandé ! Pour faire accepter ce dérangement, rien de tel que l’humour ! On rejoint là les théories américaines nouvelles du «permission marketing », qui s’oppose à l’«interruption marketing » : dans ce dernier, l’homme de marketing interrompt le consommateur, ce qui ne peut conduire qu’à l’échec. Avec le marketing de permission, le consommateur est volontaire, et de ce fait accorde plus d’attention au message. Il anticipe, attend, veut entendre. Ce nouveau marketing donne une sorte de rendez-vous au consommateur qui, d’étranger, devient ami puis consommateur. Bien sûr, ce type de théorie ne s’applique pas uniquement à la publicité. Il est même plus caractéristique du marketing direct ou du marketing sur le web. Mais il peut néanmoins trouver un certain retentissement dans la publicité humoristique : de nombreuse campagnes humoristiques fonctionnent en effet sur le modèle des déclinaisons. Un spot a plu, a fait rire, le consommateur en redemande, attend le suivant. Le publicitaire ne se fait pas prier pour le satisfaire.

La publicité humoristique entraîne donc un changement radical dans les relations qui peuvent s’instaurer entre l’émetteur et le récepteur. Dans son acception traditionnelle, la publicité a l’habitude de s’adresser à un consommateur, appelé encore prospect, qui reçoit un message qui peut aller de la simple interpellation à l’ordre relativement impérieux. Avec l’humour, il n’y a plus un récepteur ou un consommateur qui recevrait plus ou moins passivement un message. Il s’est instauré une véritable relation de partenariat, dans un jeu ou deux complices se trouvent pour ainsi dire à égalité, en coopérant au fonctionnement du message publicitaire. Ce faisant, la publicité déjoue ironiquement les accusation de manipulation, et en explicitant son code, elle institue cette relation de complicité avec un récepteur qu’elle construit

non plus comme naïf mais comme malin, doué d’humour et non mystifié . Quand Eva Herzigova nous montre son Wonderbra (et son contenu !) en nous interpellant : « Regardez-moi bien dans les yeux…j’ai dit dans les yeux… », elle reprend à l’ordre un interlocuteur dont elle soupçonne par avance la désobéissance !

D’une certaine façon, on peut avancer que l’humour détourne l’attention du spectateur non seulement du produit, mais de l’acte publicitaire lui-même. Le spectateur est au sens propre « distrait », on pourrait presque dire soustrait de la partie traditionnelle de la fonction publicitaire. Il y a tout un aspect fuite, esquive dans l’humour publicitaire, qui serait dramatique (pour le publicitaire et pour le produit) s’il ne coexistait avec un mécanisme inverse, fait de connivence, parfois même dans la provocation. Toute la force de l’humour publicitaire réside finalement dans ce triptyque :