• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 CONCLUSIONS ET BASES DE REFLEXION POUR LA REALISATION

1.2 La combinaison stratégique et économique des Modèles Productifs Laitiers

La combinaison stratégique des Modèles Productifs Laitiers consiste en l’association de “ techniques de production ” issues d’un modèle, avec des “ méthodes de mobilisation d’éléments territoriaux ” issues d’un autre modèle. Cette combinaison est parfois rejetée, parfois recherchée en fonction des caractéristiques des filières laitières concernées.

La combinaison stratégique comme source de compétitivité

Les filières combinant les Modèles Productifs peuvent faire le choix de diminuer progressivement leur “ mobilisation d’éléments territoriaux ”. En faisant ce choix, elles se détacheraient de leur territoire pour se tourner vers un modèle de type “ P ”.

Sur notre terrain d’étude, cette problématique concerne les FID. Celles-ci produisent à grande échelle des produits différenciés pour des marchés très concurrentiels. Elles se trouvent donc soumises à des impératifs en termes de prix et donc de productivité. Face à de telles contraintes, elles pourraient chercher à restructurer leur bassin de collecte. De même, elles pourraient allonger leur chaîne économique comme le font les filières engagées dans un modèle de type “ P ”. Cependant en se faisant, elles perdraient leur assise territoriale justifiant leur différenciation. De plus, elles se trouveraient face à un risque d’implosion. En effet, avec

l’allongement de la filière, les agriculteurs et les fromagers finiraient par voir leurs intérêts s’opposer de plus en plus. Le système même de gestion indirecte serait alors fortement remis en cause par l’amont agricole qui pourrait envisager de repasser en gestion directe (Entretien St Offenge).

Sur le terrain, une telle évolution vers un modèle “ P ” ne semble pas envisageable. De même, l’implosion de la filière et le retour à la gestion directe n’apparaît pas être un scénario réaliste. Cette opération délicate nécessiterait un plus fort engagement de la part d’un amont agricole qui ne semble pas en avoir la capacité. Aujourd’hui, la solution a été trouvée dans la mise en place de compromis permettant l’intégration des filières d’amont en aval132.

Au final, ces filières parient sur la combinaison stratégique des MPL. Leurs produits gardent une dimension territoriale productrice de valeur ajoutée, mais ils sont fabriqués selon des méthodes les plus performantes possible. Ce type d’orientation de filière présente des intérêts non négligeables : le litre de lait est mieux valorisé que la normale et d’importants volumes sont écoulés. Cependant, il nécessite une vigilance constante pour maintenir un équilibre et une cohérence au niveau de la différenciation. De plus, il suppose de s’assurer constamment de la pérennité des marchés “ de niche ” qui sont exploités (Entretien Fromageries Chabert).

Le rejet de la combinaison comme moyen de différenciation

Les filières à logique “ Q ” peuvent faire le choix d’adopter des “ techniques de production ” issues du modèle “ P ”. Elles quitteraient alors un “ modèle pur ” pour s’orienter vers une combinaison des MPL.

Sur notre terrain d’étude, c’est le cas des FIA. Elles sont concurrencées sur leur propre marché par des filières aux logiques “ P ” : “ Aujourd’hui de la qualité, tout le monde en fait ” (Entretien SLHS). La différenciation par une qualité minimum ne suffit plus pour créer de la valeur ajoutée ; elle permet seulement de conserver une clientèle fidèle133. Certains agriculteurs considèrent donc qu’il n’est plus rentable de jouer sur ce point. Pour eux, les contraintes de l’AOC tome des Bauges sont trop fortes au vu de la valorisation qui en est faite. Ils demandent donc un allègement conséquent dans la réglementation sur les techniques de production (races et volume annuel limité) afin d’augmenter leur productivité. Néanmoins,

132

Arrangements que nous avons décris dans la partie 2089943049.266.5. .

ce choix impliquerait de trouver des débouchés en rapport avec l’augmentation des volumes de lait (vente à une échelle plus importante). Les filières se trouveraient alors en concurrence avec des FID qui maîtrisent déjà bien ce segment de marché. De plus, une augmentation de productivité aurait certainement pour conséquence de diminuer la différenciation et donc de faire chuter les prix.

Au final, une telle évolution ne semble pas envisageable, ou alors dans une moindre mesure134. En effet, il semble dangereux que les FIA utilisent les armes de leurs concurrentes pour se défendre. Leur échappatoire se situe probablement dans une différenciation plus poussée. Différenciation au niveau du produit et surtout au niveau des marchés (raccourcissement de la chaîne économique pour récupérer de la valeur ajoutée).

Il apparaît donc que le rejet de la combinaison stratégique des MPL soit un moyen de protéger les FIA de la libéralisation des marchés laitiers. Celles-ci pourront communiquer sur une qualité “ très haut de gamme ” pour augmenter leur différenciation. Les arguments ne manquent pas : la faible quantité de lait travaillé et la non automatisation des procédés permet la forte typicité d’un fromage à l’origine géographique bien identifiée. Enfin et surtout, la proximité entre l’amont et le centre de la filière favorise la production de matière première de qualité car les agriculteurs “ voient ce que leur lait devient ” (Entretien St Ours). Cette orientation vers plus de différenciation ne devrait pas poser de problème de rentabilité car elle ne ferait que valoriser des caractéristiques préexistantes sans ajouter de surcoûts.

La combinaison économique des MPL

La combinaison économique n’est pas beaucoup utilisée sur notre territoire d’étude au niveau des transformateurs. Seules les FIA réalisent une telle opération. Pourtant, cette stratégie est particulièrement intéressante.

L’association d’AOC à des produits locaux (spécialités) évite aux filières de faire reposer leur compétitivité sur les seules Indications Géographiques. N’oublions pas que celles-ci présentent un avenir plus ou moins incertain au niveau réglementaire, notamment avec les négociations en cours à l’OMC (Frayssignes, 2005). Par ailleurs, la combinaison économique associée à une vente en circuit court permet la création de Biens Complexes Territorialisés. Ainsi, Hirczak et ses collaborateurs (Mars 2005) reconnaissent dans le cœur

des Bauges et la Combe de Savoie135 un lieu de création d’un “ panier de biens ” (Pecqueur, 2000). Ce phénomène permet de relever le prix des produits ainsi commercialisés. De plus, il ancre plus profondément encore les filières en les liant à leur territoire.

Si cette combinaison peut permettre une certaine sécurité au niveau des marchés et assurer le maintien d’un prix élevé, ses effets bénéfiques ne sont cependant pas accessibles à tout type de filière. Ainsi, les FID et FE misant sur les IG distribuées en marchés nationaux ne peuvent prétendre à de tels effets (pas de filière courte). Chez eux, ce type de combinaison des MPL n’est envisagé qu’avec le lancement de produits génériques (Entretien SLHS). L’intérêt sera alors d’utiliser du lait sur des marchés non reliés au terme “ Savoie ” (lesquels sont déjà saturés). Les filières pourront écouler leurs volumes sur de nouveaux marchés sans nuire à la valorisation de leurs Indications Géographiques. Ce procédé aurait finalement pour conséquence de détacher plus encore l’économie laitière de son territoire.

Enfin, nous conclurons par une remarque sur les producteurs fermiers des Hautes Bauges. Nous pouvons en effet considérer que ceux-ci réalisent une combinaison économique de MPL au niveau de l’exploitation laitière. En effet, ils commercialisent leur lait sur des filières à l’ancrage au territoire différent : fruitière FID, vente directe aux affineurs (filière longue), vente directe aux consommateurs (filière courte). Ce système leur permet probablement de diversifier leur revenu et donc d’assurer une stabilité à l’exploitation. Ce point devrait cependant faire l’objet d’analyses plus approfondies au niveau de l’entreprise agricole.

3.2. UN TOURNANT POUR LES DYNAMIQUES HUMAINES DE L’ECONOME LAITIERE

Notre étude nous a permis de découvrir l’incroyable dynamisme qui caractérise le secteur laitier. Les dynamiques humaines qui portent ce pan de l’agroalimentaire ne ménagent pas leur créativité et leur énergie pour pallier à la dégradation du lait au rang de matière première standard. Ainsi, de nombreux organismes portent des démarches de valorisation. Celles qui nous ont intéressés sont bien évidemment celles qui relient l’économie laitière à son territoire, comme les Indications Géographiques. Il nous semble qu’elles se trouvent aujourd’hui à un tournant de leur histoire. Il apparaît qu’elles aient besoin d’un certain renouveau, chose que pourrait probablement leur apporter les collectivités locales.