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Des analyses du développement issues du courant de la dépendance mettent l‘emphase sur l‘importance de l‘histoire coloniale dans l‘explication du sous-développement de certaines régions et emploient l‘analogie du rapport coloniale pour interpréter la perpétuation du sous-développement dans ces régions.

25 Selon le schéma du développement économique de Rostow, le développement est conçu comme un processus endogène, le mouvement prenant naissance au sein de la société. Plusieurs sociétés européennes se sont, au cours des derniers siècles, engagées dans un développement économique endogène semblable au modèle de Rostow. Par contre, d‘autres sociétés se sont transformées sous l‘effet de forces extérieures, la forme de développement exogène la plus courante étant la colonisation. Une société colonisée, c‘est une « société économiquement peu avancée, dont le développement économique, politique, culturel et social est soumis à l‘ensemble des rapports de dépendance dans lesquels elle se trouve obligatoirement engagée avec une ou plusieurs sociétés économiquement plus avancées » (ROCHER, 1969 : 477). De l‘Antiquité au XXe siècle, les rapports de colonisation entre sociétés ont pris diverses formes et ont servi divers intérêts. La colonisation de l‘Amérique par les puissances européennes fût motivée par des intérêts économiques et s‘est instituée dans un rapport de domination des métropoles sur les colonies ainsi que sur les populations autochtones.

Pour la métropole, la colonie est avant tout un bassin de ressources naturelles. Afin de la mettre en valeur, la société colonisatrice entreprend un développement économique partiel de la société colonisée pour en exploiter les ressources, mais le développement économique de la société colonisée se réduit au minimum nécessaire pour assurer son exploitation et sa gestion. Une puissance coloniale annexe un territoire pour s‘enrichir et consolider ses positions sur l‘échiquier international ; elle ne vise pas à développer l‘économie et l‘autonomie politique d‘une colonie, mais elle cultive plutôt sa profitabilité et sa dépendance. La colonie est intégrée au système colonial, mais dans un rapport d‘inégalité avec le colonisateur. Les institutions présentes dans la colonie contribuent à implanter la culture du colonisateur et à instaurer un clivage entre le colonisateur et le colonisé, que ce soit par la configuration du système politique, l‘organisation du travail, l‘éducation ou la religion.

Le développement propre à la colonisation engendre divers problèmes dans la société colonisée. La colonie se situe en périphérie de la métropole qui constitue le centre politique et économique du système ; elle en est dépendante sur le plan décisionnel et son

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éloignement fait en sorte qu‘elle ne peut profiter des ressources et du dynamisme du centre (ROCHER, 1969 : 490). Les différents secteurs de l‘économie de la colonie sont inégalement développés du fait de sa soumission aux besoins économiques et politiques de la métropole. Généralement, la majorité de la population locale est analphabète et occupe des emplois de subordonnés, alors que la minorité représentant la puissance coloniale y occupe les plus hautes fonctions. Enfin, la société colonisée intériorise les représentations du colonisateur, elle se conçoit comme inférieure à la société colonisatrice et tend à se replier sur elle-même (ROCHER, 1969 : 491).

Au lendemain de la décolonisation, des auteurs ont adapté le concept de colonialisme à la situation contemporaine de domination telle que vécue dans certaines régions enclavées dans un ensemble supérieur, situation découlant souvent d‘une histoire coloniale. Selon Michael Hechter, le colonialisme interne ou colonialisme intérieur est compris comme un rapport entre un centre économique et décisionnel et ses régions périphériques assujetties politiquement, économiquement et culturellement. Les échanges entre le centre et les périphéries sont inégaux, le centre contrôle le capital et les groupes culturels dominés tendent à être relégués à certaines fonctions par le phénomène qu‘il nomme « division culturelle du travail » (GLADNEY, 1997 : 60).

Selon la thèse diffusionniste de la modernisation, les sociétés développées peuvent, via un processus de « contagion », participer au développement des sociétés « en développement » pas le biais d‘échanges avec ces sociétés ou, simplement, par l‘influence que les sociétés développées peuvent avoir sur ces sociétés en développement. Selon Hechter, l‘intégration d‘une région périphérique au marché du centre ne favoriserait pas nécessairement le développement de la périphérie. Plutôt, le sous-développement d‘une région périphérique serait dû à la structure de la relation entre le centre et la périphérie.

Le rapport de colonialisme interne constitue, pour Hechter, un vecteur de sous- développement pour la région périphérique intégrée à un système dont le centre lui est extérieur. Plusieurs caractéristiques des colonies internes favorisent leur sous- développement. La région périphérique est isolée sur le plan culturel et a des difficultés à

27 accéder au marché qui tend à être monopolisé par le centre. De même, les membres du groupe dominant issu du centre tendent à s‘accaparer les occasions d‘affaires dans la région périphérique. Reposant souvent sur l‘exportation peu diversifiée de matières premières, l‘économie de la périphérie est assujettie au développement du centre et se trouve dépendante des marchés qui lui sont extérieurs. Aussi, la main d‘œuvre de la périphérie est très dépendante des mouvements du marché issus du centre. Souvent, la dépendance économique est instituée par des mesures législatives, politiques ou militaires. Le niveau de vie s‘écarte de celui du centre, de même que l‘offre de service et les problèmes sociosanitaires y sont plus marqués. Enfin, les membres appartenant à la périphérie tendent à être victimes de discrimination sur la base de divers critères, soit la langue, la religion, l‘ethnicité ou autre (HECHTER, 1971 : 99).