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CHAPITRE 3 : CADRE THEORIQUE

5.3 Collecte de données

Ma première idée était d’avoir comme source principale des entretiens avec les prisonniers. J’ai donc commencé les démarches dans ce sens. La direction m’a informée que pour interroger des détenus, il fallait cependant une autorisation de la part du directeur de la prison. A l’évaluation de la durée de traitement qu’aurait encouru une telle demande qui, de plus, a, de manière tout à fait objective, un faible pourcentage de recevabilité, j’ai décidé d’abandonner l’option.

Mohamed m’ayant assuré qu’il acceptait de travailler avec moi, je me suis donc concentrée sur les données que j’allais pouvoir collecter au sein des «Souverains Anonymes » et surtout de la manière dont j’allais les enregistrer. J’ai tout d’abord exprimé à Mohamed mon désir d’enregistrer visuellement mes observations. Sur son refus catégorique de capter quelque image soit-elle, j’ai donc demandé le droit à l’enregistrement audio. Malgré les garanties que je donnais, celui- ci m’a aussi été refusé. Mohamed m’a cependant dirigé vers une vidéo dont il m’a vanté la richesse documentaire.

Cette vidéo constitue ma première catégorie de données. C’est un enregistrement vidéographique effectué par Bruno Boulianne, en 2002 et diffusé sur

le site internet http://www.onf.ca. Il est d’une durée de 43 minutes et 28 secondes. Compte tenu du fait que je n’étais conviée qu’une seule fois dans le studio et consciente des limites évidentes qu’auraient les données recueillies par ma seule observation avec prise de notes pour l’élaboration d’une recherche, je me suis donc résignée à utiliser ces « données secondaires »3. J’ai procédé, dans un premier temps, à la sélection de passages pertinents pour ma recherche et, dans un deuxième temps, à leur transcription. J’ai sélectionné les extraits vidéo selon un critère qui est assez évident au regard de mon sujet. Il fallait que les extraits contiennent des moments d’émotions visibles à partir desquelles je pourrais conduire mon analyse. J’en ai donc sélectionné quatre.

En plus de ces données secondaires, j’ai également eu accès à des données primaires par l’observation que j’ai réalisée pendant deux journées dans le studio de l’émission Souverains Anonymes, dans les murs de la prison Bordeaux. Suite à un entretien téléphonique avec le directeur Mohamed Lotfi, pendant lequel je lui ai exposé les tenants et les aboutissants de ma recherche, il a accepté de m’inviter. Il a toutefois fixé les règles, la date d’invitation ayant été fixée selon son bon vouloir, il ne me laissait observer, tout d’abord, qu’une seule séance (j’ai pu, par la suite, en suivre une autre) et n’autorisait, tel qu’évoqué plus haut, aucun moyen d’enregistrement. Il me précisait, par ailleurs, que sa décision suffisait pour me faire rentrer dans la prison dans la mesure où je me rendais dans son studio. J’ai       

3 Voir à ce propos, Cooren (2007) qui explique dans quelle mesure de telles données secondaires peuvent effectivement faire l’objet d’analyses

conversationnelles et interactionnelles. Pour une vision opposée, voir Wieder, Mau et Nicholas (2007) dans le même ouvrage.

commencé à prendre des notes dès mon entrée dans la prison à 8 heure 30 jusqu’à ma sortie à 15 heures.

L’observation fut directe et non participative, ce qui, selon Peretz (2004), consiste à « être le témoin des comportements sociaux d’individus ou de groupes dans les lieux mêmes de leurs activités ou de leurs résidences sans en modifier le déroulement ordinaire » (p.14). Pour obtenir le résultat final, j’ai donc assisté à toutes les étapes, allant de la préparation de l’émission de radio à l’émission de radio proprement dite. Bien évidemment, la visibilité de ma présence a, au-delà de mon statut de chercheur, parfois rendu le caractère « non participatif » de mes observations plus difficile dans la mesure où ma simple présence a eu une incidence directe sur le déroulement de l’émission. Cette influence est principalement de nature comportementale dans le sens où les détenus ont semblé altérer certains de leurs comportements car il y avait la présence d’une personne qui les observait. Ce phénomène est bien connu des chercheurs en ethnométhodologie. Ainsi Pomerantz et Ferh (1997) écrivent

for example if the participants know they are being recorded during their dinner conversation, they may alter some of the conduct (for example they may choose to avoid a sensitive topic) but not other conduct (such as making a report coherent) (p. 70)

Le fait que je sois une femme a sans doute joué un rôle dans cet environnement confiné masculin, réveillant une certaine envie de plaire et donc d’adapter son comportement en conséquence. Mohamed a d’ailleurs confirmé mon sentiment à la fin de la journée en me précisant qu’ils avaient été particulièrement disciplinés et que cela avait de toute évidence à voir avec ma présence.

conversations et comportements susceptibles d’apporter des éléments de réponses à mes interrogations sur les émotions des détenus, mais aussi à d’autres questions qui m’interpellaient tout simplement. C’est donc avec la prise de notes que j’ai recueillie les données pour les raisons que j’ai données plus haut. Pour beaucoup, la prise de notes reste un moyen de récolte de données relativement limité dans la mesure où elle ne permet pas de reproduire tous les détails des interactions observées, en raison de leur aspect furtif (Brummans et al., 2009). C’est la raison pour laquelle mes notes n’ont pas constitué le focus principal de mes analyses et que je les ai essentiellement mobilisées comme « complément d’analyse », en quelque sorte.

À la fin de la première visite, j’ai manifesté l’intérêt de revenir pour confronter les données et mes résultats. Mohamed a entendu m’a requête et m’a invité de nouveau le 25 Août pour une deuxième journée d’observation. Cette deuxième journée m’a permis de comparer les données de l’observation et de l’analyse vidéo avec le point de vue de Mohamed, assurant ainsi une certaine validité de mes données.