• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 6 : LES ANALYSES

6.2 Analyse de l’extrait 2 12 :41 – 13 :22 (Temps= 1 :19 mns)

95. Michel ((Il sourit)) Souverains anonymes ((rire dans un souffle)) c’est c’est la seule place là 96. t’sais que j’me sens pas en prison là t’sais c’est là là t’sais comme (0.2) t’sais j’peux laisser passer 97. la steem un peu (rires) t’sais j’peux me défouler là t’sais faire qu’est-ce que je veux dire toutes les 98. conneries que j’veux là t‘sais c’est c’est la bonne place parce que là t’es t’es en dehors des murs 99. t’sais t’es encore icite à Bordeaux mais sauf que t’es quand t’es dans la salle là t’es dans le studio 100. t’as (0.1) t’sais t’as pas l’impression d’être en prison t’sais pis ((claquement de doigts)) le temps 101. file tellement vite là que pff si ça tient juste de moi là Souverains Anonymes ca serait toute la 102. . semaine longue là ça serait pas juste deux jours par semaine (rires) ouai t’sais

Il est question dans cet extrait de Michel encore une fois, un détenu et participant à l’émission radiophonique Souverains Anonymes. Il s’exprime en s’adressant directement à la caméra qui le filme à partir de sa cellule. A l’écoute de son discours, on pourrait imaginer qu’il répond à la question suivante « Qu’est-ce que représente Souverains Anonymes pour vous ? », car il livre son sentiment à l’égard de l’émission radiophonique.

Il est intéressant de remarquer la manière dont il en parle, en l’occurrence, dans un premier temps, comme d’un lieu. « Souverains Anonymes c’est la seule place là t’ sais que je me sens pas en prison » (lignes 95-96). Un lieu qu’il va très vite opposer à un autre lieu qu’est la prison. Ce sont deux milieux qu’il côtoie, qui sont étroitement liés, car rappelons que les locaux de l’émission de radio se situent dans l’aile F de la prison. Il les oppose dans son discours malgré leur similitude géographique. Il reconnaît cependant, malgré cette opposition, qu’il est encore dans les murs de la prison.

que t’es quand t’es dans la salle t’es dans le studio t’as t’ sais t’as pas l’impression d’être en prison. (lignes 98-100)

On remarque qu’il parle surtout d’un sentiment. Il exprime une sensation qui se traduit par les expressions telles que « j’ me sens », « t’as pas l’impression ».

Dans un deuxième temps, il parle d’un milieu dans lequel il est possible de faire des choses et d’exprimer des émotions qui ne sont pas exprimables en prison. « J’ peux laisser la « steem » un peu (rires) t’ sais j’ peux me défouler là t’ sais faire qu’est-ce que je veux, dire toutes les conneries que j’ veux t’ sais c’est la bonne place» (ligne 96-98). Il verbalise ici un besoin de communiquer ses émotions en parlant de la « steem » (terme anglo-saxon pour signifier la vapeur). La vapeur représente tout ce qu’il ne peut pas communiquer lorsqu’il est dans le contexte de la prison, c’est-à-dire la grande majorité de son temps. Ce sont les émotions refoulées qu’il ressent qui s’expriment dans le contexte de la préparation et la réalisation de l’émission de radio. Lorsqu’il exprime la possibilité pour lui de « dire des conneries » et de « faire ce qu’il veut », il exprime la liberté d’action et de parole que lui confère Souverains Anonymes comme espace matériel. L’émission de radio est alors vécue par Michel comme un exutoire, comme un coin de liberté où il lui est permis une certaine latitude, certains agissements qui le font se sentir libre.

En ce sens, le contexte de la radio lui permet d’échapper aux règlements de la prison. Ceci nous renvoie à la notion de mortification dont nous avons parlé plus haut. Pour faire passer un homme du statut d’homme libre à celui de détenu, l’institution totale qu’est la prison fait subir à l’individu une série de mortifications qui vont petit à petit lui ôter ses droits en tant qu’homme libre pour lui faire adopter les directives de son nouvel environnement. Ici, on perçoit clairement que Michel invoque deux principes fondamentaux des droits de l’homme, celui de liberté de parole et celui de la liberté d’action. On sent dans son intonation de voix qu’il est

heureux ou du moins excité lorsqu’il prononce ces mots. On note que cette émotion semble se déclencher au même moment où il déclare retrouver ce qu’on lui a enlevé en prison. Il se sent à nouveau libre lorsqu’il est dans le studio d’enregistrement des Souverains Anonymes. Ce contexte lui permettrait alors de retrouver son identité d’homme libre.

On pressent dans cet extrait que Michel parle d’une liberté qui n’est pas définie par l’absence de barrières ou de murs car en l’occurrence il est en prison. Il interpelle une autre définition de la liberté qui revient à dire qu’on est libre à partir du moment où l’on se sent libre. En d’autres termes, la liberté n’a pas de définition figée mais est plutôt vécue différemment par chacun. Dans le passage qui nous intéresse, Michel se sent libre car il peut s’exprimer, il n’a pas l’impression d’être en prison car il peut « faire des conneries ». Sa liberté semble donc passer par sa liberté d’expression. C’est d’ailleurs tout à fait explicable car, comme je le disais plus haut, la mortification subie dès son entrée en prison agit d’une certaine manière sur sa volonté de retrouver ses droits d’homme libre.

Il me semble que Michel ressent cela par rapport à la situation dans laquelle il se trouve. Selon moi, les besoins à un moment donné de l’individu sont proportionnels à la situation dans laquelle il se trouve à ce même moment. Sa situation d’enfermement le pousse en quelque sorte à tendre vers la liberté. C’est comme si cette liberté très cadrée et limitée lui permettait d’être qui il est et de retrouver son identité propre. La dernière phrase de son discours est d’ailleurs particulièrement éloquente lorsqu’il déclare, « Souverains Anonymes ça serait toute la semaine longue ça serait pas juste deux jours par semaine (rires) ouais t’ sais » (lignes 101-102). Il dit vouloir que l’émission dure toute la semaine tellement il s’y sent bien et tellement cette émission lui donne un contexte pour s’exprimer. On

pourrait donc traduire cela comme une volonté de retrouver « à temps plein » son identité. Souverains Anonymes lui donne le goût d’une liberté perdue. Souverains Anonymes est une activité qui pour lui signifie une fenêtre vers la liberté, vers l’extérieur.

Par ailleurs si l’on observe l’expression non-verbale de Michel, on s’aperçoit qu’il sourit à certains moments et particulièrement lorsqu’il parle de la liberté de faire ce qu’il veut et lorsqu’il dit souhaiter que Souverains Anonymes soit une réalité toute la semaine, il rit en parlant. Son débit de paroles augmente également aux mêmes moments comme si les mots qu’il prononçait coïncidaient à une émotion particulière qui le faisait rire.

6.3 Analyse de l’extrait 3