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Une collaboration essentiellement « entre deux portes » (Brisset,

6. Résultats : données brutes et analyse

6.2. Les échanges entre les deux acteurs

6.2.3. Une collaboration essentiellement « entre deux portes » (Brisset,

Madame P. et Madame D définissent ces échanges :

Ces échanges sont donc principalement informels, pendant les temps de récréation, pendant la pause méridienne, via des e-mails ou « entre deux portes » (Brisset, Berzin, Villers, Volck, 2009). Madame D (maître E) utilise d’ailleurs cette expression pour qualifier les échanges qu’elle entretient avec ses collègues enseignants puisqu’elle les définit comme des échanges « sur un temps de récréation, dans la salle des maîtres, entre deux portes ». Selon Brisset, Berzin, Villers et Volck (2009), cette modalité de collaboration permet de réajuster les interventions des deux acteurs en fonction des constats effectués mais ces échanges d’informations « au coup par coup » ne s’inscrivent pas dans un projet à long terme. Selon ces auteurs, le risque de cette collaboration est que l’intervention du maître E et celle du professeur des écoles soient « deux systèmes relativement indépendants » et manquent de continuité.

Ces auteurs ajoutent qu’une collaboration efficiente est une collaboration étroite et caractérisée par « une véritable recherche d’« adéquation » au long cours entre ce qui se fait en classe et dans le cadre de l’aide » (Brisset, Berzin, Villers, Volck, 2009) afin de construire ensemble, par des discussions et des négociations, un projet d’aide. Ce projet d’aide est alors ajusté lors de réunions de synthèses, autrement dit par des échanges formels.

« On échange beaucoup par mail. Et on se voit le midi, on mange ensemble, et aux récréations. Normalement, la maître E ne fait pas de service de récréation mais je m’aperçois que les récréations sont des super moments d’échange pour nous. »

Madame P, Maître E dans l’école B.

«Vous échangez régulièrement sur les élèves ? Très souvent. De façon informelle très souvent. Je dirais qu’à chaque récréation forcément on échange sur ce qui s’est passé. […] C’est presque au quotidien ça. »

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Madame D (maître E) explique que ces synthèses sont « hyper importantes » mais posent problème dans son école, elle en rend compte ci-dessous :

En effet, les synthèses entre le RASED et les enseignants doivent se faire sur leur temps personnel. Cependant, Madame D exerce dans une école de treize classes en réseau d’éducation prioritaire+ où de nombreux élèves sont en grande difficulté scolaire. Ces synthèses formelles sont donc très longues et prennent énormément de temps. C’est pourquoi Madame D réalise une synthèse formelle en début d’année avec les enseignants. Selon elle, cette synthèse est « incontournable » :

Ainsi, Madame D déclare remplacer ces synthèses formelles par des synthèses informelles au cours de l’année :

«Et donc ces synthèses vous les faites combien de fois dans l’année ? Alors théoriquement on devrait en faire plusieurs fois dans l’année. On ne peut pas. C’est pratiquement impossible. Théoriquement nous n’avons pas le droit de le faire sur le temps scolaire, c’est tout hors temps scolaire, donc c’est sur l’heure du midi ou le soir.

Ça ne peut pas être sur les heures de réunions…

Ah non c’est hors temps scolaire. Donc nous tu imagines bien que dans une école comme la nôtre c’est trop lourd, enfin ce n’est pas possible et ça fait des synthèses qui vont durer je ne sais combien de temps »

Madame D, Maître E dans l’école A.

« C’est vraiment le point de départ, ta synthèse avec l’enseignant où tu vas voir comment lui il a perçu l’enfant, comment il a perçu les difficultés, quel regard il a sur l’enfant, tout ce travail-là c’est le travail que toi tu vas prendre en note et qui est hyper important, donc ta synthèse elle est incontournable. »

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La collaboration étroite au sens de Brisset, Berzin, Villers et Volck (2009) est donc difficile à mettre en place, tout particulièrement dans les grandes écoles en réseaux prioritaires où de nombreux élèves sont suivis par le maître E. Elle est donc remplacée par une collaboration « entre deux portes » (Brisset, Berzin, Villers, Volck, 2009) ne permettant pas des échanges construits autour de discussions et de négociations afin de bâtir un projet de long terme pour chaque élève suivi par le RASED et d’ajustements précis assurant la continuité des deux actions. Madame D déclare d’ailleurs qu’avec cette collaboration entre deux portes, elle est « sans arrêt à la pêche aux informations ».

Cependant, Madame D affirme que ces échanges informels lui ont permis de créer « autre chose que des liens professionnels » avec ses collègues. En effet, elle explique qu’elle participe à la vie de l’école comme par exemple le Marché de Noël ou la fête de l’école car selon elle, elle « [vit] avec des collègues, avec des enfants » et elle n’est « pas là que pour faire [son] boulot de E. » Ces échanges lui permettent donc de tisser des liens avec ses collègues et amener « les autres collègues à [la] considérer comme une collègue de l’école en fait et à oublier un peu le côté hiérarchique ». Selon Madame P (maître E), Madame N (professeur des écoles), Madame D (maître E) et Madame B (professeur des écoles), il est plus facile de collaborer avec une personne avec qui il y a une bonne entente :

«Dans la théorie, des synthèses on devrait en refaire dans l’année, régulièrement de façon relativement formelle. Ce qui nous est impossible, matériellement c’est impossible. Donc en fait après toutes les synthèses que je peux avoir c’est assez informel je dirais. Ça peut être un moment où je me pose réellement avec la collègue dans sa classe »

Madame D, Maître E dans l’école A.

« L’avantage d’être conciliante c’est qu’on s’entend super bien avec les collègues et ça permet d’avancer ».

Madame P, Maître E dans l’école B.

« Avec ma maître E, je la connaissais déjà avant donc il y avait déjà cette relation de confiance. […] C’est vrai que comme je la connaissais c’était plus facile. »

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Ces déclarations rejoignent l’étude de Claude Lessard, Pierre Canisius Kamanzi et Mylène Larochelle qui déclarent dans leur article « De quelques facteurs facilitant l’intensification de la collaboration au travail parmi les enseignants : le cas des enseignants canadiens » (2009) que les enseignants entretenant de bons rapports sociaux avec leurs collègues collaborent plus facilement et avec plus de satisfaction avec ces derniers.

A l’inverse, il est plus difficile de collaborer quand les deux enseignants n’entretiennent pas de bons rapports sociaux. Madame P déclare rencontrer ce problème avec l’une de ses collègues :

Ce manque de confiance est donc un frein à la collaboration. Les deux maîtres E sont unanimes sur le fait qu’instaurer de la confiance et de l’affection chez ses collègues prend

« Comme on s’entend bien ce n’est pas une corvée de préparer. Ça c’est hyper important. Si je ne m’entendais pas avec ma maître E, le temps que je passe à faire le bilan, à débriefer avec elle, ça m’embêterait de le prendre sur mon temps personnel. »

Madame B, Professeur des écoles dans l’école A.

« Donc la collaboration est plus facile avec les personnes avec qui on s’entend bien.

Oui. Avec qui tu peux partager autre chose. C’est un peu comme avec les élèves il faut qu’il y at un climat très très serein. Quand le climat est serein, quand on est capable de partager autre chose, des moments où on va discuter de choses complètement extra- scolaires où là tu vas montrer aussi que tu es comme tout le monde en fait, parce que tu es comme tout le monde ».

Madame D, Maître E dans l’école A.

« Et puis j’ai une collègue qui ne me demande rien, elle a du mal à m’envoyer ce qu’elle préparer, je pense qu’il va falloir du temps avant qu’on collabore, le temps qu’elle me fasse vraiment confiance et qu’elle me laisse faire. »

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du temps. Madame D pense que « sur un poste E, si tu n’y es pas sur un certain nombre d’années [elle] n’y [voit] pas l’intérêt parce que c’est très long à installer ». Elle ajoute :

La stabilité de l’équipe est donc un facteur favorisant la collaboration entre les professeurs des écoles et le maître E puisque cela permet de créer des relations sociales affectives permettant de collaborer plus facilement. En effet, Lessard et al. (2009) avaient conclu dans leur étude que des facteurs internes, comme la stabilité de l’équipe, favorisaient la collaboration entre collègues. Lefeuvre (2010) rejoint cette idée puisque, selon elle, un maître E exerçant depuis longtemps dans une école a créé des relations personnelles et professionnelles ce qui lui permet d’échanger plus facilement avec ses collègues.

La collaboration entre le professeur des écoles et le maître E est donc principalement caractérisée par des échanges informels. Bien qu’étant quasiment quotidiens, ces échanges informels ne favorisent pas une collaboration étroite mais une collaboration « entre deux portes » (Brisset, Berzin, Villers, Volck, 2009). Cette collaboration peut engendrer un manque de lien et de continuité dans l’action des deux enseignants mais elle permet de créer de bons rapports sociaux et, ainsi, de faciliter la collaboration.