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6. Résultats : données brutes et analyse

6.3. La co-intervention

6.3.1. Des avis divergents

Dans les deux écoles, l’inspection a demandé aux maître E de pratiquer de plus en plus la co-intervention avec leurs collègues dans les classes. Madame P explique que « dans le plan de pilotage et dans la réunion de rentrée avec l’inspecteur avec tout le RASED et le conseiller pédagogique de la circonscription, il [leur] a été demandé de mettre l’accent sur la co-intervention. ».

« Maintenant ça fait très très longtemps que je suis là et que j’ai noué avec beaucoup de collègues de la sympathie. Donc on a plus d’affinités, on est un peu plus que collègues, donc en fait après il y a des échanges qui se font mais parce que tu as créé autre chose que des liens professionnels ».

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Les deux maîtres E pensent que la co-intervention est bénéfique à la collaboration entre le professeur des écoles et le maître E. En effet, Madame P qualifie cette pratique de « riche » puisqu’elle lui permet d’observer les élèves dans l’environnement de la classe, en présence de son enseignant et des autres élèves de la classe, et d’observer comment l’élève réinvestit les méthodes et outils utilisés en groupe d’adaptation :

Madame D ajoute que la co-intervention peut être justement le moyen d’aider l’élève a réaliser ce transfert du groupe d’adaptation à la classe :

En effet, Madame D évoque le problème du transfert de matériel qui n’est pas toujours réalisé car, selon elle, « même si l’enfant l’amène en classe, les enseignants ne l’utilisent pas » car ce matériel leur est inconnu et ne fait pas partie de leur pédagogie. Ainsi, en venant à l’intérieur de la classe avec du matériel et en l’utilisant avec les élèves, le maître E montre indirectement au professeur des écoles comment se servir de ce matériel. De plus, le professeur des écoles constate que l’élève est en situation de réussite avec ce matériel et qu’il serait donc judicieux que cet élève le réinvestisse en groupe classe.

De plus, selon Madame D, la co-intervention permet au maître E d’aider l’élève à faire ce transfert en créant un lien entre le groupe d’adaptation et le groupe classe par sa présence :

« Quand je fais de la co-intervention, je peux voir comment se débrouillent les élèves avec toutes ces petites choses différenciées. »

Madame P, Maître E dans l’école B.

« Il faut que tu arrives à les amener à une co-intervention, une pseudo co-intervention pour que toi en même temps dans la classe ils te voient avec ton petit groupe et ils te voient utiliser le matériel. Et en fait en te voyant utiliser le matériel ils vont à ce moment-là regarder, se poser des questions. Ou bien ils vont carrément venir te demander du matériel. Alors là si ils te le demandent c’est qu’ils en ont vraiment besoin te qu’ils vont le faire fonctionner. »

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Par sa présence, le maître E cherche à ce que l’élève se questionne et se rende compte qu’il est capable de faire la tâche demandée puisqu’il l’a déjà réalisée en groupe d’adaptation avec des méthodes et outils supplémentaires. Elle cherche donc à ce que l’élève trouve de lui-même quel outil réinvestir afin de le rendre autonome dans l’utilisation de ces outils d’aide en classe. La co-intervention est donc un réel moyen pour l’élève «d’établir des ponts entre les deux systèmes » (Brisset, Berzin, Villers, Volck, 2009) et d’être en situation de réussite dans le groupe classe. Cette idée soulignée par Madame D rejoint l’article de Lescouarch (2007) dans lequel il affirme que la co-intervention permet aux enseignants spécialisés d’intégrer dans la classe les outils et les concepts travaillés en regroupement d’adaptation afin que l’élève perçoive qu’il peut réussir également dans la classe en utilisant les bonnes méthodes.

Par ailleurs, du côté des enseignants, les avis sont plus mitigés. En effet, Madame A (professeur des écoles) déclare que la co-intervention permet aux élèves de ne pas avoir l’impression « d’être mis à part, et puis ils font un peu comme [le reste de la classe] mais différemment ». Cependant, elle ajoute :

« Le transfert il ne se fait que si toi à un moment donné l’enseignant t’ouvre sa classe, t’accepte dans sa classe et tu peux aller travailler avec lui. Parce que c’est à ce moment-là que tu peux rappeler à l’enfant « Et dis donc, dans le groupe tu faisais comment ? Quel outil tu utilisais ? Et bien là c’est pareil. » Voilà. Donc si tu ne fais pas ça, tu n’as pas de transfert. C’est pour cela qu’on nous a, dans nos missions, poussé et qu’on nous pousse à faire de la co-intervention. »

Madame D, Maître E dans l’école A.

« Oh bah la co-intervention, c’est les consignes un peu de l’inspecteur donc on applique aussi les consignes de l’inspecteur. […] Bon moi pendant de nombreuses années ils étaient toujours sortis et puis là l’inspecteur maintenant on fait plus de co- intervention… Bon moi je ne sais pas… ce qui est mieux ou pas. »

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Madame A semble donc pratiquer la co-intervention pour répondre à la demande de l’inspection mais ne semble pas déterminer si celle-ci présente des avantages par rapport au regroupement d’adaptation.

Madame B (professeur des écoles), quant à elle, affirme que la co-intervention est bénéfique à l’ambiance de classe car, selon elle, « à un moment donné il y a quand même besoin de ressouder le groupe et qu’ils soient tous ensemble dans la classe. » Cependant elle évoque la problématique du regard d’un autre adulte dans la classe :

Madame B déclare qu’il est difficile d’accepter le regard d’un autre adulte dans sa classe, d’autant plus en début de carrière. En effet, selon Madame D (maître E), sa présence dans les classe peut donner à l’enseignant le sentiment d’être « jugés, ils se sentent toujours un peu comme si ils avaient un inspecteur au fond de la classe » car « l’ouverture des classes est très compliquée ». Afin de réduire cette gêne, le maître E doit encore une fois utiliser des « pratiques de détour » (Mérini, Thomazet, Ponté, 2010), comme l’explique Madame P :

« Quand elle vient observer dans ta classe — en plus quand tu es en début de carrière c’est un peu compliqué parce que tu as un peu peur du regard des autres, c’est toujours délicat — mais elle apporte vraiment un regard…elle ne va pas te juger, elle va donner des conseils »

Madame B, Professeur des écoles dans l’école A.

« On peut soi, en tant que Maître E, lancer une activité, expliquer une notion et l’enseignant de la classe va d’élève en élève pour aider ceux qui ont du mal etc […] ça permet à l’enseignant de la classe d’être plus à l’aise, de voir que toi aussi quelque part tu t’exposes, que toi aussi tu peux rencontrer des difficultés, que tu n’as pas la science infuse, que c’est dur et que mener une séance tu ne sais jamais comment ça va fonctionner. […] Quand on fait une co-intervention, ce n’est pas fayoter mais moi quand ça s’est bien passé je leur dis toujours. Je leur dis « tu as vu quand tu as dit ça ils étaient attentifs », je souligne toujours quand c’est fondé. »

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En s’exposant face aux élèves et à l’enseignant ou bien en complimentant son collègue, Madame P cherche à déconstruire cette « asymétrie de rôle » (Mérini, Thomazet, 2014) et mettre l’enseignant en confiance pour qu’il n’y ait pas de barrière venant entraver la co-intervention. Cette idée correspond à la première modalité de co-intervention de Lescouarch (2007) où l’enseignant spécialisé prend en charge le groupe classe pour que le professeur des écoles puisse observer les élèves en difficulté afin de comprendre leurs obstacles et adapter sa différenciation pédagogique. Cependant, dans l’école B, les enseignantes interrogées ne sont pas favorables à cette modalité de co-intervention. En effet, Madame A qualifie cette modalité de « stupide » car selon elle « le but [de la co- intervention] c’est qu’ils voient autre chose ». Elle ajoute qu’elle trouve cela « idiot » et « dommage ». Madame N, quant à elle, pense « qu’à la base la formation de la maître E c’est vraiment aider les enfants en difficulté », elle se sent moins « apte » à aider les élèves en difficulté que la maître E « même si [elle] est capable aussi mais [elle] pense que [la maître E] est peut-être plus pertinente à trouver des outils plus rapidement. ». Ces refus peuvent s’expliquer par le fait que ces deux enseignantes ne différencient pas leur travail pour les élèves en difficulté et, de ce fait, ne voient pas l’utilité de cette modalité de co- intervention qui a pour but d’aider l’enseignant à adapter ses enseignements aux difficultés des élèves par l’observation. Selon le témoignage de Madame N, cette absence de différenciation peut être expliquée par le sentiment d’être moins « apte » à aider les élèves en difficulté scolaire dans la classe que l’enseignant spécialisé.

Les maîtres E reconnaissent donc des avantages certains à la pratique de co- intervention alors que les enseignants y sont plus réticents.