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Chapitre 5: Discussion générale

5.2 Contributions de la thèse

5.2.2 Cognition sociale et non-sociale

Les évidences en faveur d’une dissociation entre la cognition sociale et les fonctions cognitives non-sociales, comme la flexibilité mentale, le raisonnement ou le contrôle attentionnel, s’appuient généralement sur des cas cliniques. Certaines études suggèrent que des patients atteints de lésions cérébrales focalisées, généralement frontales médianes (Dimitrov, Phipps, Zahn, & Grafman, 1999; Eslinger & Damasio, 1985) ou des individus souffrant d’un trouble du spectre de l’autisme (Abdi & Sharma, 2004) peuvent, dans certains cas (i.e., chez certains d’entre eux), présenter une atteinte spécifique des fonctions cognitives sociales alors que les processus cognitifs non-sociaux sont globalement préservés. Les données de la thèse amènent également des évidences de dissociations, notamment celles du premier article où une analyse en composantes principales a démontré une franche distinction entre les mesures de cognition sociale et les mesures exécutives, suggérant que ces mesures sont sous-tendues par des construits différents. De plus, l’effet lié à la sous-échelle de prise de perspective de l’IRI, dans les deux premières études, est demeuré significatif après avoir statistiquement contrôlé pour des fonctions cognitives non-sociales, tout comme pour la tâche de reconnaissance d’émotions dans la première étude. Enfin, des travaux connexes à la thèse ont montré que les habiletés de mentalisation des adolescents ayant subi un TCC s’avéraient un prédicteur du niveau de participation sociale auto-rapporté (i.e., activités à la maison, à l’école et avec les amis) ayant une contribution unique significative par rapport à d’autres variables cognitives non-sociales (Sirois et al., en révision, #NRH-OA 157.16).

En contrepartie, des corrélations significatives ont été obtenues à travers les trois études entre la tâche de mentalisation et l’estimé du fonctionnement intellectuel, basé sur une tâche de vocabulaire et de raisonnement non-verbal. Des corrélations ont aussi été observées entre la tâche de reconnaissance d’émotions et l’estimé de QI, la flexibilité cognitive et l’attention sélective. Enfin, rappelons que l’étude 2 a démontré une perte de la différence

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entre les adolescents ayant subi un TCC et les contrôles sur la tâche de mentalisation après avoir contrôlé pour la performance en mémoire de travail, l’estimé de QI et le raisonnement non-social. Ces données pointent vers un certain degré d’interdépendance entre les processus de cognition sociale et les processus cognitifs non-sociaux, qui peut d’ailleurs facilement être observé dans les interactions sociales réelles. En effet, dans les situations de la vie quotidienne, le traitement des informations sociales s’effectue dans un contexte qui évolue rapidement et qui exige donc une allocation efficace des ressources attentionnelles, une bonne mémoire de travail et des capacités de flexibilité mentale (Stone & Hynes, 2011). Plus encore, dans la réalité, nous oscillons plutôt entre une prise de la perspective de l’autre et une introspection sur nos propres états, de même que sur la sélection des comportements adéquats à adopter au fur et à mesure que l’interaction évolue (Cassel, McDonald, Kelly, & Togher, 2016; Frith & Frith, 2012). Il est donc difficile d’imaginer que la cognition sociale et non- sociale soient complètement dissociables. Ceci rejoint d’ailleurs une hypothèse fréquemment abordée dans la littérature sur le TCC et la cognition sociale selon laquelle une atteinte à la mentalisation peut émerger de deux routes distinctes, soit d’une altération des processus de plus bas niveaux (p.ex., reconnaissance d’émotions, connaissances sociales) ou des processus non-sociaux de haut niveau comme la flexibilité mentale (Channon & Crawford, 2000; Henry, Phillips, Crawford, Ietswaart, & Summers, 2006). La question demeure toutefois à savoir si, fondamentalement, la cognition sociale repose sur des processus spécialisés au niveau cérébral, ou si elle s’appuie simplement sur un ensemble de processus non-spécialisés (Adolphs, 2003). Il a été proposé que ce qui rend la cognition sociale « sociale » serait simplement la nature des stimuli traités, comme des visages ou des émotions, alors que les processus sous-jacents sont les mêmes que ceux utilisés pour traiter d’autres stimuli (Kennedy & Adolphs, 2012). La mentalisation ne serait-elle pas simplement un processus d’intégration et de raisonnement sur un ensemble d’éléments perceptuels et emmagasinés en mémoire ? De la même façon, plusieurs auteurs ont proposé que la réaction empathique face à un individu en détresse serait similaire, au plan cérébral, à toute réaction face à un stimulus saillant (Iannetti & Mouraux, 2010; Mouraux, Diukova, Lee, Wise, & Iannetti, 2011), bien que ces travaux soient basés sur l’observation de douleur physique exclusivement.

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Dans tous les cas, il y a un ensemble d’évidences suggérant une certaine interdépendance entre les processus cognitifs sociaux et non-sociaux, qui se reflète à la fois dans les interactions sociales réelles et dans les tâches de cognition sociale, celles-ci étant rarement « pures ». Ceci nous ramène à la question du développement de la mentalisation à l’adolescence ; il est possible que les différences développementales observées dans certaines études soient simplement attribuables à un développement des processus cognitifs non- sociaux de haut niveau, comme la métacognition (Weil et al., 2013). La capacité à comprendre que les autres ont des états mentaux différents et à inférer ces états mentaux à partir de certains éléments perceptuels et contextuels serait quant à elle pleinement développée, comme l’indiquent les résultats de la première et dernière étude de la thèse. Toutefois, il demeure possible que la tâche de mentalisation, réalisée dans un contexte d’évaluation neutre, n’ait pas su capter l’habileté de mentalisation « réelle » des adolescents telle qu’observée dans des situations sociales de la vie de tous les jours qui sont généralement plus chargées émotionnellement. Les scores significativement plus faibles à la sous-échelle Prise de perspective de l’IRI, qui semble mesurer la propension à se mettre à la place des autres au quotidien, et à la tâche de reconnaissance d’émotions, qui fait appel à un processus plus affectif (Wood et al., 2016), appuient l’idée que la capacité des adolescents à prendre la perspective de l’autre face à de réels individus en détresse pourrait être différente de celle des adultes.

L’étude 3 a permis de répondre à cette question en allant mesurer les substrats neuronaux de l’empathie, qui implique un mécanisme de résonance affective mais aussi une prise de perspective afin de comprendre l’émotion de l’autre, dans un paradigme plus écologique s’approchant davantage d’une interaction sociale réelle. Cette étude s’est concentrée sur l’empathie plutôt que sur la mentalisation purement cognitive dû aux résultats significatifs observés pour le questionnaire d’empathie et la reconnaissance d’émotions, impliquant tous deux des processus de nature affective. Rappelons que l’empathie comprend un processus de mentalisation, mais appliqué à une expérience affective. De façon intéressante, les résultats de l’étude 3 ne sont pas spécifiquement suggestifs d’une plus faible capacité à se mettre à la place de l’autre ; en fait, cette étude a plutôt amené l’hypothèse d’une faible propension, ou tendance, à prendre la perspective de l’autre chez les adolescents.

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