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La co-construction de la narrativité au sein des interactions précoces

L’auteur

Bernard Golse est pédopsychiatre et psychanalyste, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris), professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université René Descartes (Paris 5). Il est également président de l’association Pikler Lóczy-France.

Type de recherche et/ou format de publication

Chapitre de l’ouvrage collectif - Vincze M. L’atmosphère thérapeutique à Lóczy. Toulouse : ERES

« Enfance et parentalité », 2015, p. 13-28.

L’auteur discute le concept de narrativité du point de vue théorique puis à partir d’un outil clinique employé à l’institut Pikler (pouponnière) : le journal des enfants.

La notion de « besoins de l’enfant » dans la référence

Selon l’auteur, le processus de narrativité est tout à fait central dans le processus d’ontogénèse de la personne. La narrativité permet à l’enfant de se construire et de grandir.

L’auteur, en montrant comment la narrativité est le fruit d’une co-construction dans les interactions précoces, définit comme besoin pour l’enfant : se faire raconter sa propre histoire mais aussi d’apprendre à se raconter à lui-même sa propre histoire.

Principales thématiques développées

La narrativité : une co-construction dans les interactions précoces

- Les bébés ont besoin d’une histoire relationnelle coécrite avec l’adulte : la troisième histoire

Cette histoire se co-construit entre l’enfant et les adultes et est le fruit d’une co-écriture active. De ce fait, la narrativité est le produit des interactions précoces.

La trame de l’histoire relationnelle de l’enfant est personnelle et singulière, et est constituée des effets de rencontre de l’enfant avec son environnement. Mais ce sont précisément ces rencontres qui vont permettre à l’enfant d’écrire son histoire avec l’adulte comme co-auteur. Les bébés n’ont pas seulement besoin qu’on leur raconte des histoires, ils ont besoins aussi d’apprendre peu à peu à raconter eux-mêmes leur propre histoire. Cet apprentissage interactif se fait dans la rencontre avec un ou plusieurs adultes qui ont déjà instauré leur propre narrativité.

Chaque fois qu’un adulte s’occupe d’un bébé, il s’institue entre les deux un style interactif qui est éminemment spécifique de cette dyade-là et dans laquelle chacun raconte à l’autre quelque chose de son histoire précoce (récit évidemment dissymétrique, plus ou moins remanié et plus ou moins

d’être, tandis que le bébé « raconte », à sa manière, à l’adulte, l’histoire de ses premières rencontres interactives ou interrelationnelles.

De ces deux histoires va en naitre une troisième qui va se coécrire à mesure qu’elle se fait et se dit.

Cette troisième histoire, prend naissance, s’origine, s’enracine dans les deux premières – celle de l’adulte ayant déjà vécu et celle du bébé qui commence à vivre – mais il faut aussi qu’elle puisse fonctionner comme un espace de liberté. Cette troisième histoire ne sera, cependant, structurante pour le bébé qu’à la condition de faire lien avec les deux histoires qui lui préexistent, tout en laissant du champ pour du nouveau, pour du possible, pour du non-déjà-advenu.

- La narrativité : entre défense et création

La narrativité comporte une dimension défensive (la pensée et la symbolisation apparaissent comme une réponse défensive au deuil nécessaire – car développemental – de l’objet primaire) et même anti-traumatique : « Ne pas pouvoir raconter, ne pas pouvoir se raconter à soi-même, ne rajoute pas seulement au traumatisme mais est traumatisme en soi ».

Le bébé va progressivement s’identifier à la fonction de narrateur de l’autre, mais aussi et peut-être surtout au plaisir de l’autre dans sa fonction de narrateur. Ainsi, la défense n’exclut pas pour autant la créativité. L’édification de la narrativité de l’enfant qui débute dans l’analogique (pré ou infraverbal) mais qui a à se poursuivre ensuite dans le digital (verbal), peut ainsi être décrite en termes d’intériorisation progressive de la fonction de témoignage et de narration de l’autre. La pensée est réparatrice (réparation symbolique de l’absence de l’objet), mais elle est également inventive.

Le journal des enfants16 : un outil au service d’une attention implicite et explicite à la narrativité Chaque enfant accueilli à l’institut Pikler se voyait attribué une nurse de référence qui, outre d’autres fonctions, était responsable du journal de l’enfant où se trouvaient consignées quotidiennement de nombreuses informations quant à son comportement, son développement et ses divers intérêts (cognitifs notamment). En utilisant leurs observations et leurs notes quotidiennes, elles parvenaient ainsi à un exposé d’ensemble qui, mois par mois, résumait les comportements caractéristiques et les problèmes qui avaient surgi dans la vie de l’enfant au cours du mois précédent. Chaque nurse de référence tenait le journal de deux ou trois enfants.

Le journal de l’enfant était utilisé comme un guide susceptible de venir soutenir l’observation de l’enfant. Différentes grandes rubriques le composent : l’état affectif ; la relation avec les adultes (avec la nurse, avec la nourrice et avec les autres adultes) ; le comportement au cours des soins (repas, bain, habillage) ; la motricité ; le développement intellectuel (attention et intérêt ; compréhension et usage de la parole ; observation de la main, manipulation, jeux ; participation aux

16 Documents de l’association Pikler Lóczy-France : FALK, J. Le journal de développement dans les pouponnières : un moyen pour connaître le jeune enfant et l’aider lors d’un changement de vie. Document no 7. 1970.

ÉQUIPE DE L’INSTITUT EMMI-PIKLER. Guide pour la rédaction du journal tenu par les nurses, document no 29.

1972.

programmes organisés comme jardin d’enfants, promenade, excursion ; les relations avec les enfants ; le sommeil ; les mouvements rythmiques, la succion du doigt et l’onanisme ; la propreté ; les manifestations individuelles (volonté, identité personnelle, habitudes diverses…).

Ce document permettait la qualité des transmissions entre les différentes personnes prenant soin des enfants, grâce à un temps de transmission quotidien soigneusement pensé, et suffisamment prolongé. Tous les mois, le journal de l’enfant faisait l’objet d’un récit à une pédagogue tierce.

Un des points fondamentaux de la réalisation du journal des enfants est le plaisir pris dans sa rédaction par les nurses, mais aussi dans la transmission aux autres, et enfin, le plaisir pris par les autres professionnels dans l’écoute et l’intérêt pour ces récits de vie. Selon l’auteur, le plaisir de la narration de la nurse redoublé par celui de la pédagogue à entendre et à travailler ce type de documents, concourait à l’organisation progressive de la capacité de l’enfant à se raconter sa propre vie, sa propre histoire développementale. Ainsi, l’enfant intériorisait graduellement les capacités narratives des adultes à son propos, et ceci dans une dynamique à trois niveaux – l’enfant, la nurse et la pédagogue – faisant écho à la dynamique des trois générations si souvent convoquée quant à la croissance et à la maturation psychiques de tout sujet. Cette co-narration entre nurses et pédagogues fonctionnait comme une sorte de rêve partagé, seul à même de forger de l’enfant une mémoire vivante chez la nurse qui ensuite, mois après mois, dans ses relations avec l’enfant, lui offrait ainsi une narration de lui-même qu’il pouvait, dès lors, s’approprier pour se construire dans sa continuité.

En conclusion, l’auteur rappelle la place de la narrativité comme l’un des maillons essentiels de l’aide à la subjectivation de tous les enfants ; que ces derniers aient ou non un passé douloureux et chaotique.

Fiche no 13

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