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Le phénomène de migration n’est pas un acte anodin, son expression au travers de différentes tactiques migratoires engendre des bénéfices mais aussi des coûts (Hendry et al. 2004a).

Les aspects négatifs sont en effet nombreux.

L’individu doit tout d’abord subir un changement de physiologie, la smoltification, nécessaire à la

migration en mer et à l’installation dans un nouvel environnement (Byrne et al. 2004).Ces

changements physiologiques sont coûteux en énergie de même que l’est le déplacement en mer. La dépense énergique due à celui-ci est, en outre, fonction de la distance de migration et s’accroit avec celle-ci (Bohlin et al. 2001). Le risque de mortalité s’en trouve donc majoré.

Une fois en mer, la prédation augmente du fait desmammifères et des oiseaux marins (Dieperink et al. 2001, 2002), à noter que d’autres prédateurs vivant en eau douce, en aval des bassins

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survie des migrateurs avant la première reproduction se trouve diminuée et un taux élevé de mortalité des truites de mer en cours de migration a été répertorié (Berg & Jonsson 1990; Aldvén et al. 2015).

Malgré ces coûts indéniables, la migration en mer engendre aussi des bénéfices.

Tel est le cas des effets de la migration sur la compétition entre individus laquelle peut naître d’une trop forte densité sur un même territoire et donc d’une disponibilité moindre de nourriture (Olsson et al. 2006), que ces individus soient apparentés ou non. La migration est alors l’une des solutions pour diminuer les risques afférents et garantir une meilleure survie et une fitness de l’individu qui disperse mais aussi de ceux qui demeurent résidents qu’ils soient là encore, apparentés ou non.

Il a été montré que chez les salmonidés et plus particulièrement chez la truite commune, les facteurs environnementaux, dont principalement la faible disponibilité en nourriture,

engendraient la migration des truites en mer (Olsson et al. 2006; Wysujack et al. 2009). Il a été

tout de même montré que certains individus pouvaient devenir migrants même dans un environnement où il y avait abondance de nourriture, et que donc, la décision de migrer était

une réponse plastique influencée par l’opportunité d’augmenter sa croissance (Olsson et al.

2006).

La migration vers l’aval des bassins versants et en mer génère également comme bénéfice une meilleure croissance des individus, et engendre un gain de taille de ceux-ci à la première

maturité sexuelle (Bagenal 1969; Gross 1998; Olsson et al. 2006; Wysujack et al. 2009). Dans le

cas des femelles, ce gain de taille leur assure une plus grande fécondité avec une augmentation du nombre d’œufs produits. En effet, la fécondité est reliée positivement à la taille chez la truite

(Lobón-Cerviá et al. 1997; Klemetsen et al. 2003). Ajoutons à cela que les truites de mer sont

avantagées sexuellement par rapport aux truites résidentes car leur descendance survit mieux(Acolas 2008). En plus de produire un plus grand nombre d’œufs, les truites de mer

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produisent en effet des œufs plus gros. La taille de ceux-ci est homogène ce qui améliore la

survie des juvéniles à la génération suivante (Lobón-Cerviá et al. 1997; Einum & Fleming 1999;

Jonsson & Jonsson 1999; Quinn et al. 2004; Fudickar et al. 2013). Dans le cas des mâles,

l’accroissement de leur taille leur confère un meilleur accès aux femelles lors de la reproduction

par rapport aux individus non-migrants généralement plus petits (Fleming 1996; Jacob et al.

2007).

La forte densité d’apparentés sur un même territoire a d’autres effets néfastes que la compétition pour la nourriture. Elle accroît la mortalité des embryons ou des juvéniles et entraine une faiblesse de la valeur sélective des individus en raison de la consanguinité

(Chapman et al. 2011, 2012). Ces croisements consanguins augmentent en effet le taux

d’homozygotie et donc, les risques d’exposition aux allèles récessifs délétères (Frankham 1995, 2003). La migration en mer est donc un moyen pour éviter au moins partiellement ce type de croisements entre apparentés, dans le cas où les individus anadromes dispersent et se fixent dans un autre bassin que leur site natal pour la reproduction (Chapman et al. 2011, 2012).

Un autre bénéfice lié à la migration consiste en la capacité à coloniser de nouveaux milieux et à recoloniser des milieux permettant ainsi la résilience de l’espèce. Ce sont la plasticité

phénotypique de la truite commune S.trutta, la plasticité de son comportement et son

adaptation rapide à un nouvel environnement qui rendent ce phénomène possible.

Walker (2006) a effectué un repeuplement dans une tête de bassin versant infranchissable aux migrateurs marins nommée le Alt Mor du fleuve Findhu Glen Burm en Ecosse. Il a utilisé pour ce faire des alevins de truite de mer capturés dans le cours d’eau principal de ce même fleuve. Vingt ans après cette réintroduction une petite population de truite commune s’est installée. Celle-ci comprenait des mâles et des femelles matures. Ce résultat montre, au gré d’une expérience de repeuplement, que l’expression de la plasticité du comportement et la rapide capacité d’adaptation de S.trutta permettent aux individus d’être transplantés et de s’adapter à un nouvel environnement.

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D’autres exemples en milieux naturels mettent en évidence que suite à un changement environnemental (pollution, crue) entrainant l’extinction de populations, les milieux touchés peuvent être recolonisés par des individus anadromes de populations voisines. Par exemple Knutsen et al. (2001) a révélé qu’à la suite d’une acidification des cours d’eau dans la côte sud de la Norvège, ayant pour conséquence l’extinction des populations de S.trutta, les cours d’eau ont été recolonisés par des individus anadromes provenant de deux ou plusieurs populations génétiquement distinctes mais proches géographiquement. Cette recolonisation s’est faite de manière naturelle sans intervention de l’homme.

Beaudou et al. (1995) montre également que la rivière côtière Abatesco au centre-est de la Corse

a vu décliner sa population de truites S.trutta à la suite d’une crue dévastatrice détruisant les

habitats et la végétation. Les conséquences de cette catastrophe naturelle sur les populations ont été limitées grâce à la recolonisation du milieu par des individus anadromes de populations voisines évoluant dans des affluents qui ont mieux résisté à la crue. De même Hansen & Mensberg (1996) révèlent que l’affluent de la rivière Fiskbæk et la partie amont de la rivière Odder dans le réseau hydrographique du Jutland au Danemark ont été recolonisés par des individus migrants des populations voisine sà la suite d’une pollution entrainant l’extinction des populations de S.trutta en place.

Ce phénomène de recolonisation peut se faire aussi à partir de migrants provenant de bassins plus lointains. Schreiber & Diefenbach (2005) indiquent à ce titre que les truites de mer du bassin de l’Elbe peuvent avoir récemment fondé la population de truites de mer du bassin du Rhin absente ou rare en raison d’une surexploitation de celle-ci et de la dégradation des habitats. Enfin on peut noter que certains individus truites de mer ont colonisé de nombreux cours d’eaux des îles Kerguelen et s’y sont parfaitement adapté suite à plusieurs introductions d’individus S.trutta sur l’île,(Davaine et al. 1997; Launey et al. 2010; Labonne et al. 2013).

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