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Drosophila suzukii, Vigne, Paysage, Ressources, Dynamique de population

Introduction

Les espèces invasives posent souvent d’énormes problèmes environnementaux, souvent en affectant les équilibres de biodiversité (Simberloff, 2003). La gestion et le contrôle de ces espèces à l'échelle du paysage pose le challenge de savoir où prioriser les efforts de gestion aux échelles locales et régionales pour optimiser les moyens de surveillance (Lurgi et al., 2016). Le fait de déterminer quels facteurs influencent la propagation et la distribution de ces espèces peut faciliter les pratiques de gestion et de contrôle (Sax et al., 2007). En effet, déterminer où et quand allouer les moyens de surveillance nécessaires est un problème particulièrement difficile à gérer (Baker, 2017). Les invasions biologiques qui ont réussi sont souvent le résultat d’espèces très performantes et à très forte plasticité environnementale. De ce fait nombre d’entre-elles posent de gros problèmes en agriculture (Lurgi et al., 2016). Les études menées sur les espèces invasives ont montré un effet

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positif de l'hétérogénéité spatiale sur les populations de ces espèces, à savoir qu'elle favorise leur établissement et leur propagation (Lustig et al., 2017). La densité de population de ces espèces est déterminée par la qualité et la structure spatiale des habitats (With, 2002, 2004). Une meilleure compréhension des effets relatifs de la composition du paysage sur les invasions biologiques est nécessaire pour concevoir des stratégies de gestion optimales (Lustig et al., 2017). Il est donc essentiel de comprendre l'effet de la répartition des habitats appropriés à l'espèce invasive cible sur son établissement et sa propagation afin de planifier au mieux les stratégies visant à la contenir (Lustig et al., 2017).

Parmi les facteurs environnementaux qui peuvent favoriser l’émergence et l’installation d’une espèce, la structure du paysage et la distribution spatiale et temporelle des ressources apparaît comme un facteur clé (Fahrig et al., 2011), or il y a très peu d’étude sur cet aspect (Schellhorn et al., 2015). Il est nécessaire de tenir compte de la variabilité temporelle des différents habitats pour déterminer les types de couverture fonctionnellement importants dans un paysage en tant que "source" ou "puits" pour les populations (Janković et al., 2017). Ce principe de dynamique source-puits façonne les dynamiques de population et la dispersion des organismes à travers le processus de complémentation (i.e. différents types d'habitats fournissent différents types de ressources) ou de supplémentation (i.e. différents types d'habitats fournissent des ressources similaires mais de qualité différente) (Dunning et al., 1992). En regardant ces aspects là aux échelles plus fines, cela permet de comprendre les dynamiques de population. Il y a au niveau de la littérature assez peu d’étude analysant les effets de la structure fonctionnelle du paysage sur des processus écologiques (Mühlner et al., 2010). Les effets relatifs de la composition du paysage doivent être étudiés plus en détail afin de fournir des options de gestion claires et efficaces à l'échelle du paysage dans une optique d'optimisation des services de lutte (Martin et al., 2019). L’hétérogénéité des paysages agricoles génère des modèles de disponibilité temporelle des ressources différents pour les organismes mobiles exploitant ces paysages (Spiesman et al., 2020). Beaucoup d'espèces sont susceptibles de subir une discontinuité des ressources sous la forme de goulets d'étranglement ou d'interruptions des ressources disponibles dans les paysages agricoles actuels (Schellhorn et al., 2015). Dans le cas de ressources alimentaires qui émergent de façon asynchrone dans différentes parcelles d'habitats, cela créé un ensemble de parcelles temporairement complémentaires qui réduisent les déficits de ressources. Cela entraîne un approvisionnement continu de ressources à l'échelle du paysage pour les espèces mobiles, c'est le processus que l'on qualifie de complémentarité temporelle des ressources qui peut avoir des conséquences sur la dynamique des populations d'espèces (Spiesman et al., 2020). L'utilisation complémentaire de l'habitat sert à différents moments pour un même groupe d'espèces au cours de sa période d'activité (Mandelik et al., 2012). Les espèces généralistes peuvent plus facilement accepter cette complémentarité de ressources temporelles de l'habitat que les espèces spécialistes, dans la mesure où elles ont un spectre de polyphagie (ou une gamme d’hôtes acceptables) plus importante (Spiesman et al., 2020). Mais celle-ci favorise surtout la persistance des populations animales mobiles qui peuvent donc se déplacer entre les différentes ressources (Rundlöf et al., 2014).

Les travaux sur la complémentarité spatiale et/ou temporelle des ressources ont surtout été conduits sur des insectes pollinisateurs, dont les abeilles sauvages qui peuvent bénéficier de l'existence de ressources florales temporelles asynchrones dans les paysages hétérogènes (Mandelik et al., 2012; Requier et al., 2015; Spiesman et al., 2020). Les paysages diversifiés fournissent des ressources florales complémentaires qui permettent d'augmenter l'abondance et la richesse au printemps des

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abeilles sauvages (Mallinger et al., 2016). La continuité spatio-temporelle des ressources favorise aussi la persistance des populations de bourdons pour lesquels les ressources de fin de saison sont notamment un goulot d'étranglement (Rundlöf et al., 2014). Notre étude cherche d’abord à augmenter le pouvoir explicatif et notre compréhension du processus écologique en jeu (c'est à dire de l'effet temporel de la disponibilité des ressources alimentaires) dans la dynamique des populations de D. suzukii. Dans un second niveau, l'application de ces connaissances sera le développement de modèles avec des visées prédictives des niveaux de populations du ravageur dans les parcelles cultivées. Ces modèles prédictifs pourraient être plus dynamiques en prenant en compte les changements temporels, la relation entre le paysage et les insectes à des intervalles de temps multiples (Karp et al., 2018). Leur pouvoir prédictif serait accru par une classification plus pertinente sur le plan fonctionnel et adaptée aux ravageurs (Fahrig et al., 2011). Toutefois, une description plus détaillée du paysage ne produit pas nécessairement des prévisions plus précises (Fahrig et al., 2011).

Drosophila suzukii est une espèce polyphage (Delbac et al., 2020a; Kenis et al., 2016; Poyet et al., 2015). Nos travaux ont montré que l'espèce présente une réponse positive à la lisière des parcelles, notamment dans la culture de la vigne (Delbac et al., 2018b), c'est à dire que la variable d'intérêt croît près de la bordure (Ries et al., 2004). Cela est cohérent avec l'abondance supérieure observée dans les lisières des parcelles des espèces de drosophiles invasives (Penariol and Madi-Ravazzi, 2013). En effet, la présence de plantes hôtes non cultivées dans le voisinage des parcelles cultivées augmente la population de D. suzukii dans la parcelle cultivée, que ce soit pour les framboises (Klick et al., 2016), les cerises (Tonina et al., 2018a), les mûres (Haro-Barchin et al., 2018) ou le raisin (Weißinger et al., 2019). Également, l'insecte se déplace toute la journée entre différents habitats (Tait et al., 2020). Il réalise ainsi un colonisation des cultures depuis les habitats sauvages et inversement (Haro-Barchin et al., 2018; Tonina et al., 2018a). Néanmoins cet l'effet peut résulter d'un déplacement temporel pour les ressources (Rand et al., 2006). En effet, l'abondance des D. suzukii piégées dans les parcelles de vignes adjacentes aux mûres sauvages augmente seulement à certaines périodes de l'année (Weißinger et al., 2019). Cela s'explique en partie par : i) l'existence d'une saisonnalité des fruits des plantes hôtes, comme cela a pu être montré (Delbac et al., 2020a; Poyet et al., 2015) ; mais également par ii) le comportement de recherche d'hôtes qui, chez les insectes, est fonction de l'état physiologique global, et qui est souvent limité aux périodes de ponte ou d'alimentation (Bernays, 2003). En effet, seul le phénotype estival de D. suzukii semble apte à cela (Grassi et al., 2018; Vonlanthen and Kehrli, 2015).

Pour l’agroécosystème viticole, les études sur la continuité temporelle des ressources et l’analyse fonctionnelle du paysage sur D. suzukii sont inexistantes. Dans ce travail, nous avons cherché à définir la dépendance de l'espèce vis-à-vis des ressources, c'est à dire déterminer l'hétérogénéité fonctionnelle du paysage (Fahrig et al., 2011). Les fruits hôtes dans les habitats semi-naturels représentent un type de couverture fonctionnelle pour l'alimentation et la ponte de D. suzukii. Nous avons confronté une approche de type composition fonctionnelle du paysage à celle plus classique de composition, c'est à dire de description du paysage basée sur les types d’habitats sans description de leur capacité à héberger ou non des ressources alimentaires. Par la suite, nous avons testé laquelle des deux approches permet le mieux de prédire les niveaux de populations de D. suzukii dans les pièges attractifs au vignoble.

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