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III. Drosophila suzukii, une drosophile invasive dans le vignoble

III 2 b. La biologie de l'insecte

Comme toutes les drosophiles, le nombre de générations de D. suzukii par an est très important, jusqu'à dix (Rota-Stabelli et al., 2013). Les plages de températures de développement sont similaires à celles de D. melanogaster avec un optimum entre 15 et 21°C (Chabert et al., 2013). On note ainsi une durée de développement de l'œuf à l'adulte de 14,5 jours à 21°C. On observe aussi que le succès de développement est supérieur à 60% pour les températures plus fraîches, puis décroît à près de 50% autour de 25°C (Chabert et al., 2013). Des températures trop élevées (>30°C) peuvent entraîner une stérilité des mâles et des œufs (Kinjo et al., 2014). L'insecte se développe donc mieux à basse température suggérant que la population s'accumule bien dans ces conditions (Tonina et al., 2016).

Les autres traits biologiques de D. suzukii sont particuliers avec une faible fertilité en laboratoire (Chabert et al., 2013). La femelle pond peu d'œufs par jour et en cumulé, et l'espèce présente un faible taux de développement (Emiljanowicz et al., 2014; Iacovone et al., 2015). Il semble que D. suzukii réparti son effort de reproduction sur la durée de vie de la femelle qui est assez longue, contrairement à D. melanogaster qui concentre toute son activité sur quelques jours (Chabert et al., 2013). Drosophila suzukii se développe mieux dans les fortes conditions d'hygrométrie, ce qui favorise sa longévité et sa fécondité (Tochen et al., 2016). La durée de vie des adultes peut être importante avec des longévités mesurées jusqu'à plus de 150 jours (Emiljanowicz et al., 2014). De plus les femelles de D. suzukii ne s'accouplent ni ne pondent rapidement après leur émergence (Revadi et al., 2015). L'insecte n'est donc pas jugé compétitif (Iacovone et al., 2015).

Drosophila suzukii est capable de réaliser des grands déplacements, notamment grâce aux brises saisonnières, c'est à dire des migrations pour exploiter les changements de température, la recherche de ressources pour se reproduire et pondre au printemps et à l'automne et pour la recherche de site d'hivernation, ou pour la recherche de nourriture (Tait et al., 2018).

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Pour palier aux aléas climatiques, l'espèce passe par deux phénotypes : estival et hivernal (Vonlanthen and Kehrli, 2015) :

1) le phénotype estival assure le développement de l'insecte en saison, en général d'avril à octobre, passant de fruits hôtes en continu. L'espèce s'attaque aux fruits sains qui mûrissent, à la différence d'autres drosophiles (Rota-Stabelli et al., 2013). La femelle perfore à l’aide de son ovipositeur fort et puissant (Fig. 15) la peau dure des fruits pour pondre (Atallah et al., 2014), et lui confère un avantage évolutif simple (Cini et al., 2012), ce qui lui apporte une opportunité de niche (Rota-Stabelli et al., 2013). En effet D. suzukii est plus sensible aux composés volatiles du processus de maturation des fruits que certaines drosophiles dont D. melanogaster qui est plus attirée par les composés volatiles des fruits fermentés (Keesey et al., 2015). Drosophila suzukii et D. melanogaster présentent un comportement et une olfaction totalement différents (Pham and Ray, 2015). Par exemple, D. suzukii est plus sensible aux composés volatiles liés au processus de maturation des fruits que ceux liés aux fruits fermentés ; tandis que D. melanogaster sera attirée uniquement par les odeurs de fruits pourris (Keesey et al., 2015). Ces différences dans la perception des odeurs concernent différentes niches écologiques : fruits frais contre fruits pourris (Rota-Stabelli et al., 2013). L'espèce n'a pas de compétiteur proprement dit chez ses congénères, les drosophiles (Chabert et al., 2013; Gibert, 2012; Rota-Stabelli et al., 2013). Mais, selon les auteurs, d'autres insectes ravageurs pourraient entrer en compétition avec elle pour cette niche écologique (Rhagoletis cerasi sur cerises notamment) (Gibert, 2012).

Figure 15 : Comparaison de morphologie entre l'ovipositeur de Drosophila melanogaster (a) et Drosophila suzukii (b) ; barre d'échelle = 50 µm [d'après (Atallah et al., 2014)].

Toutefois, la femelle ne pond dans les fruits que si la force de résistance des pellicules est inférieure à 52 cN (Burrack et al., 2013). Au delà, il n'y a pas de ponte. Idem si le fruit est duveteux comme les pêches. Par contre, si ces fruits trop durs ou duveteux présentent des blessures, la femelle de D. suzukii pourra pondre à l'intérieur des pellicules blessées et devenir alors opportuniste comme les autres espèces de drosophiles (Atallah et al., 2014; Stewart et al., 2014). La quantité de ponte de D. suzukii dans les fruits augmente tout au long de leur maturité du fait de la moindre résistance des pellicules, plus faciles à perforer (Burrack et al., 2013). Le nombre de larves de D. suzukii par fruit n'est en général pas trop élevé (Hardin et al., 2015). En effet, selon la qualité du milieu, supposée variable selon l'hôte, les performances de l'insecte peuvent être impactées. Pour y remédier, le mécanisme mis en jeu par l'insecte est l'augmentation de sa durée de développement, ce qui impactera la dynamique de la population résultante. Il a été démontré également que la compétition intraspécifique entraîne une chute de la descendance de l'espèce, mais ce phénomène est compensé en présence de levures (Takahashi and Kimura, 2005). Il est intéressant de noter que les levures ont une influence sur la production des œufs de D. suzukii et pourraient être impliquées dans les mécanismes inhérents à l'acte ponte (Takahashi and Kimura, 2005).

2) le phénotype hivernal assure la survie hivernale de novembre à avril. Ce phénotype se conserve principalement sous forme de femelles fécondées (Rossi-Stacconi et al., 2016), tolérant des températures très basses et supportant même quelques périodes de gel (Stephens et al., 2015). Les

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adultes de ce phénotype présentent une coloration plus foncée sur le thorax et les tergites (Panel et al., 2018; Shearer et al., 2016) (Fig. 16). Les adultes passent l'hiver dans la litière des feuilles dans les forêts, car les conditions microclimatiques sont adaptées (Zerulla et al., 2015). On assiste ainsi à une agrégation des adultes dans ce type de sites d'hivernation. Il permet à D. suzukii de survivre en résistant au froid en hiver à l'état adulte. La reproduction ne sera possible qu'au printemps suivant (Toxopeus et al., 2016). En effet, durant cette période, les ovaires sont immatures et les femelles ne peuvent pondre de la fin de l'automne à l'hiver (Grassi et al., 2018; Panel et al., 2018). On parle alors de diapause "reproductive" (Grassi et al., 2018). La présence de ces formes hivernales peut s'observer par piégeage dans les habitats naturels et les zones cultivées (Rossi-Stacconi et al., 2016). La dynamique temporelle est assez bien décrite dans la littérature (Shearer et al., 2016) et la plus faible proportion du phénotype hivernal correspond à la période de présence des fruits des plantes hôtes (Kaçar et al., 2016).

Figure. 16 : Phénotype hivernal a) mâle et b) femelle de Drosophila suzukii (crédit : Lionel DELBAC, INRAE).

Cette diminution en proportion correspond également à une augmentation de la maturité des ovaires des femelles qui est la plus élevée en été (Grassi et al., 2018). La phase de déclin de la proportion d'adultes hivernants coïncide avec le début des infestations au printemps, période où les femelles hivernantes sont alors capables de pondre des œufs viables (Arno et al., 2016; Grassi et al., 2018). Le gui est le premier hôte printanier en Allemagne par exemple (Briem et al., 2016) (Fig 17). Cet hôte pourrait ainsi permettre d'éviter le processus de goulot d'étranglement printanier (Schellhorn et al., 2015). La présence de V. album sur la canopée supérieure correspond aussi au comportement préféré de D. suzukii pour cette zone de végétation (Tanabe, 2002).

En fin de saison, le phénotype hivernal apparaît à son maximum lors de la disparition des fruits de plantes hôtes réceptives, et l'insecte passe alors à sa diapause reproductive (Grassi et al., 2018). Ce passage par la forme hivernale est considéré comme un avantage phénotypique pour répondre aux variations environnementales (Bretman et al., 2015). Les variations de l'environnement, ici l'absence de nourriture et l'apparition de conditions climatiques défavorables, obligent l'insecte à s'adapter à la pénurie alimentaire. Les changements phénotypiques qui en résultent sont physiologiques (diapause reproductive, tolérance au froid...) et morphologiques visibles (colorations et taille). De tels changements dans la descendance sont en général d'héritage parental comme observés dans certains modèles comme chez les Coléoptères (Attisano and Kilner, 2015). On peut supposer qu'un tel phénomène existe chez D. suzukii.

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Figure 17 : Pontes de Drosophila suzukii sur une baie de gui (Viscum album) avec zooms sur les pontes et sur un œuf inséré dans la pulpe (crédit : Lionel DELBAC, INRAE).