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Classification des groupes de mésestimateurs

4. Discussion

4.2 Classification des groupes de mésestimateurs

En plus d’être classifiés dans un type de dormeur, les participants ont été classifiés selon leur degré de mésestimation. Les données de la présente étude entérinent les résultats de Manconi et al. (2010), comme quoi il y a effectivement une sous-population au sein des

individus souffrant d’insomnie, les IPA. Près de 77% des IPA ont été classés dans le groupe de mésestimateurs forts, ce qui est attendu étant donné que la mésestimation est un des critères de la classification des IPA. Cela révèle qu’il y a de la variabilité entre les nuits puisque 23% des IPA ont été classés dans les mésestimateurs moyens pour la nuit expérimentale. Il y a tout de même 17% des bons dormeurs et 22% des IPS qui se situent dans le groupe présentant une forte mésestimation pour la nuit expérimentale. La mésestimation peut donc affecter les personnes sans problèmes de sommeil ainsi que les IPS.

Bien que certains IPS aient été classifiés comme mésestimateurs modérés, les comparaisons multiples de l’effet d’interaction groupe x mésestimation x pic ont révélé qu’il y avait des différences entre les types de dormeurs au sein du groupe de mésestimateurs modérés, ce qui indique que les IPA diffèrent des autres groupes même lors d’une nuit avec un moins grand degré de mésestimation. En effet, les IPA sont plus sensibles et réactifs aux stimulations auditives pendant la nuit que les autres types de dormeurs (Bastien et al., 2013; Turcotte et al., 2011). Ces résultats suggèrent que l’activité corticale et le traitement de l’information accru seraient présents de manière générale chez les IPA, même lors d’une nuit où leur perception du sommeil serait plus juste.

Les différences significatives entre les mésestimateurs modérés et forts pour l’index de dépression de Beck et l’index de sévérité de l’insomnie semblent indiquer que ceux qui mésestiment plus souffrent d’insomnie depuis plus longtemps et seraient plus dépressifs, mais les tailles d’effet pour ces différences sont très faibles. Ceci irait dans le sens d’une plus forte détresse psychologique vécue par les mésestimateurs, comme indiqué dans la revue de littérature de Harvey & Tang (2012) sur la mésestimation. Les études de Vanable et al. (2000) et Bonnet & Arand (1997) ont utilisé l’Inventaire multiphasique de personnalité du Minnesota (MMPI) pour comparer les mésestimateurs aux bons estimateurs. Leurs études ont révélé que les mésestimateurs présentaient des scores plus élevés aux échelles d’hypocondrie, d’hystérie, de psychasthénie et de schizophrénie. Les résultats de cette étude quant aux scores plus élevés de dépression chez les mésestimateurs forts confirment qu’il existe, chez ce type d’insomniaque, plus de détresse psychologique.

Pour ce qui est des paramètres de sommeil, les forts mésestimateurs perçoivent des difficultés plus importantes que ceux qui estiment relativement bien leur sommeil, ce qui est attendu.

À la lumière de ces résultats, il est indéniable qu’il existe une sous-population dans l’insomnie, un groupe qui mésestime fortement ses paramètres de sommeil. Les données de cette étude offrent donc un appui pour la différenciation des types d’insomnie psychophysiologique et paradoxale.

4.3 Traitement de l’information

Les effets d’interaction concernant uniquement les variables de traitement de l’information démontrent que la réponse corticale est plus forte pour les sons déviants, confirmant l’hypothèse énoncée ainsi que la littérature. La réponse N1 est plus ample en sommeil paradoxal et moins ample dans les stades de sommeil profond. Ceci corrobore les autres études de potentiels évoqués (voir Bastien et al., 2013 et Crowley & Colrain, 2004 pour des revues). Par contre, l’interaction significative pic x stade a révélé que la réponse au P2 est plus petite lors du sommeil paradoxal comparativement aux autres stades. Ce résultat est contraire à ce qui est retrouvé dans la littérature qui indique que pendant le sommeil paradoxal, les composantes N1 et P2 retournent à environ 50% de leur amplitude à l’éveil (Bastuji et al., 1995; Cote et al., 2001; Crowley & Colrain, 2004). Il est à noter que ces études ont évalué des participants ne présentant pas de problèmes de sommeil. Les résultats de cette étude suggèrent que la réponse P2 aux stimuli ne varie pas de la même manière entre les stades de sommeil chez les groupes d’INS comparativement aux bons dormeurs.

4.3.1 Différences selon le type de dormeurs.

Il y a une différence significative au niveau du P2, étant plus élevé chez les IPA que les IPS, confirmant l’hypothèse sur l’amplitude du P2. Il n’y a pas de différence entre les groupes pour le N1. Ceci signifie que le lien de perception subjective passerait plutôt par l’effort requis pour l’inhibition des stimuli. Ces résultats sont en accord avec Bastien al. (2013). En effet, ces auteurs émettent l’hypothèse qu’un P2 plus ample chez les IPA serait un signe que ce groupe est plus affecté par les stimulations auditives pendant la nuit. Les IPA

devraient donc déployer un plus grand effort pour inhiber le traitement de ces stimuli, ce qui aurait un impact sur la perception de leur sommeil.

Les comparaisons multiples de l’interaction groupe x pic x son démontrent que les IPA présentent un P2 plus élevé que les IPS particulièrement pendant les sons standards, et marginalement pendant les sons déviants, ce qui confirme l’hypothèse sur la réponse aux stimuli standards des IPA. Les IPA traitent donc plus que les IPS les sons standards, donc répétitifs. Un IPS sera donc plus en mesure d’inhiber les sons qui sont répétés pendant la nuit, ce qui crée une impression rétrospective de sommeil plus consolidé et moins dérangé. Pour les sons déviants, la différence est moins importante entre les groupes. Les IPA semblent traiter de la même manière les sons répétitifs et les sons plus rares et plus forts. En effet, chaque bruit est traité comme étant indépendant des autres et requiert un traitement chez les IPA. Lors des sons plus rares, les IPS ont un traitement de l’information plus élevé que lors des sons standards, ce qui les rend plus semblables aux IPA dans leur traitement de l’information.

Pour ce qui est des différences entre les différents stades, le P2 est plus ample chez les IPA que les deux autres groupes lors du stade 2 de début de nuit, et ce traitement de l’information est particulièrement plus important lors des bruits déviants. Cette différence pourrait expliquer la perception d’une latence au sommeil très longue chez les IPA alors qu’il n’y a pas de différence objectivement. Le traitement de l’information accru pendant le début de la nuit pourrait brouiller la frontière éveil-sommeil pour les IPA, qui rapportent leur sommeil comme étant de l’éveil. La réponse au P2 des IPA est significativement plus ample que celle des IPS, et plus ample que celles des bons dormeurs, mais de manière non significative, pendant le sommeil paradoxal. Ils ont donc une réponse plus importante aux stimuli lors du sommeil paradoxal. Comme ce stade est plus semblable à l’éveil, on pourrait penser qu’une activation plus importante pourrait jouer sur l’impression du dormeur d’être éveillé.

Ceklic et Bastien (2015) ont rapporté ne pas avoir de différences entre les bons dormeurs et les insomniaques (IPS et IPA dans le même groupe) au niveau du N1 et du P2. La présente étude observe la même absence de différence au niveau du N1, mais le fait de

diviser les INS en deux groupes, les IPS et les IPA, a permis de révéler les différences au niveau du P2. Ces résultats démontrent l’importance de différencier les deux types d’insomnie, puisque le fait de les mettre dans le même groupe masque des différences importantes entre ces groupes quant à leur traitement de l’information.

4.3.2 Différences selon le type de mésestimateurs.

Les participants ont été considérés selon leur degré de mésestimation lors de la nuit expérimentale indépendamment du type de dormeur. Cette manière de séparer les participants n’a pas généré les résultats attendus. En effet, les différences existantes entre les IPA et les autres types de dormeurs quant à l’activation corticale et au traitement de l’information n’ont généralement pas été retrouvées entre les mésestimateurs modérés et forts. Tout de même, les comparaisons multiples de l’interaction (non significative) groupe

x mésestimation x pic indiquent que les IPA qui ont été classifiés dans le groupe de

mésestimateurs modérés pour la nuit expérimentale ont tout de même un P2 plus élevé que les deux autres groupes. L’effort d’inhibition des stimuli chez les IPA se manifesterait même lors d’une nuit où le degré de mésestimation est plus modéré, ce qui indique une caractéristique bien ancrée chez les IPA. Ceklic et Bastien (2015) avaient déterminé que le traitement de l’information jouait un rôle dans la perception subjective de sommeil, et la présente étude entérine cette conclusion.

Les interactions quadratiques démontrent que les IPA des deux groupes de mésestimation ont une réponse plus ample au niveau du stade 2 de début de nuit, et ce, plus particulièrement lors des sons standards, par rapport aux bons dormeurs et aux IPS. Comme la mésestimation est liée au temps éveillé plutôt qu’au temps dormi, l’inclusion de l’indice de mésestimation de la latence au sommeil pourrait préciser les résultats alors que la réponse au P2 est significativement plus ample pendant le sommeil léger de début de nuit.

Les IPA du groupe de mésestimateurs modérés présentent aussi une réponse plus ample par rapport aux autres groupes au niveau du sommeil paradoxal. Feige et al., (2008) rapportent que les individus souffrant d’insomnie présentent des éveils et des microéveils en sommeil paradoxal significativement plus nombreux que chez les bons dormeurs. Ces résultats indiquent que le sommeil paradoxal des insomniaques est plus fragmenté, ce qui

reflète l’hyperactivation corticale retrouvée chez ces derniers (Perlis et al., 1997). Toutefois, cette fréquence supérieure de microéveils ne fait pas consensus selon d’autres études (p. ex. Hairston, Talbot, Eidelman, Gruber & Harvey, 2010; Parrino, Milioli, De Paolis, Grassi & Terzano, 2009). Ces micros-éveils pourraient être causés par le plus grand traitement de l’information, et brouiller la perception de sommeil chez les IPA.

Les résultats de l’étude de Pérusse, De Konink et Bastien (2015) avaient démontré qu’une collecte de rêve, donc des réveils fréquents en sommeil paradoxal, pouvait améliorer la perception de temps passé éveillé après l’endormissement chez les insomniaques. Le fait de se faire constamment réveiller par l’expérimentateur réduisait la détresse des individus souffrant d’insomnie qui pouvaient attribuer leurs éveils à une raison externe, ce qui engendre moins de rumination et d’activation corticale. De plus, se faire réveiller pendant la nuit confirme au dormeur qu’il était effectivement en train de dormir, ce qui serait à considérer lors d’études futures et d’avenues de traitement.

Pour ce qui est des stades de sommeil profond, l’interaction non significative

mésestimation x pic x son x stade semble suggérer que le groupe avec une forte mésestimation

présentait une réponse P2 moins ample lors des sons standards que le groupe de mésestimateurs modérés. Ce résultat est à considérer avec prudence étant donné que le type de dormeur n’est pas spécifié. Il peut donc y avoir un effet d’annulation de la réponse plus ample des IPA et de la réponse moins ample des IPS. Le fait que certains résultats sont mis en évidence lorsque la classification est faite avec plusieurs nuit mais pas si la classification est faite avec une seule nuit appuie la nécessité d’utiliser un indice de mésestimation sur plusieurs nuits pour avoir un meilleur portrait de la situation.

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