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CHAPITRE 2- ÉCRITURE ET EXCENTRICITÉ

2.3. Citation, plagiat et réécriture

Ce sous-chapitre a pour objet le traitement des pratiques intertextuelles auxquelles Gérard de Nerval recourt dans la constitution de ses textes, particulièrement des Illuminés. Une série de questions attire notre attention: Quel est l'impact du choix des textes, que

l’auteur réécrit, sur son système moral et éthique? Comment a-t-il collecté, classifié, hiérarchisé et, enfin, interprété les textes sources auxquels il a recouru ? Comment a-t-il valorisé la « matière brute » ? Qu’est ce que Gérard de Nerval a sélectionné et qu’est-ce qu’il

a abandonné des textes source au texte Les Illuminés? L’auteur a-t-il suivi une logique de ce rassemblement des fragments, articles, textes? Comment ses pratiques de la citation, du plagiat et de la réécriture prennent corps dans l’œuvre ? Où et comment se situe l’auteur

parmi les écrits des autres ? C’est à partir de ces questions, de l'étude de la genèse des Illuminés et de l’analyse de la structure de ce volume que l'on définira, redéfinira et affinera

l'un des objectifs majeurs de la thèse, à savoir l'analyse de la poétique textuelle de l'excentricité.

Nous nous proposons d’y montrer queles formes d’intertextualité sont, chez l’auteur

des Illuminés, des figures essentielles de l'excentricité, dans le sens qu’ils deviennent les

signes d’une identité psycho-littéraire excentrée, d’un manque d’originalité, voire des

symptômes de la folie littéraire. Pour le formuler d’une autre manière, nous tenterons de

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comprendre comment les pratiques d’intertextualité (surtout la réécriture300

et le plagiat),

terme générique désignant toutes formes d’allusions, de citations, des déplacements ou des

détournements des sens, sont employées par Nerval. Ce qui nous retiendra donc le plus, c’est

de mettre en évidence la complexité du processus de l’écriture chez Gérard de Nerval, écriture

qui se pose principalement comme dialectique entre soi et soi (l’auto-plagiat) ou entre soi-

l’autre-soi (le plagiat ou, en termes plus euphémistiques, le « bricolage intertextuel », la réécriture).

Si l’auteur des Illuminés mentionne généralement les sources qu’il consulte et

exploite dans ses propres textes, il ne donne toujours pas les pages référentielles, ni ne montre graphiquement les suppressions opérées concernant les passages pris- cités ou plagiés- des

textes source. C’est pourquoi ceux qui se sont penchés de près sur l’analyse de cet ouvrage se

sont confrontés inévitablement avec la difficulté de montrer ce qui est de Nerval et ce qui

appartient à l’autre. Chose curieuse à remarquer à cet égard c’est le fait que l’auteur intervient

même dans les passages cités, plus précisément il ajoute ou supprime des mots, change des verbes et des adjectifs, transforme les affirmatives en négatives. C’est surtout le cas des textes sur Cagliostro et sur l’abbé de Bucquoy.

Dans Les Illuminés, mais aussi dans d’autres de ses textes, l’auteur réutilise

massivement des textes anciens, des autres ou de lui301. C'est ainsi que l'on parle du texte littéraire de Gérard de Nerval comme palimpseste inversé, somme d'emprunts et de réécriture302. La mise en parallèle des textes sources avec les textes de Nerval a exemplairement été entreprise par Keiko Tsujikawa303, c’est pourquoi nous n’insisterons pas

trop. Nous commençons par dire que Nerval recourt et abuse de toutes formes de stratégies intertextuelles dans son texte Les Illuminés.

Nerval réécrit ou cite des fragments entiers : le texte sur Quintus Aucler emprunte

300Nous intégrerons la réécriture parmi les formes d’intertextualité, même si certains des exégètes font de celle

-ci une forme à part disant que l’intertextualité met l’accent par la relation entreles textes, tandis que la réécriture tient plutôt de la notion de texte, pris dans son entité (voir Douwe Fokkema, The Concept of Rewriting,

Cercetarea literară azi, Editura Polirom, Iaşi, 2000). Voir aussi Roland Barthes, qui distingue entre texte et

œuvre considérant l’intertextualité comme tissu ou relation entre les textes, ainsi que l’espace d’entre eux, et la réécriture qui renvoie à la notion d’œuvre. Les polémiques et les terminologies comptent moins dans ce cas et dans le développement de notre analyse, le but étant plutôt de décrire le texte et l’écriture de Nerval à travers les mots d’excentricité et d’excentrique.

301

Nous nous référons aux textes écrits en collaboration dont la paternité reste incertaine (Le Prince des sots, Le

Roi de Bicêtre, Emilie) aux textes composés à partir de citations des autres textes ou de ses propre texte (Jemmy, Jacques Cazotte, Quintus Aucler), à l'auto- citation (Octavie, À Alexandre Dumas).

302

Sur ce sujet voir le livre important de Jean Nicolas Illouz, Nerval, Le « rêveur en prose », Imaginaire et

écriture, PUF, 1997, p. 41-47 ( surtout le chapitre « Nerval-palimpseste : l'auteur imaginaire ») 303

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beaucoup de La Thréicie de Gabriel André ; Cagliostro tient étroitement des Mémoires

authentiques pour servir à l’histoire du comte de Cagliostro de La Roche du Maine ; Dans

Cazotte, Nerval emploie dans la production de son propre texte plusieurs sources : Le Diable amoureux de Cazotte, le texte de Nodier « Monsieur Cazotte », les notices sur Cazotte, tome

premier des Œuvres de Cazotte paru chez Bastien, Le neveu de Rameau de Denis Diderot, La

Biographie universelle de Michaud, La famille Cazotte de Mme de Hautefeuille, le récit d’Anne Marie sur Cazotte, ainsi que la Correspondance de Cazotte par lui-même ; Les

confidences de Nicolas, le plus étendu des textes des Illuminés, est une réécriture des œuvres

de Restif de la Bretonne, telles que Monsieur Nicolas, ou le cœur humain dévoilé, Drame de la vie, Contemporaines ou Lettres du tombeau, ou les Posthumes. C’est plutôt un travail de

réécriture et de condensation du matériel que Nerval y fait. Keiko Tsujikawa compare les deux derniers textes de Nerval- Les Confidences de Nicolas et Cazotte- avec leurs textes sources et montre que les emprunts de Nerval touchent un pourcentage de 80%. Ensuite, il faut souligner que Nerval plagie des passages entiers : c’est le cas de Cagliostro où l’auteur

pille la dernière partie de l’œuvre de La Roche du Maine, marquis de Luchet, mais aussi du texte sur Cazotte, compte tenu que le texte de Cazotte, Mon songe de la nuit du samedi au

dimanche de devant la Saint-Jean 1791, est transcrit, mot à mot, sans guillemets. Nerval

réutilise des textes qu’il avait publiés une fois: c’est le cas de l’Histoire de l’abbé de Bucquoy, partie tirée des Faux Saulniers, dont les sources principales sont Constantin de Reneville,

L’inquisition française, ou l’Histoire de la Bastille et Evénement des plus rares ou l’Histoire du Sr Abbé comte de Bucquoy de Mme de Noyer (1719)304. Sauf quelques pages (la scène passée dans la boutique d’orfèvre, les renvois aux faux saulniers, les dialogues de Bucquoy

avec d’autres personnages) Nerval suit de près le texte de Mme de Noyer de telle façon que

304

Suivons les observations de Jacques Berchtold, « Énergies des « Récits d’évasion » au XVIIIe siècle : L’abbé de Bucquoy, le baron de Trenck, l’ingénieur Latude », Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n. 39, 2007, p. 189-190 : « […] Or en 1719 Bucquoy réfugié à Hanovre (ou un proche soucieux de conserver l’anonymat) ré-exploite le texte de Mme Du Noyer, le recycle, se le réapproprie et lui confère à la fois un statut

d’indépendance et un dessein militant nouveaux : les six lettres concernant sa vie, ses séjours en prison et ses

évasions, sont republiées séparément et à peine complétées par quelques autres textes de Bucquoy sans rapport

avec l’expérience carcérale. Le nouvel opuscule de deux cent quinze pages est intitulé Événements des plus, ou

l’Histoire du Sieur Abbé Comte de Bucquoy, singulièrement son évasion du Fort -l’Évêque [sic] et de la Bastille

et paraît à une adresse fictive (chez Jean de la Franchise, rue de la Réforme, à l’Espérance, Bonnefoy, 1719). Les

notices des dictionnaires répéteront bientôt abusivement, en se recopiant les unes les autres, que Bucquoy a rédigé une Histoire de mon évasion. L’ouvrage, qui devient un pamphlet anti-Bastille, est aussi recentré sur le personnage central : il est complété par sept textes de fatrasie religieuse insipide de Bucquoy. On observe un premier hiatus entre sa grossière misogynie et les luttes éminentes menées par sa biographie éclairée. On observe

un second hiatus entre le soin presque pédantesque de la forme de Mme Du Noyer et l’intention séditieuse « brute » que Bucquoy (et/ou son acolyte) donne(nt) à cet ouvrage : rien n’a été retranché ni retouché, et même des scrupules sur le style, le goût ou la galanterie, pourtant quelque peu étranges à cette place, sont conservés. »

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l’on peut qualifier son texte comme étant le résultat d’un plagiat de proximité, voire, par ci

par là, de pure plagiat. Nous en reprendrons cette problématique de la réécriture de ce texte lorsque nous allons nous occuper de ce texte analysé individuellement. Encore une précision à faire par rapport à l’Histoire de l’abbé de Bucquoy : chez Gérard de Nerval, la permutation des fragments d’une œuvre à l’autre ne reste jamais sans portée, ainsi qu’une fois ceux-ci intégrés dans des matrices et des configurations nouvelles, ils changent implicitement de sens et de signification. C’est pourquoi il faut prêter attention au fait que ce texte sur Bucquoy se

lit, certainement, d’une manière différente, d’une part, dans Les Faux Saulniers, d’autre part,

dans Les Illuminés. Les répétions des fragments ou des textes, enfin leur reprise presque telle quelle et leur réutilisation, ne sont jamais redondantes chez cet auteur, surtout lorsque le contexte thématique et la matrice textuelle d’accueil changent305. Reprendre un texte, c’est -à-dire le détacher de son objet et le coller tel quel dans une autre œuvre, signifie, dirions-nous à première vue, redire mêmement ou dupliquer le contenu ou le tracé de signifiés. Les choses ne

sont pas si simples, si on tient compte que la situation et l’acte d’énonciation ne peuvent

jamais se redupliquer. Bref, il ne faut pas perdre de vue la recontextualisation et la refonctionalisation du texte sur Bucquoy une fois intégré dans le volume.

Les thèmes abordés pas Gérard dans Les Illuminés apparaissent aussi dans d’autres

textes signés par cet auteur, c’est pourquoi nombreux sont les reflets d’un texte à l’autre.

Concrètement, Les Illuminés renvoie implicitement à Sylvie (voir Les Confidences de

Nicolas), à Isis (voir Cagliostro), à certaines scènes du Voyage en Orient (le thème du double

de L’histoire du calife Hakem et du Roi de Bicêtre, Raoul Spifame ; La Messe de Vénus, Songe

de Polyphile, Cagliostro et Cazotte), à Aurélia et aux Chimères.

Pour synthétiser, les six textes, intégrés dans le volume Les Illuminés sont le résultat de diverses formes d'écriture employées par l'auteur, à savoir la réécriture, la reprise, la

republication, l’emprunt, le plagiat, l’auto-plagiat. Max Milner a remarqué la faculté

extraordinaire de Gérard de Nerval d’absorber la pensée d’autrui et de l’adapter à ses propres besoins. Aucun portrait que l’auteur brosse et aucun fragment, qu’il cite ou plagie, n’est sans

305

Voir Marina Muresanu Ionescu, op.cit., p. 37: « Les exemples sont nombreux dans l’œuvre nervalienne où il

se plagie lui-même : il reprend ses propres textes sous de nouveaux titres, il en refond la substance, en combine des parties et obtient des textes nouveaux qui ne sont pas lus comme des variantes mais comme des œuvres

indépendantes. » ; Voir Geneviève Mouillaud, « L’auteur et l’autre », Jean Richer, (sous la direction de),

L’Herne. Gérard de Nerval, Éditions de l’Herne, « La quête de l'identité personnelle : Je, Moi et l'Autre », n. 37, 1980, p. 246 : « Compositions chargées de sens, où les textes se regroupent avec une extrême nécessité, les livres de Nerval sont en même temps des ensembles précaires, toujours autrement combinables, chaque texte pouvant

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portée dans le système de pensée de Nerval. Dans Nerval et les limbes de l'histoire, Keiko Tsujikawa résume très bien ces diverses formes d'écriture dont Nerval fait usage :

Souvent, il n'hésite pas à glisser un large morceau du texte d'un autre, sans songer à le dissimuler. C'est ainsi qu'il a recours à tout l'éventail du travail de seconde main : citation, collage (quand la citation prend des proportions exorbitantes), emprunts diffus, simple renvoi (quand l'auteur signale l'emprunt en note ou par l'italique) ; plagiat, compilation de plusieurs livres à la fois, condensation, adaptation libre, proximité d'inspiration (quand la présence des

textes étrangers n'est pas clairement signalée) […] Toutes ces techniques font de l'ouvrage

une véritable mosaïque textuelle, comme s'il n'y avait vraiment pas de rupture, chez Nerval, entre lecture et écriture, et entre écriture et réécriture306.

Ce qui est assez étonnant à remarquer c’est que l'auteur ne se contente pas

d'employer toutes ces pratiques d'écriture sans faire sien ce qui appartient à l'autre307

. Si on compare les textes sources avec Les Illuminés, il est facile de repérer de nombreuses

modifications et modalisations opérées par l'auteur d'un texte d'autrui jusqu’à son propre texte. Hisashi Mizuno, qui consacre plusieurs études à l’œuvre nervalienne, remarquait que

Gérard de Nerval adoptait, dans son ouvrage sur les illuminés, une stratégie dissimulée par l'intermédiaire de laquelle il se cachait derrière les autres et se disait à travers ceux-ci. L'intertextualité est, chez Nerval, d'une part, la preuve de son savoir, d'autre part le constituant de la production de l’écriture. Mizuno accorde plus d’espace à la notion de dialogisme, la

considérant très opérante surtout lorsqu'on aborde l’ouvrage de Nerval sur des illuminés :

Gérard de Nerval aime à composer des mosaïques de fragments issus de son œuvre ou de celle d’autres auteurs. Ainsi pour rédiger les biographies des six excentriques qui sont recueillies dans Les Illuminés, il a recouru à un nombre important de documents citant ou incrustant dans son texte des éléments pris ailleurs. Le biographe nervalien serait un écrivain du « copier-coller », modifiant ses sources à sa guise. Ce qui est curieux, c’est que Nerval

emploie la même stratégie pour se raconter, et cela particulièrement lorsqu’il est question de la folie (…) Nous pouvons ainsi avancer que Gérard de Nerval crée une écriture dialogique,

à partir de textes de ses amis, pour dire sa folie308.

306

Tsujikawa, Keiko, Nerval et les limbes de l'histoire. Lecture des Illuminés, Préface de Jean Nicolas Illouz, Genève, Droz, 2008, p. 34.

307

Voir Mizuno, Hisashi et Thélôt, Jérôme, Quinze Études sur Nerval et le romantisme, Paris, Kimé, 2005, p. 52 : « Nerval ne se contente-t-il pas d'articles ou de brochures séparés sur Rétif de la Bretonne, Cazotte, Cagliostro, il compose Les Illuminés. »

308

Mizuno, Hisashi, « L’écriture dialogique de la folie dans les écrits autobiographiques de Gérard de Nerval avant Aurélia », Romantisme, n. 149, 2010, p. 111.

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« Braconnier sur les terres d'autrui309», Gérard de Nerval s’arroge la liberté de choisir les textes qu'il veut travailler et dans lequel il trouve les éléments dont il a besoin. C'est justement la liberté de l'écart que l'écrivain prend, qui lui permet de jouer sur une marge étroite et d'opérer ainsi divers changements et modalisations du texte source jusqu'aux

Illuminés. Le sens du texte se constitue, chez Nerval, intrinsèquement dans sa relation à

d'autres textes310

. Toutefois, même si on qualifie Nerval de « braconnier sur les textes

d’autrui », il faut mentionner que l’auteur ne se contente pas de prendre un modèle littéraire sans se l’approprier ; il n’omet pas, pour autant, de générer sa propre « originalité » car, il est avant tout ancré dans son propre univers qui participe à sa procréation et à sa genèse. Toute une dialectique entre les deux forces, l’une centripète, l’autre centrifuge, se manifeste chez

Nerval, lorsqu’il cherche à trouver dans l’autre son propre reflet. L’auteur s’excentre de son

univers- mental, temporel et spatial- pour se recentrer dans l’univers de l’autre, mais celui-ci

ne s’excentre que pour se rapprocher mieux de sa propre conscience, enracinée dans une expérience historique, psychologique et culturelle. La lecture que Nerval fait de l’œuvre de

Restif de la Bretonne, de Raoul Spifame, de Quintus Aucler, de Jacques Cazotte ou de l’Abbé

de Bucquoy est sans doute une lecture personnelle. L’illuminisme, les illuminés, la folie, les

fantasmes des personnages, leurs credos, leurs espoirs, leurs certitudes et leurs doutes

n’intéressent Gérard de Nerval que s’ils correspondent ou résonnent avec son propre système

de pensée moral et éthique.

La dialectique entre l’autre et le moi, que suppose la pratique de l'intertextualité, fait jouer une certaine présence de la voix poétique de Gérard de Nerval. C'est justement cette pratique qui se manifeste, à un niveau de profondeur, comme reformulation de l'identité de

309

Steinmetz, Jean-Luc, Chotard, Loïc, op.cit., p. 31 ; cette image de braconnier n'est pas éloignée de l'image de bricoleur que Lévy Strauss donne à tout auteur qui collectionne et réarrange les études dans de nouveaux ensembles : « Regardons-le à l’œuvre : excité par son projet, sa première démarche pratique est pourtant rétrospective : il doit se retourner vers un ensemble déjà constitué, formé d'outils et de matériaux ; en faire, ou en refaire, l'inventaire ; enfin et surtout, engager avec lui une sorte de dialogue, pour répertorier, avant de choisir

entre elles, les réponses possibles que l'ensemble peut offrir au problème qu'il lui pose. (…) « On dirait que les univers mythologiques sont destinés à être démantelés à peine formés, pour que de nouveaux univers naissent de leurs fragments », dans Claude Lévy Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1976, p. 58; Voir aussi Hisashi Mizuno, art. cit., p. 112 : « Gérard de Nerval aime à composer des mosaïques de fragments issus de son œuvre ou de celles d’autres auteurs. Ainsi pour rédiger les biographies des six excentriques qui sont recueillies dans Les Illuminés, il a recouru à un nombre important de documents, citant ou incrustant dans son texte des éléments pris

ailleurs. Le biographe nervalien serait un écrivain du « copier – coller », modifiant ses sources à sa guise ».

310

Voir Philippe Sollers, « Écriture et révolution », in Tel Quel, Théorie d'ensemble, Le Seuil, 1968; rééd. coll. « Points », p. 75 : « Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture,

l’accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur. » ; Voir Julia Kristeva « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, avril 1967, p. 84 : « Tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout

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l'auteur, ressentie comme fragmentée et protéiforme. Max Milner, dans les notes amples consacrées aux Illuminés, observait :

On voit que la lecture, la transcription et le montage des textes de Restif révèlent de manière frappante la facilité avec laquelle Nerval se livre à l'identification et à la projection de soi. Un tel recours aux matériaux hétérogènes montre sans doute la volonté de Nerval de décrire le personnage à travers sa voix, au lieu de le mettre à distance comme un objet à examiner et à décrire de l'extérieur311.

Maurice Blanchot dit que « ce qu’il importe, ce n’est pas de dire, c’est de redire, et,

dans cette redite, de dire chaque fois, encore une première fois312. C’est ce qui fait, au bout de

compte, Gérard de Nerval313. Les exégètes nervaliens n’ont pas prêté attention à cet aspect

particulier de l’écriture nervalienne, c’est pourquoi chaque fois que l’on a analysé l’Histoire de l’abbé de Bucquoy, insérée donc dans Les Illuminés, on n’a fait que reprendre et analyser

le texte Les Faux Saulniers. De plus, on n’a pas insisté sur le travail de réécriture de cet auteur dans le cas de ce texte montrant comment Nerval « redit » ce que Mme de Noyer avait dit avant lui. Un retour aux Faux Saulniers- texte source de l’Histoire de l’abbé de Bucquoy-, est