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Circulation des pratiques numériques juvéniles : définition et nécessité de formalisation

Dans le document Actes de la Conférence EIAH 2017 (Page 100-105)

L’ENT dans les pratiques éducatives parentales

2 Circulation des pratiques numériques juvéniles : définition et nécessité de formalisation

2.1 Circulation des pratiques numériques

Nous tentons dans cette section de décrire la circulation de pratiques numériques. Nous avons précédemment précisé que la circulation concerne un sujet (individu) évoluant dans un environnement social au sein d’un groupe et d’une communauté et dont les pratiques numériques peuvent être enrichies dans l’interaction et le partage. Le sujet peut lui-même contribuer à son tour à enrichir les pratiques de ses pairs.

Le sujet est dans notre cas le lycéen considéré à l’échelle individuelle. L’environnement social désigne dans notre cas l’ensemble des groupes sociaux auxquels appartient le sujet.

La notion de circulation correspond à un modèle (figure 1) proposé par Cerisier [3][4] inspiré de la zone proximale de développement de Vygotsky. En contexte d’apprentissage, la proposition théorique de Vygotsky [11] distingue ce que l’enfant est actuellement capable de faire seul (dans sa zone noyau) et ce qu’il peut potentiellement faire par la collaboration avec des pairs initiés ou à l’aide des adultes (dans sa zone proximale de développement).

Par analogie, et en considérant le processus d’instrumentation [10], soit la construction de l’instrument par le sujet, comme un apprentissage, Cerisier décrit les pratiques instrumentales du sujet (individuelles) et celles qu’il peut développer au contact de son environnement social.

Dans la figure 1, nous retrouvons sur la droite, les pratiques propres à l’individu et sur la gauche les pratiques de l’environnement social. D’après ce modèle, nous pouvons parler de circulation au niveau de la zone 1 pour les pratiques de la zone noyau de l’individu et du collectif, au niveau de la zone 4, pour les pratiques actualisées2 du collectif qui sont dans la zone proximale de développement du sujet, au niveau de la zone 5, pour les pratiques qui ne sont actualisées ni par l’individu, ni par le collectif. Le cercle 2 n’est pas considéré à ce stade puisqu’il s’agit de pratiques déjà actualisées et nous souhaitons voir ce qui permet de passer d’une pratique potentielle à une pratique actualisée.

Dans ces trois cas, les pratiques sont susceptibles d’être actualisées par l’individu ou le groupe social et c’est dans ce contexte de partages de pratiques que nous parlons alors de circulation.

Fig. 1. Genèse instrumentale et interactions sociales, Cerisier [4]

Le processus de circulation des pratiques numériques étant complexe car faisant appel à plusieurs éléments de nature variée, nous choisissons de décomposer la suite du travail en procédant ainsi : identifier quelles sont les pratiques numériques des lycéens de l’établissement cible, identifier comment sont construites et comment sont partagées ces pratiques et vérifier que les conditions identifiées (au point ) sont bien exploitables et applicables dans d’autres contextes.

2 Nous entendons par actualisél’ensemble des pratiques numériques réelles d’un ou plusieurs

2.2 Etapes d’étude de la circulation des pratiques numériques

La compréhension de la construction des pratiques numériques des lycéens est au cœur de notre étude. Comme décrit dans la section 2.1, nous avons choisi de décomposer ce travail d’identification en trois phases.

La première consiste à identifier puis caractériser ce que sont les pratiques numériques des lycéens en se basant sur plusieurs sources de données :

les traces obtenues par un logiciel de traçage installé sur les équipements personnels des lycéens dont le consentement (et de leurs parents dans le cas d’élèves mineurs) explicite a été obtenu. Les traces nous donnent des indications sur l’utilisation en ligne et hors ligne de l’équipement (consultation de sites et lancement d’applications essentiellement), indépendamment du contexte d’usage (au lycée et en dehors), sous forme d’événements marqués temporellement. Ce sont ces événements que nous traitons ensuite comme actions, en les filtrant si nécessaire.

les traces fournies par les journaux d’activité du proxy, correspondant à l’utilisation du réseau au lycée. Chaque élève dispose d’un nom d’utilisateur propre pour se connecter au réseau quand il est dans l’établissement. Nous récupérons auprès du service numérique de la Région ces journaux d’activité. Ces traces peuvent nous apporter des informations supplémentaires, puisque les lycéens peuvent se connecter au réseau du lycée depuis n’importe quel équipement numérique, et pas nécessairement celui sur lequel ils sont tracés.

les emplois du temps des élèves pour comprendre le contexte d’utilisation du numérique.

les transcriptions des entretiens réalisés auprès de lycéens volontaires visant à comprendre les traces collectées.

Sur cette première phase, nous souhaitons aboutir à une liste de ce que font les lycéens, leurs pratiques, en tenant compte de ce qui définit une pratique numérique. Pour cela, nous nous basons sur les actions réalisées par les lycéens sur leur équipement numérique, en considérant le contexte, la récurrence et l’intention associés aux actions. Dans notre cas, le contexte peut être rapproché de la dimension spatio-temporelle. Une pratique pourra être réalisée en période scolaire ou non scolaire, au sein du lycée ou en dehors. La récurrence correspond quant à elle à la fréquence des actions enregistrées. Finalement, l’intention qualifie les actions à finalité strictement scolaire ou personnelle (tout ce qui n’est pas scolaire).

Pour cette première phase, et pour faciliter le travail d’identification de leur circulation, nous considérons les pratiques des lycéens selon deux échelles : à l'échelle individuelle, pour identifier quelles sont les pratiques d’un lycéen donné, et à l'échelle collective, pour identifier quelles sont les pratiques d’un groupe social donné. En partant des listes obtenues des pratiques individuelles et communes à plusieurs lycéens, nous pouvons observer comment dans le temps les pratiques passent de groupes sociaux à d’autres. Ce dernier point contribue à passer à la deuxième phase, c’est-à-dire comprendre comment se construisent les pratiques identifiées, et ensuite à la troisième phase pour vérifier la validité des mécanismes de construction identifiés.

Pour comprendre le mode de construction des pratiques, Cerisier [4] identifie des processus précurseurs de l’appropriation et donc susceptibles de favoriser l’émergence de nouvelles pratiques. Nous retenons de ceux-ci d’une part, des processus liés à la médiation entre le sujet et l’instrument (échelle individuelle) et d’autre part, des processus liés à la médiation dans la communauté (échelle collective).

À l’échelle individuelle, l’affordance, décrite comme la capacité d’un artefact à suggérer sa propre instrumentation par des signaux et les filtres de reconnaissance, définis comme le repérage et la sélection de ces signaux par le sujet sont les deux mécanismes que nous étudions. À l’échelle collective, nous retenons deux mécanismes liés au socioconstructivisme : l’étayage et la vicariance. L’étayage traduit ici comment des instrumentations se construisent par une élaboration collective. La vicariance désigne elle l’appropriation de schèmes d’un sujet par un autre en situation collaborative. Pour compléter ces deux mécanismes, nous y ajoutons la division du travail, comme élément également susceptible de favoriser l’émergence de nouvelles pratiques.

Les mécanismes énoncés et brièvement décrits ici sont directement liés aux représentations individuelles des lycéens et relèvent ainsi de données tacites. C’est pour cette raison que cette deuxième phase nécessite d’interroger les lycéens autrement que par les traces : par des entretiens ou des récits d’usage à analyser en complément des autres données.

Finalement, la troisième phase cherche à vérifier les modes de circulation de pratiques. À partir des caractéristiques identifiées dans la phase 2, nous souhaitons vérifier dans quelle mesure celles-ci peuvent être réutilisées dans d’autres contextes. Nous souhaitons ainsi contribuer à l’élaboration d’activités numériques plus complexes chez les lycéens.

C’est à partir de la deuxième phase que le travail porte spécifiquement sur la circulation. Cependant, la phase précédente et la suivante sont selon nous indispensables pour appréhender dans sa globalité la circulation des pratiques numériques des jeunes. Dans ce qui suit, nous présentons uniquement le travail mené dans la première phase.

2.3 Etude de la circulation des pratiques numériques : quel modèle théorique

pour l’analyse ?

Une fois les trois étapes définies dans la section précédente, nous avons travaillé sur la définition des caractéristiques de la circulation des pratiques numériques. Pour ce faire, nous avons pris pour guide le modèle du système d’activité proposé entre autres par Engeström [5].

Ce modèle illustré dans la figure 2 considère qu’une activité humaine se construit et se réalise dans l’interaction de plusieurs éléments, dans une approche systémique : un « sujet » va utiliser un « instrument » pour aboutir à un « résultat ». Le sujet peut être en interaction avec plusieurs utilisateurs appelé « communauté » par la médiation de « règles ». Quand la communauté travaille pour aboutir à un même résultat, elle le fait par la médiation de la « division du travail ».

Fig. 2. Modèle du système d’activité d’Engeström [5] instancié

Ce modèle instancié (figure 2) dans notre cas va permettre de décrire un sujet, le lycéen qui va travailler avec d’autres lycéens de sa classe par exemple. Les interactions entre les lycéens peuvent être régies par des règles (règlement du lycée…). Le lycéen, pour réaliser une tâche (de consultation de document…), utilise des applications (traitement de texte…) sur son équipement (tablette…). Des lycéens travaillant à la réalisation d’une même tâche (consultation par exemple) vont s’organiser en partageant le travail et adopter une division du travail particulière.

Nous nous sommes basés sur ce modèle issu du courant de la théorie de l’activité qui nous semble pertinent car il considère l’activité en contexte, et se rapproche de notre intérêt de considérer les pratiques sous l’angle du paradigme socioconstructiviste.

Nous avons retenu pour la suite de notre travail de formalisation des pratiques numériques les triades suivantes issues du triangle d’Engeström :

Sujet-Instrument-Objet, qui décrit particulièrement la médiation de l’instrument entre le sujet et l’objet.

Sujet-Règles-Communauté, qui décrit particulièrement la médiation des règles entre le sujet et la communauté.

Nous avons donc cherché à formaliser le plus possible la circulation des pratiques, en partant du modèle SA et des trois triades décrites et cela, pour chacune des phases de travail. Nous avons précisé le plus finement possible dans quelles mesures les triades pouvaient s’appliquer au contexte. Guidés par ces triades, nous avons caractérisé de façon très fine la circulation des pratiques à travers les médiations qu’elles décrivent. Les caractéristiques identifiées constituent des éléments décrivant les différentes facettes de cette circulation et deviennent ainsi des besoins d’analyse qui nous ont guidé dans le traitement des traces numériques.

Un besoin d’analyse est donc la formalisation d’une caractéristique de la circulation des pratiques. Il nous permet d’identifier ce qu’on souhaite observer dans les traces afin de mener l’analyse de façon guidée et ciblée et non pas de façon systématique. Ne pouvant présenter ici tous les besoins d’analyse identifiés, nous nous contentons de donner un exemple concret dans la section 3.3. Avant de présenter cet exemple, nous présentons d’abord dans les deux sections qui suivent la démarche particulière que nous avons adoptée pour mener l’analyse des traces guidée par les besoins d’analyse identifiés.

3 Analyse de la circulation des pratiques numériques juvéniles

Dans le document Actes de la Conférence EIAH 2017 (Page 100-105)