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Circonscrire l’information et son support

2. Recevabilité et force probante

2.1 Conditions de recevabilité

2.1.1 Circonscrire l’information et son support

Avant de nous attarder aux différentes conditions de recevabilité des éléments de preuve technologique, nous croyons pertinent de discuter davantage de la distinction entre le support et l’information composant un document. Il s’agit d’une distinction qui prend beaucoup d’importance en l’espèce. En droit québécois, le concept de « document » est au centre du concept de preuve technologique. Il s’agit de l’unité de base, de l’objet de droit qu’il convient d’analyser en considérant les règles du droit de la preuve. Or, la seule définition de ce concept pose ses propres défis, le terme « document » n’étant pas à priori issu du vocabulaire juridique, mais trouvant plutôt origine en bibliothéconomie.

Sur le plan strict, il s’agit de la conjonction d’une information et d’un support230. L’information se décline en une infinité de possibilités. Les supports aussi peuvent être nombreux. Dans un contexte classique, antérieur à la révolution technologique, une feuille de papier portant des inscriptions manuscrites constituait un document. Une photographie entre aussi dans cette définition qui est par nature plus large que les qualificatifs propres aux moyens de preuve présents dans notre corpus juridique. Toutefois, le contexte technologique des vingt dernières années opère un bouleversement créant une confusion des genres.

Le concept de « document » semble intuitivement être associé à l’écrit, un moyen de preuve. Cette confusion repose essentiellement sur la rapide évolution technologique et l’idée reçue que le « document » et la feuille de papier sont intrinsèquement liés. Le papier a historiquement servi de support aux documents depuis le onzième siècle en Europe231. Cela permet de comprendre pourquoi document et papier ont parfois été considérés synonymes. Nous savons aujourd’hui que tel n’est pas le cas.

230 « Un document est constitué d’information portée par un support. », Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, préc., note 14, art. 3.

231 La première mention du papier, sous une forme primitive, dans le contexte européen a lieu en Espagne vers

l’an 1000. On peut toutefois faire remonter son origine en Asie ainsi qu’en Afrique. Voir à ce sujet : Thomas COLLINGS et Derek MILNER, “A New Chronology of Papermaking Technology”, (1990) 14-1 Journal of the

Dans le cas des assistants vocaux, l’information se présentera sous la forme de pages Web, d’enregistrements sonores, de code machine, ou encore de documents générés par une fonctionnalité de l’assistant en vue de leur consultation par l’utilisateur, à l’instar de l’historique des commandes vocales. Dans tous ces cas, les supports sont dits « technologiques » au sens du droit québécois232. Bien que la doctrine québécoise présente le support technologique de manière large, elle l’associe toutefois à un élément physique233, sur lequel se trouve l’information. Selon nous, elle escamote de ce fait une réalité nouvelle propre à l’infonuagique, technologie faisant appel à des périphériques informatiques distants de l’utilisateur. Ainsi, bien que l’information de l’utilisateur soit forcément sauvegardée sur un support physique quelque part, il y a peu de chance que ce support soit identifiable pour l’utilisateur, qui n’a pas accès aux serveurs des grandes entreprises qui proposent ce genre de services. Encore, l’information pourrait être fragmentée et disséminée sur différents serveurs234.

Toutefois, puisque l’historique d’utilisation, le document que nous avons identifié dans la première partie de ce mémoire, se manifeste sous la forme d’une page Web235, il est pertinent de rappeler que cette page se matérialise dans l’ordinateur d’un utilisateur au moyen d’un navigateur Web. Les fichiers composant la page se téléchargent et forment un tout grâce à un logiciel, le navigateur Web. Nous avons discuté du fait qu’il est possible de télécharger un fichier d’archivage permettant de restituer une page Web dans l’état où elle se trouvait au moment de sa consultation. En soi, ce fichier d’archivage est le document technologique que l’on tentera vraisemblablement d’utiliser en preuve.

232 Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, préc., note 14, art. 1 al. 1 par. 2.

233 Par exemple, le disque dur, la carte mémoire, la clef USB. Voir notamment : M. PHILLIPS, préc., note 13, par.

31 à 33 ; V. GAUTRAIS, préc., note 12, p. 186 à 188.

234 Mehdi BAHRAMI et Mukesh SINGHAL, « The Role of Cloud Computing Architecture in Big Data », dans Witold

PEDRYCZ et Shyi-Ming CHEN (dir.), Information Granularity, Big Data, and Computational Intelligence, coll.

« Studies in Big Data », Cham, Springer, 2015, p. 275 aux pages 291 et suivantes (relativement aux enjeux entourant le « Cloud computing »), en ligne : <https://doi.org/10.1007/978-3-319-08254-7_13> ; Yashpalsinh JADEJA et Kirit MODI, Cloud Computing. Concepts, Architecture and Challenges, 2012 International Conference

on Computing, Electronics and Electrical Technologies (ICCEET), 2012 International Conference on Computing,

Electronics and Electrical Technologies (ICCEET), 2012, p. 877, p. 878, en ligne: <https://ieeexplore.ieee.org/stamp/stamp.jsp?tp=&arnumber=6203873>.

Or, la doctrine nous enseigne que trois éléments en l’espèce sont indissociables, soit le support, l’information et le format de l’information236. Dans le contexte de l’infonuagique et des opérations se déroulant sur l’Internet, le support est en quelque sorte technologique par défaut. Il est porteur d’une information, par exemple les données liées à l’utilisation d’un assistant vocal, lesquelles se présentent sous un format particulier, c’est-à-dire dans un fichier faisant appel à une technologie particulière. C’est ce double emploi du vocable « technologie » qui fera dire à Gautrais que ce terme s’applique à la fois au support qui doit être « technologique » ainsi qu’à « la technologie » portée par le support. Sans ce deuxième sens, on pourrait aisément utiliser un crayon-feutre pour écrire un contrat sur un disque dur, créant techniquement un « document technologique » et pervertissant le sens de la LCCJTI.

Ce double sens du terme « technologique » nous pousse donc, dans le contexte des assistants vocaux, à considérer à la fois l’environnement technologique dans lequel l’ensemble de ces opérations ont lieu, d’une part et les traces qui en résultent ; d’autre part. Les évènements et les faits pertinents se déroulent dans l’environnement technologique, alors que l’élément de preuve est le document présentant les traces de ces évènements.

236Voir notamment Senécal : « Sous l’effet des technologies de l’information, “la notion de support se complexifie

et devient ambiguë. Est-ce le fichier, l’outil matériel qui l’héberge ou encore la surface de l’écran sur lequel il s’affiche” ?. Il en est de même pour la notion d’inscription. Le document devient programme informatique (programme = logiciel + données), où le logiciel structure le contenu. L’équation finale devient ainsi “document numérique = structure + données”. En d’autres mots, “[u] n document numérique est un ensemble de données organisées selon une structure stable associée à des règles de mise en forme permettant une lisibilité partagée entre concepteurs et ses lecteurs” » dans François SENÉCAL, L’écrit électronique, Mémoire de maîtrise, Montréal, Faculté

des études supérieures, Université de Montréal, 2010, en ligne : <https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/3471>.