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Chapitre 3 Etude des ciments chargés en argent

2 Ciments chargés en argent

Nous présenterons dans cette partie les protocoles d’élaboration de ciments contenant de l’argent introduit soit dans la phase solide sous forme d’Ag3PO4, soit dans la phase liquide sous forme d’AgNO3. Une concentration relativement importante d’argent (Ag/Ca = 0,097) a été choisie de manière à mettre en évidence l’effet de l’argent sur les propriétés physico-chimiques du ciment au cours de la prise. Des matériaux incluant des concentrations moindres d’Ag seront présentés dans le chapitre 5 pour une caractérisation de leurs propriétés biologiques.

2.1

Elaboration des ciments

2.1.a

Introduction de Ag

3

PO

4

dans la phase solide

Le protocole de mise en œuvre du ciment utilisé est le même que celui décrit précédemment (chapitre 2, § 2.1.a). L’argent est introduit sous forme de sel de phosphate Ag3PO4 de synthèse (§ 1.3) dans la phase solide avec la brushite et la vatérite, avant homogénéisation des poudres à la spatule et au pilon. Une attention particulière a été portée lors de l’homogénéisation du mélange, de manière à ce qu’il soit bien réparti au sein de la phase solide et par conséquent du ciment qui sera noté C-Ag(S). La composition de la phase solide du ciment C-Ag(S) ainsi élaboré est reportée dans le Tableau 3.3.

2.1.b

Introduction de AgNO

3

dans la phase liquide

Dans le cas du ciment C-Ag(L) pour lequel l’argent est introduit en phase liquide, l’eau désionisée utilisée comme phase liquide dans les différents matériaux précédemment présentés a été remplacée par une solution de nitrate d’argent. De manière à être comparable au ciment C-Ag(S), la quantité d’argent introduite a respecté le même rapport Ag/Ca = 0,097 (cf. Tableau 3.3). Usuellement, dans les ciments, lorsque la phase liquide est modifiée, le rapport massique L/S est fixé pour comparer les différents matériaux. Néanmoins dans le cas du ciment C-Ag(L), le rapport L/S = 0,55 équivaut à un rapport eau/S de 0,43 soit de l’ordre de 20 % d’eau de moins que C-Ag(S) ce qui ne permet pas le gâchage et la mise en forme de la pâte. Nous avons donc fait le choix de conserver le rapport eau/S = 0,55 plutôt que le rapport L/S.

Dès l’ajout de la solution de nitrate d’argent au mélange brushite/vatérite à t0, on note une coloration jaune du milieu. Celle-ci a été identifiée par DRX comme étant due à la précipitation de phosphate d’argent.

Substitut osseux injectable, antibactérien et résorbable : études physico-chimiques et biologiques d’un ciment composite à base d’apatite

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Nomenclature % Ag Phase S (m/m) Phase L (m/m)

Ag/Ca Ca/P Ca/C L/S eau/S

C-REF 0 0 2,72 1,58 0,55 0,55

C-Ag(S) Phase S : 7,5 % m/m 0,097 2,50 1,58 0,55 0,55

C-Ag(L) Phase L ~ 7,5 % m/m

dans la phase S 0,097 2,72 1,58 0,68 0,55

Tableau 3.3 – Compositions des ciments C-REF, C-Ag(S) et C-Ag(L)

2.2

Caractérisation d’un ciment totalement pris

2.2.a

Composition des ciments (DRX)

La Figure 3.7 présente les diffractogrammes de RX des ciments C-Ag(S) et C-Ag(L), après la prise et le durcissement. Très similaires à celui d’un ciment de référence, ces diagrammes présentent les mêmes raies caractéristiques de la vatérite qui n’a pas réagi et d’une apatite nanocristalline formée au cours de la prise. Dans les deux ciments contenant de l’argent, une phase Ag3PO4 bien cristallisée se distingue. Ainsi, l’introduction de la solution de nitrate d’argent dans le milieu CaHPO4 · 2H2O / CaCO3 conduit de manière quasi instantanée à une dissolution partielle de la brushite et à la précipitation de l’orthophosphate d’argent, de très faible solubilité. [30]

Figure 3.7 – Diffractogrammes de RX des ciments chargés en argent (Ag/Ca = 0,097), introduit par voie solide ou liquide (C-Ag(S) et C-Ag(L) respectivement) comparés au ciment de référence C-REF.

30

KsAg3PO4 = 8,89.10-17 et KsB = 2,77.10-7, à 25°C, soit en terme d’activité ionique moyenne : (Ks Ag3PO4)1/4 = 9,7.10-5 < (KsB)1/2 = 5,3.10-4 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75    2(°) Vaterite

Poorly crystallised apatite Ag3PO4 *   C-Ag(L) C-Ag(S) C-REF              * * * * * * * * * * * * * * * * * * Vatérite Apatite nanocristalline Ag3PO4

Chapitre 3 – Etude des ciments chargés en argent

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2.2.b

Observations au microscope optique

La Figure 3.8 montre des photos des ciments C-REF, C-Ag(S) et C-Ag(L) prises au microscope optique. Outre une couleur jaune marquée, on remarque une présence de macropores plus importante dans les ciments chargés en argent, particulièrement le ciment C-Ag(L).

Figure 3.8 – Photos des ciments (a) C-REF, (b) C-Ag(S) et (c) C-Ag(L) aux grossissements x 20,5 (indice « 1 ») et x 82 (indice « 2 »).

2.2.c

Répartition de l’argent dans le matériau (MEB)

L’observation par MEB en mode de détection des électrons rétrodiffusés permet de faire apparaître un contraste chimique dans le matériau : l’argent, élément beaucoup plus lourd que le reste des composants du matériau, apparaît ainsi de manière beaucoup plus claire sur l’image. Les micrographies présentées Figure 3.9 montrent deux différences majeures entre les ciments C-Ag(S) et C-Ag(L) : la taille et la répartition des particules d’Ag3PO4. Dans le cas de C-Ag(S), ces particules, d’environ 2 µm, sont réparties de manière homogène alors que des particules beaucoup plus petites (quelques centaines de nanomètres) apparaissent plus ou moins concentrées dans certaines zones du ciment C-Ag(L).

(a

1

)

(b

1

)

(c

1

)

(a

2

)

(b

2

)

(c

2

)

C-REF

C-Ag(S)

C-Ag(L)

C-REF

C-Ag(S)

C-Ag(L)

2mm 2mm

2mm

0,5mm 0,5mm

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Figure 3.9 – Micrographies par MEB en électrons rétrodiffusés des ciments C-Ag(S) et C-Ag(L) montrant la répartition de l’argent (élément apparaissant en blanc).

Ces deux paramètres clefs pourraient avoir un impact sur l’activité antibactérienne du ciment. Une répartition homogène de l’argent est bien entendu nécessaire de manière à contrôler la concentration locale en agent antibactérien dans tout le matériau. Dans le cas de C-Ag(S), l’homogénéisation se fait au sein de la phase solide, elle est donc facilement contrôlable, même à une échelle industrielle, en validant le protocole et le temps de mélange avant l’emballage et la stérilisation de la phase solide. Dans le cas du ciment C-Ag(L), la précipitation de l’argent sous forme Ag3PO4 se fait dès l’ajout de la phase liquide, à l’interface entre les deux phases, dont la surface est difficile à déterminer. La pâte est ensuite gâchée pendant environ 1’30 ce qui permet une certaine homogénéisation à l’échelle macroscopique. Néanmoins, au vu des analyses MEB, il serait nécessaire d’optimiser la procédure et le temps de gâchage pour arriver à une répartition homogène de l’argent dans le matériau également à une échelle microscopique. La validation de l’homogénéité du mélange apparaît alors plus délicate. En effet, cette étape de gâchage n’est plus réalisée en amont, mais par le chirurgien juste avant implantation.

La taille des particules, elle, peut être discutée en termes de solubilité : dans la mesure où elles ont la même composition et la même cristallinité, en raison de la prise en compte nécessaire de l’énergie interfaciale, les particules les plus petites auront une solubilité plus importante que les grosses. Toutefois cet effet reste difficile à évaluer. Par ailleurs, en raison d’une surface spécifique plus importante, les petites particules d’Ag3PO4 auront également a priori une vitesse de dissolution plus grande. Il est probable que, dans ce cas, la cinétique de libération des ions Ag+ soit plus rapide. Or dans la cadre de cette application, l’objectif est de conférer des propriétés antibactériennes dans un rôle préventif, pour éviter toute croissance des bactéries en surface du matériau, non dans un rôle curatif (cf. chapitre 5). Il semble ainsi plus intéressant de maintenir une concentration suffisante d’argent en surface et d’éviter sa libération trop rapide, ce qui serait en faveur d’une taille plus

C-Ag(L)

50 µm macropores C-Ag(S)

Chapitre 3 – Etude des ciments chargés en argent

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importante. Pourtant, des particules de plus petites tailles réparties de manière homogène pourraient conférer des propriétés antibactériennes au matériau à des teneurs plus faibles en argent mais pour une durée plus réduite.

Nous pouvons enfin noter un plus grand nombre de macropores de quelques dizaines voire quelques centaines de micromètres dans le ciment C-Ag(L) que dans le ciment C-Ag(S) ou le ciment de référence C-REF (cf. Figure 2.38). Ces macropores sont a priori formés lors du dégagement de CO2 par dégradation de la vatérite alors que la pâte est encore malléable et non physiquement figée par la prise. Il semblerait donc que la libération de CO2 soit plus importante ou plus précoce dans le cas du ciment dont la phase liquide est une solution de nitrate d’argent. Ce phénomène pourrait être lié à la formation rapide d’Ag3PO4 aux dépens de la brushite et à l’acidification du milieu, comme nous en discuterons plus loin.

2.2.d

Caractéristiques de l’apatite par RMN du solide

Si l’on se penche sur les résultats obtenus pas RMN du solide 31P sur ces ciments chargés en argent (Figure 3.10), deux signaux apparaissent : un signal très fin à 29,0 ppm, caractéristique des ions phosphate de l’orthophosphate d’argent, et un signal beaucoup plus large autour de 3,8 ppm, caractéristique de ceux de l’apatite. Les spectres ont été normalisés par rapport à la masse de matériau initialement introduite, nous pouvons donc considérer que l’aire des bandes liées aux phosphates est directement proportionnelle à leur teneur au sein du ciment.

Figure 3.10 – Spectres RMN MAS 31P des ciments C-REF, C-Ag(S) et C-Ag(L).

30 28 14 12 10 8 6 4 2 0 -2 0,4 - 0,5 ppm apatite C-REF C-Ag(S) C-Ag(L)

(ppm/H 3PO4) Ag 3PO4 > <

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Si l’on analyse plus finement le signal 31P de l’apatite, il semble qu’il y ait un léger décalage entre le ciment C-REF et les deux ciments C-Ag(S) et C-Ag(L) où de l’argent a été introduit à un teneur de Ag/Ca = 0,097. Cette différence de déplacement, de l’ordre de + 0,4 à 0,5 ppm dans les ciments chargés en argent par rapport au ciment C-REF, apparaît de manière particulièrement nette et significative. [31] Ainsi l’introduction d’argent dans le ciment a un impact sur l’environnement direct des phosphates de l’apatite formée pendant la prise.