Il nous paraît pertinent de commencer ce chapitre par les principes de notre
méthode de travail. Nous avons adopté trois types d’approche qui sont abordés dans
les paragraphes suivants.
1.4.1. L’approche comparatiste
C'est notre approche centrale. « Les comparaisons internationales posent des
problèmes délicats aux sciences humaines. Pour procéder à des analyses
comparatives, il faut en effet disposer d’un nombre fini de paramètres qui soient à la
fois représentatifs du domaine étudié et puissent faire l’objet de mesures permettant
des comparaisons objectives. Or, qu’il s’agisse de politique, d’éducation ou de
gestion des entreprises, la sélection et la mesure des paramètres représentatifs des
situations étudiées sont nécessairement sujettes à discussion. Les paramètres
considérés comme représentatifs dans un contexte national ne le sont pas forcément
dans un autre. »
53A ce manque de représentativité s’ajoute l’absence de méthodes
spécifiques pour les recherches comparatives. «Le rôle de l’observateur dans une
approche comparative doit être celui d’étudier et de rapprocher toutes les nuances
possibles des institutions sociales, politiques, culturelles et éducatives. Les critères
de comparaison sont fortement liés aux codes culturels et mentaux qui guident le
comportement cognitif du comparatiste qui doit savoir que son modèle comparatif est
toujours l’expression d’un point de vue particulier. »
54Cette approche est centrale mais insuffisante, il existe aussi des différences
au niveau des disciplines.
53
POUTS-LAJUS, S. (2003) Analyses comparatives des usages des TICE dans différents
établissements scolaires en Europe, Observatoire des Technologies pour l'Education en Europe
(OTE): Paris.
54
1.4.2. L’approche transdisciplinaire et interdisciplinaire
Notre approche est transdisciplinaire, car elle concerne l’histoire, la sociologie,
les sciences politiques, la géopolitique, l’économie, la philosophie, la psychologie
sociale et les sciences de l’éducation. Notre méthode est interdisciplinaire, car « elle
permet, de façon évolutive, de situer avec une bonne précision empirique les
disciplines les unes par rapport aux autres et leurs points de recoupement sur une ou
plusieurs échelles. A chaque échelle, elle fait ressortir comment chaque discipline
instituée a réalisé un découpage privilégié de la réalité sociale. »
55Les échelles ne concernent pas uniquement les disciplines mais aussi
l’observation.
1.4.3. L’approche des échelles d’observation
Nous fondons aussi notre approche sur la distinction faite par DESJEUX
(2004)
56sur les échelles d’observation en cinq niveaux. Notre analyse porte sur
quatre de ces cinq échelles d’observation.
o La 1
èreéchelle d’observation est le macro-social. Elle est essentiellement
utilisée dans la 2
èmepartie de cette thèse : l’approche historique. Cette
approche répond aux critères de cette échelle : elle est descriptive, elle
concerne la culture et la politique en général. Les acteurs individuels sont peu
visibles, à l’exception des ministres et présidents qui ont contribué à la
création du processus de Bologne. Les auteurs représentatifs de l’échelle
macro-sociale, sont, dans notre cas, WEBER (1904,1918, 1922a &1922b) et
VERGER (1986).
o La 2
èmeéchelle d’observation est le méso-social. Cette échelle est utilisée
essentiellement dans la 3
èmepartie de cette thèse. Elle concerne la sociologie
55
DESJEUX, D. (2004) Les sciences sociales, Paris: PUF, p.61.
56
DESJEUX, D. (2004) distingue 3 grandes échelles d’observation : le macro-social, le micro-social et le micro-individuel. Dans une communication plus récente (2006) il distingue 5 échelles : le macro-social, le méso-macro-social, le micro-macro-social, le micro-individuel et le biologique.
des organisations bureaucratiques dans le processus des décisions. Les
auteurs représentatifs de cette échelle d’observation sont CROZIER (1963)
« Dans un système bureaucratique, le changement doit s’opérer de haut en
bas et doit être universel, c’est à dire affecter l’ensemble de l’organisation en
bloc. »
57, FRIEDBERG, (1993, 2005), ALTER(1996,2000)
o La 3
èmeéchelle d’observation est le micro-social. Il suit les itinéraires, les
interactions, la mise en scène, les normes et les codes (DESJEUX, 2006).
Nous rencontrons les acteurs et leurs stratégies au quotidien. L’œuvre
fondamentale pour cette échelle d’observation est « L’acteur et le
système » (CROZIER & FRIEDBERG, 1977) « L’analyse stratégique utilise
donc les attitudes, en fin de compte, comme un dispositif de recherche ,
comme un outil à la fois commode et imperfectif pour saisir la contrepartie
vécue et subjective d’une situation dans un jeu à découvrir. En somme, elle en
fait un procédé heuristique qui lui permet d’appréhender et de comprendre la
façon dont les acteurs-membres d’un système d’action agençant les
potentialités de leurs situations pour tirer parti des opportunités qu’offre le jeu.
Or c’est bien là l’essentiel et le but même de la recherche. »
58o La 4
èmeéchelle d’observation est le individuel. L’échelle «
micro-individuelle » est la plus utilisée pour comprendre, de manière cognitive,
sociale, biologique ou psychanalytique, les comportements. Elle se concentre
sur l’individu, sur la dimension psychosociale, sur les représentations. E.
GOFFMAN (1991) utilise la notion de « cadre de l’expérience »
59Ce cadre
d’expérience fixe la représentation de la réalité, oriente les perceptions et
influence l'engagement et les conduites. « Lorsqu’il est question de réalité, ce
qui importe, dit [James], c’est la conviction qu’elle entraîne sur sa qualité
57
CROZIER, M.(1963) Le phénomène bureaucratique, Paris : Seuil, p. 240.
58
Théorie et pratique de la démarche de recherche in CROZIER, M.FRIEDBERG, E.(1977) L’acteur
et le système, Paris : Seuil, pp 471-472.
59
particulière, conviction qui contraste avec le sentiment que certaines choses
sont privées de cette qualité. On peut alors se demander quelles sont les
conditions dans lesquelles se produit une telle impression, et cette question
est liée à un problème précis qui tient non pas à ce que l’appareil prend en
photo mais à l’appareil lui-même »
60.
En France, des approches comme celle de C. DUBAR « La crise des identités.
L’interprétation d’une mutation » (2000) peuvent faire partie de cette
échelle. L’auteur se situe dans cette échelle quand il travaille sur « l’identité
personnelle »tout en faisant des références au niveau micro-social. « On ne
peut pas, en effet, séparer complètement l’interprétation des formes
identitaires socialement identifiables de l’analyse compréhensive. »
61–
J.C.KAUFMANN, (1996), par son approche micro-sociologique est un autre
représentant de cette échelle.
Nous n’aborderons pas la 5
èmeéchelle, biologique, car notre sujet ne se prête
pas à des analyses cellulaires ou génétiques.
Dans notre thèse, nous partons de l’échelle macro-sociale pour expliquer
l’histoire franco-allemande, la création de l’Europe, la construction de l’espace de
l’enseignement supérieur. Dans la 3
èmepartie, nous partons de l’échelle
macro-sociale pour aborder le processus de Bologne du point de vue culturel et
géopolitique. Notre démarche consiste à descendre de façon systématique du niveau
macro vers le niveau méso et micro, jusqu’aux représentations des acteurs (le niveau
micro-individuel). Au niveau micro-individuel, nous travaillons sur l’ambivalence des
représentations que les acteurs se font du processus de Bologne.
La posture de WEBER dans « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme », qui
permet d’expliquer le micro à partir d’une échelle macro-culturelle est pertinente en
cas de comparaison. Ce qui nous intéresse, c’est « l’idéal type » (le professeur de
60
GOFFMAN, E. (1991), Les cadres de l’expérience, Paris : éditions de Minuit, p.10.
61