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3. ANALYSE DÉTAILLÉE DES OPTIONS DE CONFORMITÉ AUTORISÉES

3.1 RÉDUCTIONS INTERNES

3.1.2 Choisir ses opportunités de réduction : analyse de leur rentabilité

Les processus décisionnels actuellement utilisés par la plupart des entreprises québécoises sont en mesure de faire face aux enjeux reliés aux changements climatiques en général et à l’arrivée du Plan canadien en particulier. Une étude portant sur les processus décisionnels menant à des investissements dans l’amélioration des procédés de production a été menée en 2002, pour mettre en perspective les connaissances théoriques en la matière et leurs applications pratiques (Lempert, Popper et al. 2002). Il est ressorti, suite à des consultations auprès d’un échantillon d’entreprises américaines pionnières en matière d’action pour prévenir les changements climatiques, que ces considérations ne sont, en fait, qu’intégrées dans les processus décisionnels existants.

Ainsi, les entreprises sondées orientaient leurs investissements en fonction de leur compatibilité avec des objectifs corporatifs précis, selon la même méthodologie de base. Tout d’abord, les hauts gestionnaires de l’entreprise déterminaient la somme de capital disponible pour investir dans des projets sur les équipements physiques, en se basant sur la condition financière de l’entreprise, sa ou ses stratégies de pénétration de marché, les conditions des marchés où elle évolue, leur taux de croissance et le prix des investissements à réaliser. Les investissements considérés étaient ensuite divisés en deux catégories : les must-do investments, ou investissements « impératifs », et les discretionary investments, ou investissements discrétionnaires (Lempert, Popper et al. 2002).

Les investissements dits « impératifs » sont tous ceux ayant trait aux améliorations, réparations et remplacement d’équipements qui sont nécessaires pour rencontrer les exigences réglementaires relatives à la santé-sécurité et à l’environnement. Comme leur nom l’indique, ils doivent absolument être consentis pour que la bonne marche de l’usine ou de l’entreprise en entier ne soit pas entravée. Les investissements discrétionnaires, quant à eux, sont généralement placés en compétition pour l’obtention du capital restant. Ils sont priorisés en fonction de leur potentiel pour atteindre des objectifs corporatifs précis, en particulier pour tirer profit de nouveaux marchés. Ils visent donc à augmenter

les profits, la croissance ou les parts de marché de l’entreprise (Lempert, Popper et al. 2002).

Il est peu probable que le Plan canadien ait pour impact de faire « changer de colonne » certains projets d’investissement. En effet, les cibles de réduction ne sont pas des exigences réglementaires directives, c'est-à-dire qu’elles ne déterminent pas les moyens à prendre pour arriver aux résultats environnementaux imposés. De plus, les mécanismes de conformité prévus au plan et qui seront exposés plus amplement dans les sections subséquentes du présent essai, accordent aux installations assujetties une flexibilité encore plus importante pour l’atteinte des cibles de réduction. En d’autres mots, les prescriptions du Plan canadien n’imposent pas d’obligation d’investir dans des travaux d’efficacité énergétique ou de mitigation des émissions de GES. Selon toute probabilité, donc, les investissements qui seront considérés par les firmes concernées seront évalués comme des investissements discrétionnaires, et ce seront ceux qui contribueront le plus à l’avancement des objectifs stratégiques de la firme qui seront retenus.

Comparer le rendement des projets

Une panoplie de méthodes s’offre aux gestionnaires qui souhaitent évaluer la rentabilité de projets d’investissement et les comparer entre eux. Pour les fins du présent essai, les principales méthodes documentées, soit la méthode de la valeur actualisée des flux de trésorerie et la méthode du délai de récupération, seront décrites et comparées.

La méthode de la valeur actualisée des flux de trésorerie, traduction de « discounted cash flow method » (ci-après DCF), est présentée par la littérature micro-économique comme étant la meilleure pour évaluer le rendement d’un projet à l’étude (Nickell 1978). Elle consiste à estimer et à comparer les flux de trésorerie anticipés devant résulter de chaque projet envisagé. Pour ce faire, le gestionnaire calculera la valeur actualisée nette des revenus escomptés pour les projets d’investissement. On calculera donc les revenus annuels découlant d’un projet, desquels on soustraira les coûts annuels pour la réalisation et l’entretien. Ces données sont ensuite actualisées, et les résultats des différents projets

sont comparés. Celui présentant la meilleure valeur actualisée nette devrait être celui qui sera favorisé (Lempert, Popper et al. 2002).

En pratique, toutefois, l’application de cette méthode nécessite énormément d’informations, dont plusieurs sont incertaines. Par exemple, les données concernant la demande future pour les produits vendus par l’entreprise et les projections de prix pour ces produits sont essentielles pour calculer les revenus futurs. Or, plus on tente de prévoir ce genre de données dans un futur éloigné, plus la précision des estimés diminue (Lempert, Popper et al. 2002). Cela peut représenter un risque considérable lorsque l’on tente d’évaluer la rentabilité d’un investissement de plusieurs millions de dollars.

C’est pourquoi davantage d’entreprises optent le plus souvent pour la méthode du délai de récupération, qui consiste à fixer un délai maximal à l’intérieur duquel le projet considéré devra avoir rapporté suffisamment de bénéfices pour rembourser le capital consenti pour le mener à bien (Lempert, Popper et al. 2002, Marineau 2007). On effectuera donc une analyse coûts-bénéfices pour chaque projet considéré, et ces derniers seront priorisés en fonction de la rapidité avec laquelle ils peuvent apporter un retour sur investissement. Les délais de « payback » maximaux varient selon les pratiques de chaque entreprise et ses objectifs à long terme.

Pour être représentatives, toutefois, ces analyses devront tenir compte de la totalité des coûts reliés à l’investissement considéré (coût d’achat, coûts d’entretien, autres coûts futurs). En effet, dans la plupart des cas, le coût initial d’un équipement donné est une fraction relativement faible des coûts totaux qui surviendront lors de sa durée de vie totale. Ne pas tenir compte des coûts futurs peut mener à des décisions défavorables à long terme (Lempert, Popper et al. 2002).

La littérature académique déconseille l’utilisation de cette méthode, certains auteurs allant même jusqu’à la qualifier de « trompeuse et sans valeur pour prendre des décisions d’investissement » (Pike 1985). La principale critique qui lui est adressée est qu’elle disqualifie de facto tous les projets bénéfiques à long terme mais dont la rentabilité

maximale n’est pas atteinte durant les premières années suivant leur mise en place. On documente également une certaine forme de conflit entre les intérêts à court terme des gestionnaires et ceux de la firme, qui altèrent les processus de prise de décision. En effet, une méthode comme le calcul du délai de récupération, bien que moins bénéfique du point de vue de la firme, peut bénéficier aux gestionnaires puisqu’elle assure que le bien fondé de l’investissement sera prouvé rapidement, ce qui pourra être avantageux pour la carrière du gestionnaire l’ayant approuvé (Lempert, Popper et al. 2002).

Par contre, il est indéniable que le fait de fixer une limite rapprochée pour le remboursement des investissements permet de compenser les capacités de projection limitées des gestionnaires. En effet, tel qu’expliqué précédemment, les calculs de DCF dépendent d’estimés de flux de trésorerie qui peuvent s’étendre indéfiniment dans le futur. Le risque que les projections à long terme de retours sur investissement soient largement surévaluées sera donc diminué par l’utilisation d’un délai de récupération tronqué. Ainsi, les méthodes de calcul de délai de récupération fournissent une approche empirique de réduction du risque qui est facile à calculer, transmettre et comprendre (Lempert, Popper et al. 2002).

Signe supplémentaire que la prise de décisions par calcul de délai de récupération est bel et bien utilisée comme outil de mitigation du risque, l’utilisation de cette méthode ne tend pas à diminuer avec l’augmentation de la taille des entreprises, et ce malgré qu’une entreprise de grande taille devrait normalement avoir suffisamment de ressources pour mener des évaluations plus sophistiquées. Cela tend à confirmer l’opinion de certains auteurs affirmant que, dans un environnement très incertain, la méthode du délai de récupération sera plus performante que les méthodes DCF (Sundem 1975).

Comparaison des projets avec le prix des autres options de conformité

Les méthodes exposées plus haut servent à évaluer la rentabilité de projets d’investissements. Elles seront utiles aux entreprises ayant à leur disposition des possibilités de réduction d’émissions internes… rentables. Lorsque le potentiel de ces projets de réduction internes rentables sera épuisé, les entreprises assujetties au Plan

canadien devront débourser pour se conformer à leurs cibles de réduction. Il deviendra alors essentiel de minimiser les coûts de conformité et, pour ce faire, il faudra comparer le prix de toutes les options de conformité disponibles : réductions internes, crédits compensatoires, bourse du carbone, crédits MDP et fonds technologique.

Figure 3. 2 – Réduction du coût global d’épuration ou de dépollution. Tiré de Turcotte (2006, p. 5)

Toutes les options de conformité, à part les réductions internes, se calculeront en dollars par tonne de CO2e ($/tCO2e). Pour identifier la meilleure option de conformité, il deviendra donc nécessaire de calculer le coût marginal d’épuration (CmE) des projets de réductions internes considérés, c'est-à-dire le prix par tonne de CO2e évitée. En effet, les entreprises auront tout intérêt à réduire leurs émissions, jusqu’à ce que leur CmE, exprimé en $/tCO2e, atteigne le prix de la moins dispendieuse des options de conformité. Comme les coûts d’épuration sont très variables d’une entreprise à l’autre, certaines seront en mesure de réduire leurs émissions à l’interne au-delà de leurs cibles de

réduction. Elles auront alors tout loisir d’offrir les crédits d’émission qu’elles auront ainsi générés sur le marché du carbone et pourront en tirer un profit. À l’inverse, les entreprises incapables d’atteindre leurs cibles de réduction à un coût marginal inférieur ou égal au prix des autres options de conformité pourront économiser sur leurs frais de réduction en acquérant des crédits. La Figure 3.2 ci-dessus illustre et explique cette dynamique et les économies réalisables de part et d’autre, de manière simplifiée.