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Le Chili, terre de s´eismes

1.4 La zone de convergence Nazca-Am´erique du Sud

1.4.3 Le Chili, terre de s´eismes

1.4.3.1 Zoologie des s´eismes chiliens

Les chiliens sont coutumiers des s´eismes, et les ont int´egr´es dans leur culture. Il existe ainsi pas moins de trois mots diff´erents pour les qualifier, selon l’intensit´e de la secousse et sa dur´ee (temblor, sismo, terremoto) et les chiliens vivent `a leur rythme : chaque chef d’Etat est ainsi cens´e avoir `a g´erer un tr`es grand s´eisme pendant son mandat, ce qui s’est v´erifi´e pr´ecocement dans le cas du s´eisme de Maule de f´evrier 2010. Effectivement, le Chili est secou´e par au moins un s´eisme de magnitude ≥ 8 tous les 10 ans [Lomnitz,2004; Beck et al.,1998] qui rompt une portion de l’interface de subduction (figure1.23). Les Chiliens sont ´egalement coutumiers des ph´enom`enes de tsunami qui accompagnent parfois ces grandes ruptures et qui sont g´en´eralement tr`es de-structeurs. Ceux-ci se propagent g´en´eralement `a travers le Pacifique jusqu’aux cˆotes hawa¨ıennes et japonaises o`u l’arriv´ee des vagues est enregistr´ee depuis des si`ecles. La sismicit´e historique du Chili est relativement bien connue dans la r´egion m´etropolitaine, habit´ee depuis longtemps, mais les informations concernant la sismicit´e du Grand Nord et du petit Nord sont nettement plus parcellaires puisque la r´egion a longtemps ´et´e inhabit´ee (figure1.23). Parmi les grands s´eismes qui ont frapp´e le Chili, le s´eisme de Valdivia, en 1960 est le plus important et un des plus de-structeurs. C’est aussi le plus grand s´eisme enregistr´e au monde avec une magnitude de moment estim´ee `a 9.5 [Engdahl and Villase˜nor, 2002]. Ce s´eisme est particulier par bien des aspects : de magnitude ´etonnamment ´elev´ee (en comparaison, le s´eisme de Tohoku est de Mw ∼9), il a ´et´e pr´ec´ed´e par une forte rupture deux jours auparavant juste au Nord de la p´eninsule d’Arauco (Mw 8.4) et semble avoir rompu l’interface de subduction jusqu’`a des profondeurs ´etonnament importantes [Barrientos and Ward,1990] g´en´erant ainsi un mouvement de rebond postsismique qui domine encore le champ de d´eformation actuellement.

Si les grands s´eismes de subduction sont de loin les plus spectaculaires et les plus fr´equents, la sismicit´e du Chili ne peut s’y r´esumer. Des ´ev´enements atypiques et en g´en´eral de magnitude plus faible comme le s´eisme de Chill´an en 1939 (Mw 7.8) ou de Tarapac´a en 2005 (Mw 7.8) peuvent rompre la plaque oc´eanique `a des profondeurs variables (entre 40 et 100 km) et causer d’importants d´egˆats dans les villages de la vall´ee centrale construits sur des bassins s´edimentaires o`u les ondes sont localement amplifi´ees. Le s´eisme de Chill´an a ainsi ´et´e un v´eritable traumatisme

1.4. LA ZONE DE CONVERGENCE NAZCA-AM ´ERIQUE DU SUD 29

Figure 1.23:Segmentation sismotectonique de la marge chilienne. A, zones de ruptures estim´ees pour les s´eismes de subduction majeurs depuis 1600 [Beck et al.,1998;Lomnitz,2004;Comte,1991]. Les zones consid´er´ees comme des barri`eres plus ou moins efficaces `a la propagation des ruptures sont indiqu´ees en pointill´es de couleur. B, nombre de s´eismes de 4.5 < M w < 7 enregistr´es par l’USGS de 1973 `a 2010 calcul´es sur des fenˆetres glissantes de 0.2◦ de large [Engdahl and Villase˜nor, 2002]. La courbe bordeaux repr´esente la tendance moyenne. Les ruptures sismiques (noir) et les ´ev´enements de swarms (vert) responsables de certains pics de sismicit´e sont indiqu´es `a droite. C, carte de la sismicit´e enregistr´ee par l’USGS pour la mˆeme p´eriode. Les ´ev´enements de magnitude inf´erieure `a 4.5 ne sont pas repr´esent´es. Le nom et le trac´e approximatif des accidents bathym´etriques de la plaque Nazca sont indiqu´es en blanc.

pour le pays : 28 000 personnes y ont trouv´e la mort et la ville de Chill´an construite en adobe, a ´et´e largement d´etruite [Lomnitz,2004].

Entre les grands s´eismes qui rompent l’interface de subduction, celle-ci ne reste pas silencieuse comme en t´emoigne la sismicit´e “de fond” enregistr´ee par l’USGS [Engdahl and Villase˜nor,2002] depuis 1973 et qui est particuli`erement importante dans la r´egion m´etropolitaine (figure1.23). Ces “petits” s´eismes de magnitude inf´erieure `a 7 peuvent se produire de fa¸con isol´ee ou sous forme d’essaim (ou “swarms”) dont certains ont ´et´e list´es parHoltkamp et al.[2011] (figure1.23). Ce cr´epitement en bruit de fond de la subduction reste mal connu au Chili. Le d´eveloppement des r´eseaux sismologiques mondiaux a permis de d´etecter les plus gros ´ev´enements et de les localiser grossi`erement, mais le catalogue de l’USGS a longtemps ´et´e incomplet pour les s´eismes de magnitude inf´erieure `a 4.5 et localise toujours les ´epicentres avec des erreurs importantes du fait du manque de stations dans l’h´emisph`ere Sud. Par exemple, l’´epicentre du r´ecent s´eisme de Maule en f´evrier 2010, de magnitude pourtant importante et donc facilement d´etectable, a ´et´e localis´e par l’USGS dans les heures et jours qui suivirent `a plus de 50 km de la localisation pr´ecise obtenue avec les r´eseaux locaux. Il faut donc s’attendre `a cette marge d’erreur sur la sismicit´e de fond, et il est essentiel d’entreprendre des travaux de localisation et relocalisation pr´ecise de chaque ´ev´enement pour analyser pr´ecis´ement cette sismicit´e `a l’aide des r´eseaux r´egionaux. Le d´eveloppement de r´eseaux locaux de GPS continus est ´egalement crucial pour esp´erer r´esoudre un des myst`eres qui entoure la subduction chilienne : aucun glissement lent associ´e ou non `a des tr´emors non-volcaniques n’y a ´et´e enregistr´e jusqu’`a pr´esent pendant la phase intersismique.

1.4.3.2 Les lacunes sismiques du Chili

Dans son analyse des grandes ruptures et de l’al´ea sismique des zones de subduction `a l’´echelle mondiale, Nishenko [1991] identifie deux portions de la subduction chilienne comme ´etant des “lacunes” n’ayant pas rompu depuis suffisamment longtemps pour ˆetre consid´er´ees comme des zones `a fort al´ea sismique. La r´egion du Grand Nord, intacte depuis les grands s´eismes de 1868 et 1877, et une partie de la r´egion m´etropolitaine, de Los Vilos `a La Serena (entre 30S et 33S) qui a pourtant rompu lors du s´eisme de 1943.Nishenko [1991] produit une ´evaluation de l’al´ea sismique erron´ee dans le cas de la marge chilienne notamment `a cause de la mauvaise connaissance de la sismicit´e historique sur certains segments et de la confusion entre les s´eismes profonds, parfois intraplaques et mod´er´es Mw <8, et les grands s´eismes de subduction qui rompent la totalit´e de l’interface. La probabilit´e de rupture dans la r´egion de Maule ´etait ainsi estim´ee `a moins de 20% alors qu’elle vient de produire un des plus gros s´eismes du si`ecle. Il faudra attendre la r´e´evaluation de l’ensemble de la sismicit´e de cette r´egion et notamment l’analyse plus d´etaill´ee du s´eisme intraplaque de Chill´an parCampos et al.[2002], pour identifier avec certitude cette r´egion comme ´etant une lacune sismique intacte depuis le s´eisme de 1835 d´ecrit par Darwin [1851]. Ruegg et al. [2009] ont ensuite confirm´e que la r´egion de Maule ´etait presque totalement bloqu´ee et que cette zone ´etait bien une zone de chargement intersismique et non de glissement asismique.

De la mˆeme fa¸con, la r´egion d’Atacama qui a rompu lors du s´eisme de 1922 a rapidement ´et´e consid´er´ee parNishenko [1991] comme une zone de faible probabilit´e de rupture sur la base de l’occurrence de s´eismes profonds de magnitude proche de 7. Il s’agit pourtant d’une zone o`u la sismicit´e de fond est tr`es faible et o`u le couplage est inconnu. Elle pourrait donc ´egalement ˆetre consid´er´ee comme une lacune sismique. Le cas de la r´egion m´etropolitaine identifi´ee comme une lacune sismique par Nishenko [1991] est bien plus complexe puisque la sismicit´e de fond y est importante, le couplage relativement m´econnu et que le dernier s´eisme `a avoir rompu l’interface

1.4. LA ZONE DE CONVERGENCE NAZCA-AM ´ERIQUE DU SUD 31 est le s´eisme de 1943. Nous apportons dans cette th`ese de nouveaux ´el´ements permettant de discuter l’al´ea sismique dans cette zone de la subduction.

L’identification de lacunes sismiques `a fort al´ea sismique ne peut ˆetre men´ee en se basant uniquement sur la sismicit´e historique qui est trop mal connue et sans une quantification du degr´e de couplage sur l’interface pendant la phase intersismique, comme l’a fait Nishenko[1991]. Sans savoir si l’interface est coupl´ee, comment distinguer une zone qui glisse librement, qui n’a donc pas rompu depuis fort longtemps et qui n’est pas proche de la rupture, d’une zone totalement bloqu´ee ?