• Aucun résultat trouvé

1.1 Les grandes étapes de la transplantation et de la conservation d’organes

1.1.1 Le chemin vers le succès de la transplantation rénale

Lorsque nous discutons autour de nous, nous pouvons observer que dans l’opinion générale, la transplantation a débuté seulement au milieu du XXe. Il est vrai que c’est à partir de cette période que les succès les plus retentissants ont jailli : première transplan- tation rénale réussie en 1954 (équipe du Dr MURRAY Joseph), première transplantation hépatique réussie en 1963 (équipe du Dr STARZL Thomas), première transplantation pan- créatique en 1966 (équipe des Drs LILLCH Richard et KELLY William) ou encore première transplantation cardiaque réussie en 1967 (équipe du Dr BARNARD Christiaan). Cepen- dant, ces réussites sont le résultat des nombreux travaux pionniers qui les ont précédés. Ils représentent donc la partie émergée de l’iceberg. . . Nous allons retracer brièvement le parcours de la transplantation rénale où de nombreuses étapes ont marqué le chemin vers la réussite médiatisée de 1954.

En 1902, le Dr ULLMANN Emerich (1861–1937) a réussi la première isotransplan- tation sur un chien en prélevant son rein et en l’anastomosant aux vaisseaux de son cou. Il observa une faible production d’urines [Ullmann 1902]. Cette même année, le

1.1. Les grandes étapes de la transplantation et de la conservation d’organes 5

Dr VON DECASTELLO Alfred (1872–1960) réussit la première allotransplantation rénale entre deux chiens [von Decastello 1902]. Trois ans plus tard, en 1905, le chirurgien rou- main Nicolas FLORESCO fit avancer la technique chirurgicale de la transplantation grâce à trois découvertes fondamentales : la première fût l’insertion de l’uretère du donneur dans la vessie du receveur lors de la transplantation ; la deuxième fut l’utilisation d’anticoagu- lants en testant l’ajout de têtes de sangsues (dont le principe actif, l’hirudine, était contenu dans leurs glandes salivaires), la peptone ou encore l’helicorubine ; et enfin, troisième- ment, il utilisa une solution saline (la solution de Locke) pour rincer le sang contenu dans le rein du donneur en démontrant que cela n’altérait pas la fonction du transplant [Flo- resco 1905]. Deux ans plus tard, en 1907, le Dr STICH Rudolf a été le premier à positionner le transplant rénal en position hétérotopique au niveau du pelvis, technique qui est utili- sée de nos jours [Stich 1907]. Cette même année, le chirurgien parisien Théodor TUFFIER remarqua l’ébullition concernant la transplantation et déclara : «la transplantation des or- ganes est à l’ordre du jour».

À Lyon, c’était effectivement le cas et le Dr JABOULAY Matthieu (1860–1913) réa- lisa une xénotransplantation rénale sur l’Homme. Il la réalisa à partir d’une chèvre et d’un porc sur deux patients insuffisants rénaux chroniques en les transplantant sur leur bras. Les transplantations ont fonctionné immédiatement avec une diurèse de 1.5 L avant que n’apparaisse une thrombose du transplant au 3e jour [Jaboulay 1906]. En 1910, le Dr UNGER Ernst (1875–1938) utilisa un macaque, qui est le primate non humain le plus proche de l’Homme, pour réaliser une transplantation en bloc (c.-à-d., contenant une par- tie de l’aorte et de la veine cave) des deux reins sur une jeune fille atteinte d’insuffisance rénale terminale [Unger 1910]. Cependant, le rein ne produisit pas d’urine, probablement du fait des nombreux désordres métaboliques et cardiaques qui purent concourir à ré- duire la perfusion des reins. La patiente décéda 32 h plus tard. Pour la première fois, ces reins transplantés ont été analysés par microscopie par l’anatomopathologiste berlinois, le Pr BENDA Carl qui ne vit pas de signes de rejet «irréversible». À noter que la pre- mière étude anatomopathologique fût réalisée par deux successeurs du Dr JABOULAY, les Dr VILLARD Eugène et Dr PERRIN Émile qui ont publié la première micrographie d’un rein auto-transplanté [Villard & Perrin 1913] et que la première observation du rejet rénal humain fût réalisée par le Dr INGEBRIGTSEN Ragnvald (1882–1975) en Norvège où il dé-

6 Chapitre 1. La transplantation d’organes & l’ischémie–reperfusion

crivit pour la première fois l’infiltration et l’accumulation de lymphocytes dans les reins rejetés [Ingebrigtsen 1914]. La première transplantation entre humains a été réalisée en 1933 par le Dr VORONOI Yu (1895–1961) ; il transplanta un rein provenant d’un donneur cadavérique au niveau de l’aine [Voronoi 1933]. L’organe fût rejeté. Cependant, il est à no- ter qu’il était le premier à avoir vérifié l’état de santé du donneur avant la transplantation (tuberculose et syphilis). Deux explications de ce rejet sont possibles : la première était la durée prolongée d’ischémie tiède de 6 h (à l’époque, la pensée était de conserver l’organe à température corporelle pour préserver le principe de viabilité) ; la deuxième, connue du Dr VORONOI, était l’incompatibilité entre les groupes ABO (le receveur était du groupe O, c’est-à-dire ayant des anticorps anti-A et anti-B alors que le donneur était du groupe B, c’est-à-dire qu’il présentait l’antigène B) facilitant un rejet hyperaigu. Cependant, il n’y eut pas de rejet immédiat. Précisons que les premières transplantations rénales des années 1950 ont eu lieu sans vérification du groupe ABO ; le Dr STARZL Thomas – le père de la transplantation hépatique – et le Dr HUME David ont transplanté des reins de donneurs du B chez des receveurs du groupe O et A sans voir de rejet immédiat. L’Histoire de la transplantation rénale a également été marquée un soir de 1947, aux alentours de minuit, par trois jeunes chirurgiens, les Drs HUME David (1917–1973), HUFNAGEL Charles et le LANDSTEINER Ernest qui étaient réunis dans une petite salle à la lumière de leurs lampes frontales et qui ont tenté de traiter une patiente présentant une insuffisance rénale aiguë du post-partum en lui transplantant un rein provenant d’un patient décédé au ni- veau du coude, dans le même esprit que les premières xénotransplantations. La fonction rénale a été immédiate, mais au bout du 3ejour, la diurèse disparut et ils durent retirer l’organe. L’insuffisance rénale aiguë de la patiente se résolut trois jours plus tard sans que le rôle de l’allotransplantation y soit clairement attribué. Une série de 9 transplantations s’en est suivie à Boston de l’année 1951 à l’année 1953 [Hume et al. 1955]. Concernant le Dr VORONOI Yu, il réalisa ses dernières transplantations en 1949, mais, sous la contrainte du père de la greffe de cornée de 1931, le Dr FILATOV Vladimir (1875–1956), il dû trans- planter des reins humains conservés entre un jour et 20 jours, car le Dr FILATOV pensait que la préservation hypothermique était un «biostimulateur» augmentant la viabilité des cellules et favorisant ainsi la survie du transplant [Voronoi 1950].

1.1. Les grandes étapes de la transplantation et de la conservation d’organes 7

tation rénale à Chicago sur un patient atteint d’une polykystose rénale. Le transplant cadavérique survécut plusieurs mois, mais les résultats, pourtant pas clairs, ont été im- médiatement transmis à la communauté scientifique et aux médias. L’American Urology Association l’a d’ailleurs écarté de la scène pour avoir transmis comme vrais des résul- tats préliminaires bien que le public, lui, fût enthousiaste [Lawler et al. 1951]. Cette ini- tiative a encouragé les équipes de Paris et de Boston à continuer cet effort, préliminaire à la réussite de la transplantation rénale. Ils ont cependant retenu la leçon de ne pas faire de publicité et de retarder la publication des résultats, tout comme les présenta- tions dans les congrès, avant d’être certains des faits. La nouvelle de l’opération réali- sée par le Dr LAWLER fût transmise par France-Soir et les patients souffrants d’insuffi- sance rénale terminale commençaient à demander à être opérés de la même manière. Les neuf transplantations rénales parisiennes ont été réalisées dans trois centres : le centre médico-chirurgical Foch (équipe des Drs KÜSS René et LEGRAIN Marcel), l’hôpital Ne- cker (équipe des Drs OECONOMOS, DUBOST, AUVERT et du Pr HAMBURGER Jean) et l’autre à Créteil par le Dr SARTELLE. La première transplantation française fût réalisée en 1951 par les Drs DUBOST et SERVELLE où le donneur était un patient condamné à mort ; le temps entre la mort et le prélèvement fut de deux heures du fait du contexte peu favo- rable à ces opérations à l’époque. Les deux reins furent envoyés aux deux équipes, mais les transplants présentèrent une non-fonction primaire bien que l’étude anatomopatholo- gique n’ait pas montré de signes de rejet. Les résultats furent publiés, mais un confrère anonyme décria l’acte dans les journaux avec cette phrase cinglante : «Quand est-ce que nos collègues arrêteront d’expérimenter sur les êtres humains ?»

Les chirurgiens parisiens ont réussi la première transplantation à partir d’un donneur vivant qui était un proche du patient. Elle eut lieu le 26 décembre 1952 et fût dirigée par le Dr HAMBURGER Jean. Cela fit la une des tabloïdes nationaux et internationaux. Le transplant cessa de fonctionner 22 jours plus tard et le patient mourut peu de temps après [Michon et al. 1953]. L’enthousiasme français était à son apogée. Outre-Atlantique, c’est en 1954 que la première transplantation historique entre deux vrais jumeaux fût réa- lisée par l’équipe du Dr MURRAY Joseph qui avait repris la transplantation à Boston suite au départ du Dr HUME David. Nous voyons ainsi que le parcours vers le succès de la transplantation rénale fût long, fastidieux et que de nombreux succès n’ont pas eu la cou-

8 Chapitre 1. La transplantation d’organes & l’ischémie–reperfusion

verture médiatique qu’ils méritaient. Écartons-nous à présent de la transplantation rénale et parcourons quelques dates clés de l’Histoire de la transplantation d’organes.