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LE CHEMIN PARCOURU PAR IGIABA SCEGO DANS SES TROIS OEUVRES

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2005 :

Salsicce Laterza - récit

2010 :

La mia casa è dove sono Rizzoli – roman (prix Mondelli 2011)

2015 :

Adua Giunti – roman

Il est intéressant d’analyser le parcours suivi par l’écrivaine pendant les dix années qui se sont écoulées entre la publication de son premier récit et la sortie de son dernier roman.

En 2005, la jeune auteure, à 31 ans, obtient son premier succès avec un récit qui fait partie du recueil collectif Pecore nere dans lequel elle met en scène une sorte d’alter ego.

Le public était habitué à un certain type de protagoniste et de situations: le migrant économique qui quitte son pays à la recherche d’une vie meilleure en Europe.

Un immigré qui doit d’abord penser à gagner sa croûte; généralement doté d’un « capital culturel» modeste, peu instruit sinon complètement illétré, condamné à ne fréquenter que les milieux le plus défavorisés, s’exprimant dans une langue rudimentaire et vulgaire qu’il apprend au contatact de la population des « mauvais » quartiers.

Un immigré débarqué en Italie à l’âge adulte et qui est l’objet de discrimination, victime de la xénophobie d’une une société qui n’est pas encore prête à accueillir les étrangers. La jeune protagoniste de Salsicce fait face au problème de l’intégration d’un autre point de vue. Elle n’a pas connu l’exil, elle n‘a pas dû couper ses attaches.

Elle appartient à la deuxième génération: est née en Italie, elle y a fait ses études, l’italien est sa langue maternelle, pourtant elle ne se sent pas totalement intégrée, elle croit que quelque chose lui manque encore pour pouvoir se considérer comme une italienne à tous égards.

135 Le problème de l ’intégration est ici essentiellement subjectif: ce ne sont pas les autres qui

rejettent l’héroïne mais elle qui souffre de se sentir différente.

Et dans cette volonté d’assimilation elle pense qu’elle n’a pas d’autre choix que d’imiter les italiens dans tous leurs usages et pratiques y compris alimentaires.

Consommer un aliment interdit aux musulmans, enfreindre un tabou alimentaire, lui prouverait à ses propres yeux qu’elle est une vraie italienne.

Mais la conclusion à laquelle elle parvient c’est qu’on peut être Italien et de confession musulmane.

Ainsi elle n’a plus besoin de prouver à ses concitoyens (et surtout de se prouver à elle-même) qu’elle fait partie de la communauté nationale en consommant du porc comme tout « bon » italien.

Cinq ans s’écoulent et la protagoniste du récit suivant, qui est encore un alter ego de l’auteure, est à présent entourée par toute sa famille: ses parents, son frère, son cousin.

La jeune fille n’est donc plus isolée et elle peut compter sur le soutien de ses proches.

Réconfortée peut-être par cette présence, elle semble ne plus se demander si elle est bien intégrée, si elle a vraiment sa place dans un pays qui l’a vue naître mais où elle se sentait encore il y a peu étrangère.

Maintenant plus encore qu’italienne elle se sent citoyenne du monde et elle peut affirmer avec une certaine sérénité que “ la sua casa è dove ella è”153 .

Ce nouveau personnage semble avoir dépassé les difficultés d’adaptation de la protagoniste précédente.

Les épreuves qu’elle a dû affronter, comme dans un véritable roman d’apprentissage, l’ont rendue plus forte, plus courageuse.

136 Même si la vie a réservé à la jeune protagoniste et à sa famille des moments vraiment pénibles, ces expériences ont été en fin de compte profitables dans la perspective de la construction de soi. Ces expériences ont modifié son point de vue : elle ne ressent plus l’exigence d’imiter les autres pour s’intégrer ; maintenant les autres sont devenus ceux avec qui elle peut communiquer tout en en restant elle-même, partager ses expériences, transmettre son point de vue sur le monde.

Elle ne doit plus régler un problème d’identité, elle ne se le pose plus: elle est désormais “chez elle”.

Cinq autres années s’écoulent et le sentiment d’être “chez soi” en Italie est encore plus nette pour l’héroïne du roman de 2015, Adua.

Arrivée en Italie pendant les années soixante-dix à l’âge de dix-sept ans, Adua est une “vecchia lira”154.

A la différence des protagonistes des deux récits précédents, c’est une femme mûre.

Elle a acquis une sagesse qui lui permet de garder une certaine distance vis-à-vis des difficultés qu’elle rencontre.

Elle qui a quitté son pays pour échapper à la sévérité de son père et surtout dans l’espoir, vite déçu, de réaliser un rêve.

Elle ouvre son cœur aux autres.

Généreuse, elle donne beaucoup plus qu’elle ne reçoit d’autrui.

Elle se marie avec un jeune clandestin débarqué sur l’île de Lampedusa pour le tirer d’affaire. On peut considérer les trois personnages comme les avatars successifs de l’auteure.

137 Chacun incarne un moment dans son évolution, représente une phase dans le processus de maturation qui l’amène de l’adolescence à l’âge mûr: de la jeune fille qui s’interroge sur son identité, à la jeune femme enfin en accord avec elle-même, pour terminer par la femme dans la force de l’âge, forte de l’expérience qu’elle a accumulée à travers les innombtables épreuves qu’elle a traversées, sûre d’elle-même et pugnace.

Une femme qui dénonce l’injuste et la bonne conscience hypocrite de la société occidentale. Comme écrit Giuseppe Fontana: “ Adua è un pugno nello stomaco, uno di quelli che fa veramente male e che lascia il segno. E non potrebbe essere diversamente ” 155

Cela doit s’entendre dans le sens où elle dénonce les terribles conditions de vie de l’étranger, qu’elle trouble par ses révélations la bonne conscience occidentale.

Adua est donc la conclusion d’un parcours: elle incarne une forme d’accomplissement. C’est une femme qui s’est vraiment émancipée.

Elle a a brisé les liens qui la tenaient enchaînée à son passé et envisage l’avenir avec sérénité

155« Adua, c’est un coup de poing dans l’estomac, un de ceux qui te font vraiment mal et qui te laissent des traces. Et il ne pourrait en être autrement»

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COMMENT CHAQUE AUTEUR A REPRESENTE