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Le chemin de Laredo à Burgos

Chapitre 1. Données géopolitiques et organisation du territoire

C- Le chemin de Laredo à Burgos

Plus à l'est, se trouvait le chemin de Laredo. "C'était le chemin le plus direct de Burgos à la

mer, mais passablement accidenté." C'est en ces termes que Jean-Pierre Molénat résumait les

caractéristiques de cette route qui reliait Laredo à la Castille75.

Accidenté, certes, comme tous les chemins qui parcouraient la région de la Montaña ; c'était un chemin pour mules et non carrossable ; mais, c'était aussi le chemin le plus court avec 26 lieues pour rejoindre la mer depuis Burgos76. C'est là une des raisons pour lesquelles cette route

fonctionnait, depuis au moins la moitié du XVe siècle. Elle constituait une alternative aux routes

73 Ibid.

74 AGS, Consejo y Juntas de Hacienda, leg. 37, doc. 155. 75 Jean-Pierre MOLÉNAT, "Chemins et ponts...", art. cit., p. 142.

76 AHN, Sección Nobleza, Frías, caja 235, doc. 55. Transcrit par Elisa ÁLVAREZ LLOPIS et Emma BLANCO

CAMPOS, Documentación medieval de la casa de Velasco referente a Cantabria en el Archivo Histórico Nacional

qui reliaient Santander à Burgos. En effet, ces dernières étaient alors empruntées notamment pour faire transiter des marchandises comme l'indiquent les accords commerciaux de cette même époque entre le port santandérin et la cité burgalaise77. Le facteur de la distance est

essentiel, car la location des bêtes et le coût du transport variaient en fonction de la distance et de la durée du voyage. Logiquement, plus la distance était importante, plus le transport était cher. Il y avait donc un avantage économique en jeu dans le choix d'un acheminement par tel port plutôt que par tel autre.

De plus, il convient de rappeler qu'il s'agit d'un chemin qui parcourt les vallées sinueuses de la Cordillère Cantabrique, plus que les plaines de Castille. La route y est donc accidentée et escarpée par nature. En tenant compte de ce facteur, le chemin de Laredo présentait la même pénibilité que les autres axes routiers, mais il permettait de relier, presque en ligne droite, la côte cantabrique au plateau castillan au XVIe siècle, en franchissant le col le moins élevé de la

région : los Tornos (918 mètres).

Figure 9. Vue de la vallée de Soba depuis le col des Tornos en direction de Laredo78

77 Ibid., p. 176. Le document, daté de 1499, mentionne les multiples réparations réalisées depuis une trentaine

d'années sur deux ponts en particuliers, situés sur cette route qui conduit de Laredo à Burgos.

Son tracé est parfaitement documenté, grâce à un vaste plan de rénovation conçu en 149979. Le

parcours y était décrit minutieusement80 : Laredo, Colindres, Limpias, Ampuero, Cereceda,

Rasines, La Bárcena, Ramales, Lanestosa, El Prado (La Calera del Prado), Agüera, Villasante, El Ribero, Barcenillas (del Ribero), Revilla (de Pienza), Quintanilla de Pienza, Santurde, San Miguel de Miñón (Miñón)81, Queciles82, Barruelo, Bisjueces, Valdivieso, (El) Alminié, El

Cuerno (Villalta)83, Hontomín, Villaverde(-Peñahorada), Venta de Quintana Hortuño

(Quintanaortuño), Quintanilla de Vivar, Burgos. Comme tous les autres chemins de la région qui empruntaient les vallées fluviales pour remonter vers la Cordillère Cantabrique, cette route parcourait les berges de l'Asón, franchissait le col de los Tornos84, puis redescendait vers la

plaine de Castille, où elle rejoignait, à Agüera, une des routes qui venait de Bilbao, en passant par la ville de Valmaseda et la vallée de Mena. Une fois réunis en un chemin unique, le parcours traversait Medina de Pomar, puis le páramo del Butrón, avant d'arriver à la capitale burgalaise.

79 María Teresa DE LA PEÑA et Pilar LEÓN TELLO, Archivo de los Duques de Frías, Madrid, 1955, vol.I. Casa

de Velasco. Inventario, p. 247, n°1550, cité par Jean-Pierre MOLÉNAT, "Chemins et ponts...", art. cit., p. 144-n1. Voir aussi, AHN, Sección Nobleza, Frías, caja 235, doc. 55.

80 Entre parenthèses le nom actuel.

81 Il s'agit d'un quartier excentré de Medina de Pomar. Le tracé semble éviter le centre-ville de Medina de Pomar,

ville qui appartenait au Connétable de Castille et où ce dernier avait établi des péages. Cette situation fut à l'origine de nombreuses tensions avec les muletiers, qui furent réglées par l'ouverture postérieure d'un chemin entre Incinillas et Agüera. Voir Jean-Pierre MOLÉNAT, "Chemins et ponts...", art. cit., p. 149‑150.

82 Village situé entre La Aldea et El Vado, aujourd'hui disparu (voir Ismael GARCÍA RÁMILA, "Del Burgos de

antaño. Intento de un diccionario geográfico-histórico en sus grafías antiguas y modernas de caseríos, pueblos, villas y ciudades que integraron la provincia de Burgos en los tiempos de antaño", Boletín de la Institución

Fernández González, 2008, no 236, p. 7‑30.)

83 http://castellavetula.wordpress.com/pueblos-de-castilla/merindades/merindad-de-castilla-vieja/ Page web

consultée le 15/09/2016.

84 Au XVIe siècle, ce col de montagne apparaît sous les noms de Sendiniesto, Sendero Heniesto ou Sendero en

Yesto. AHN, Sección Nobleza, Frías, Caja 235, doc. 55 ; Archivo de la Diputación de Burgos (désormais ADB),

Figure 10. Restes du chemin reliant Laredo à Burgos en haut du col des Tornos envahi par la végétation85

Globalement, l'actuel réseau routier suit le tracé qui était en service au XVIe siècle : la Route

Nationale N-629 qui va de Colindres à Medina de Pomar, puis de là jusqu'à Incinillas par la route BU-V-5601, d'Incinillas à Valdenoceda par la Nationale N-235, de Valdenoceda à Quintanaortuño avec la route CL-629 et enfin de Quintanaortuño à Burgos, c'est aujourd'hui la double Nationale N-627 et N-623 qui a pris la relève, en lieu et place du chemin de l'époque médiéval et moderne.

Ce chemin présentait plusieurs avantages : d'une part, il supposait moins de frais de transport, car il était plus court ; d'autre part, son tracé exigeait moins d'efforts pour y transiter, car le col de Los Tornos était le seul obstacle géographique majeur à franchir. Or, c'est le passage de montagne le moins élevé de la Cordillère dans la région de la Montaña. Ce qui suppose qu'il avait moins de chances d'être fermé à cause de la neige ou du moins, il restait le moins longtemps fermé en comparaison avec les cols par lesquels passaient les chemins de Santander et San Vicente de la Barquera.

Le rapport de 1499 permet de comprendre l'intérêt qu'offrait le chemin de Laredo. Néanmoins, il souligne également les faiblesses de sa viabilité. L'étude de terrain menée à la fin du XVIe

siècle par l'alcade de Vieille Castille, Juan Sánchez de Briviesca, et par Juan de los Ríos, lieutenant du corrégidor des Quatre Villas de la Côte de la Mer, met en évidence un axe routier

bivalent : un tronçon qui va de Burgos à Agüera, et un autre qui va de Agüera à Laredo. Disons, pour simplifier, que la première partie du chemin est celle qui va de Burgos jusqu'au pied des montagnes. Il s'agit d'un parcours relativement aisé sur des terrains plats avec une demi- douzaine de ponts faits de pierres et de chaux (de cal y canto)86. En revanche, sur la deuxième

partie du chemin, la plus pénible, qui ralliait Agüera à Laredo, sur les onze ponts qu’elle comportait, il y avait dix ponts de bois. Or, il s'agit d'une région montagneuse où les cours d'eau sont rapides et où les pluies gonflent avec force les rivières, ce qui avait alors pour effet d'entraîner des crues destructrices qui emportaient régulièrement les ponts, et parfois même des parties de la chaussée.

La force des eaux fluviales pouvait être telle que les rares tentatives de construire des ponts en pierre aux endroits les plus critiques se soldèrent par des échecs répétés, comme ce fut le cas pour les ponts de Bolado et de San Pedro de Ramales, depuis la moitié du XVe siècle.

Le chemin de Laredo à Burgos présentait donc une faiblesse de taille, la fragilité de ses nombreux ponts. Au total, il n'y en avait pas moins de dix-sept entre la capitale burgalaise et Laredo. Sept de pierre et dix de bois, ces derniers situés, contre toute logique, sur la partie la plus sensible du trajet, dans la zone montagneuse entre Laredo et Agüera87. L'effondrement de

l'un d'entre eux suffisait à paralyser le trafic et impliquait la recherche de passages alternatifs, ce qui voulait dire que la route de Laredo était elle aussi tributaire des phénomènes climatiques. Il est vrai que l'entretien, d'une telle voie, était coûteux et que ni les marchands burgalais ni les villes desservies par le chemin ne se prêtaient de bonne grâce à ce sacrifice économique. C'est bien simple, trois ans après le rapport de 1499, qui avait chiffré les travaux pour plus d'un million de maravédis, le chemin de Laredo à Burgos était toujours dans un piètre état : plusieurs ponts s'étaient effondrés sous l'effet des crues, d'autres avaient été mal réparés, les rigueurs des hivers précédents avaient endommagé la chaussée et le passage était parfois dangereux, aussi bien pour les bêtes que pour les voyageurs88. La plupart des villages poussèrent des hauts cris

face à une telle dépense et firent appel au Conseil royal pour se soustraire à cette contribution ; les marchands de Burgos prétendirent n'envoyer que de menues marchandises à Laredo,

86 Il s'agissait des ponts de El Ribero, Quintanilla de Pienza, Vado, Valdivieso, Quintanilla de Vivar et Villaverde.

AHN, Sección Nobleza, Frías, caja 235, doc.55.

87 Ce sont les ponts de Ampuero, Bolado, San Pedro de Ramales, Riosequillo, La Empared, Lanestosa, Baltreyra,

El Prado, el Canto et des deux ponts situés à La Tabla. Notons au passage, à titre de comparaison, que le chemin conduisant à San Vicente de la Barquera sur sa partie montagneuse ne comporte que quatre ponts en bois à la même époque, en 1498. (Jean-Pierre MOLÉNAT, "Chemins et ponts...", art. cit., p. 131.) Si les données concernant Santander ne sont pas connues par faute de documentation, il faut néanmoins souligner la présence abondante de ponts sur la route de Laredo à Burgos, qui constituaient autant de points faibles par leur vulnérabilité.

comparé aux envois vers Bilbao, et encore le faisaient-ils en été, lorsque les rivières étaient basses pour franchir les gués sans avoir besoin de ponts89.

Les muletiers, qui se retrouvaient seuls face à la dépense, obtinrent que toutes les personnes concernées fussent sommées de payer leur quote-part de travaux90. Mais, en 1511, la situation

n'avait absolument pas changé, du moins entre Laredo et Agüera. Les ponts étaient toujours cassés, pour la plupart d'entre eux, au point qu'aucun homme n'osait les franchir à cheval rapporte Sancho de Salzedo, lieutenant du corrégidor des Quatre Villas de la Côte de la Mer91.

Enfin, outre la faiblesse des infrastructures, il reste en suspens la question concernant la capacité du chemin en lui-même. À quel type de transport était-il adapté ? Était-il réellement impraticable pour les charrettes et donc limité au transport à dos de mules, comme le prétendait Santander en 1555 ? Il semblerait que les allégations du port santandérin à ce sujet soient fondées, car en 1547 Laredo et l'Université des marchands de Burgos s'accordèrent à la fois pour réparer le chemin des muletiers, mais surtout pour ouvrir un nouveau chemin, réservé au transit des charrettes qui était parallèle au chemin déjà existant utilisé par les muletiers92. La

situation concernant le chemin pour les mules semblait donc avoir évolué depuis le début du siècle, car il était désormais mentionné comme "bien réparé" et qu'il n'obligeait Laredo à ne dépenser que 400 ducats pour son entretien, pour ainsi dire93.

Les détails techniques pour la réalisation de la nouvelle route avaient été arrêtés conjointement. Il s'agissait pour Laredo d'ouvrir un chemin de 16 pieds de large permettant le transit d'attelages capables de transporter des marchandises lourdes, de le paver aux endroits nécessaires et surtout de réaliser un tracé qui évite les dénivelés importants pour permettre aux charrettes de transiter sans problème. C'était là un des points fondamentaux qui justifiait sans doute l'ouverture d'un autre chemin carrossable, en plus de celui qui conduisait à Santander : les dénivelés sont plus

89 Ibid. Nous verrons dans le chapitre sur l'activité commerciale que les quantités transitant par Laredo étaient loin

d'être anecdotiques. L'Université des marchands cherche ici à se défausser de sa contribution en forçant le trait. Le Conseil royal ne sera pas dupe de cet argumentaire et confirmera la quote-part revenant aux commerçants burgalais.

90 Ibid. En 1502, les muletiers devaient payer 380.000 maravédis au prorata du nombre de bêtes appartenant à

chacun, les marchands burgalais, 150.000 maravédis, et Laredo, 50.000 maravédis.

91 AGS, Consejo Real, leg. 26, doc. 17, f.53v. Transcrit par Jean-Pierre MOLÉNAT, "Chemins et ponts...", art.

cit., p. 161‑162.

92 AHPC, Villa de Laredo, leg. 22, doc. 13.

93 AHPC, Villa de Laredo, leg. 22, doc. 13. En réalité, l'Université des marchands souhaitait que le chemin des

muletiers fût conservé pour continuer à y faire transiter les mules, afin de réserver le nouveau chemin aux charrettes dans un souci de conservation.

importants aux abords du col de l'Escudo que par los Tornos94. Or, les cargaisons des charrettes,

étant plus lourdes que les charges à dos de mules, s'accommodaient mal de pentes trop raides. Il s'agissait de creuser, de paver, de créer des passerelles sur les cours d'eau, d'acheter des terrains pour élargir la route. La tâche, qui était du plus grand intérêt pour la vie économique du port larédain, semblait pourtant démesurée eu égard au temps de réalisation imparti pour l'accomplissement des travaux, qui devaient s'effectuer en un an, jour pour jour95. Sans doute

l'était-elle trop, ce qui fit douter de la réalisation effective de ce projet, car les arguments avancés par Santander en 1555, soit huit ans après, indiquaient que Laredo n'avait pas de chemin qui aurait pu être emprunté par des charrettes.

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