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Les épidémies

Dans le document Laredo, un port de Castille au XVI ͤ siècle (Page 100-105)

Chapitre 3. Vivre à Laredo au XVI e siècle

A- Les épidémies

Il est intéressant de voir que Laredo, en sa qualité de ville portuaire, présente une évolution démographique qui diffère de celle du reste de la Castille. En effet, les conclusions des historiens admettent, à quelques variantes près, que la courbe démographique du royaume a été positive jusqu'à la dernière décennie du XVIe siècle, ou du moins jusqu'au dernier tiers de celui-

ci246. Dans ces fluctuations, l'incidence des épidémies, qui ravageaient villes et villages, fut

245 Selon les données du Error! Reference source not found., p.88.

246 Ramón CARANDE TOVAR, Carlos V y sus banqueros..., vol. 1, op. cit., p. 19. ; Modesto ULLOA, La

hacienda real de Castilla en el reinado de Felipe II, Madrid, Fundación Universitaria Española, 1977, p. 28.

Ramón Lanza nuance cette analyse en précisant que la Cantabrie a connu une progression démographique plus 300 400 500 600 700 800 900 F eux

considérable. Tout comme au Moyen Âge, cette époque a connu de nombreuses épidémies qui se sont plus ou moins étendues à travers le territoire. En réalité, la plupart des épidémies ont été surtout ciblées et circonscrites localement, mais elles ont bel et bien été présentes aussi bien en Castille qu'en Aragon247. Mais cela n'a pas toujours été le cas. Ainsi, la peste qui avait débuté à

Santander et Castro Urdiales en décembre 1596 s'étendit jusqu'à la région de Tolède et de la Nouvelle Castille et ne s'acheva que trois ans plus tard248.

Les études pointent des variations d'une région à l'autre avec des phénomènes locaux qui ont pu altérer cette tendance générale. Cela semble être tout particulièrement le cas des villes portuaires et des zones littorales de la péninsule249. Il ne faut pas oublier que l'espace portuaire

était un lieu d'échange, et qu'il était ainsi particulièrement exposé aux épidémies250. Or, au XVIe

siècle, c'est bien le voyageur, celui qui vient d'ailleurs, qui a été au contact d'autres contrées, qui est suspecté d'être le principal vecteur de la terrible maladie251.

C'est ce qui semble s'être produit à Laredo dès le début du siècle. Alors que la Castille n'était pas soumise à des épidémies, à la même période les ports de la Cantabrie firent face à une succession de maladies contagieuses qui allèrent décimer la région. À Laredo, c'est la moitié des d'habitants qui succomba de la peste, sur les vingt premières années du nouveau siècle252.

Les grandes épidémies firent leur apparition en Cantabrie dès la fin du XVe siècle lorsque les

navires escortant la princesse Marguerite accostèrent à Santander en mars 1497. Les marins malades, logés alors chez les habitants de la villa, propagèrent ainsi la contagion. Les ports cantabriques ont donc enchaîné cette épidémie, qui est restée locale, avec une autre épidémie,

modérée qui s'est achevée avant que dans le reste de la Castille (voir Ramón LANZA GARCÍA, Miseria, cambio

y progreso..., op. cit., p. 27).

247 Joaquín de VILLALBA, Epidemiología española, facsímil, Málaga, Universidad de Málaga, 1984, p. 77‑139

pour le XVIe siècle.

248 Bartolomé BENNASSAR, Recherches sur les grandes épidémies dans le nord de l’Espagne à la fin du XVIe

siècle. Problèmes de documentation et de méthode, Paris, École Pratique des Hautes Études, SEVPEN, 2001,

p. 36‑44.

249 Bartolomé BENNASSAR, Un Siècle d’Or espagnol, Paris, Robert Laffont, 1982, p. 81‑82 ; José Luis

BETRÁN MOYA, La peste en la Barcelona de los Austrias, Lérida, Milenio, 1996, p. 116. Le recensement de Joaquín Villalba (Joaquín de VILLALBA, Epidemiología..., op. cit.) montre que la plupart des endroits contaminés sont des villes maritimes ou des populations vivant sur les côtes (Barcelone, Séville, les îles Baléares…). Les ports étaient les portes d'entrée des épidémies qui se propageaient vers l'intérieur du pays.

250 Ce sont bien les navires qui sont mis en cause par la municipalité de Laredo qui le dit d'ailleurs clairement : "en

ella a avido y al presente ay della enfermedad de peste que a rresultado de los navios que andavan en servicio de vuestra magestad ". AGS, Consejo y Juntas de Hacienda, leg. 392, doc. 7.

251 Bartolomé BENNASSAR, Recherches sur les grandes épidémies..., op. cit., p. 7.

252 Il s'agissait d'un terme générique qui ne s'appliquait pas seulement à la peste proprement dite, mais qui était

donné à toute maladie contagieuse pouvant entraîner la mort, telle que certaines formes du typhus ou la petite vérole (voir Joaquín GONZÁLEZ ECHEGARAY et José Luis CASADO SOTO, Santander hace 500 años. La

celle-là survenue en 1507 et qui toucha Barcelone et Cadix253. En 1511, le constat était

accablant : le représentant de Santander indiqua que la ville était passée de 1200 à 400 feux254.

Dans le même temps, Laredo connut un sort similaire avec une chute de 800 à 450 vecinos entre 1499 et 1507. La ville n'était pas sortie d'affaire pour autant, car le registre des actes municipaux atteste d'une autre épidémie mortelle, qui s'était étendue de 1514 à 1519, avec un pic en 1517255.

Le solde démographique ne redevint positif qu'à partir des années 1530. Mais une nouvelle vague pestilentielle alla s'abattre sur Laredo et sa région en 1568256.

L'apparition d'une maladie contagieuse au sein de la ville recouvrait bien des aspects, qui allait au-delà de la mort d'une partie de la population. C'est toute la ville qui se retrouvait paralysée comme l'atteste le rapport établi en 1569 par Juan Cachupín Palacio, procureur-syndic de Laredo257. C'est avec force détails qu'il narre les événements survenus lors de ce fléau. À

l'annonce de la maladie, les habitants quittèrent la ville, en emportant leurs affaires pour se réfugier dans les hameaux voisins et sur le mont Olivar, échevins inclus258. Leur retraite forcée

dura huit mois, pendant lesquels on désigna certaines personnes pour rester en ville afin de s'occuper de l'inhumation des morts. C'est non sans peine que les membres de la municipalité réussirent à recruter un docteur pour soigner les malades, en la personne du Licencié Carrasco, originaire de Medina de Pomar. La ville fit aussi appel à des chirurgiens et à des apothicaires pour les saignées et la préparation des médicaments. On laissa en ville Diego de Bohan, alcade, et Juan de Villalobos, alguazil, pour assurer la sécurité des biens provisoirement abandonnés dans une ville semi-désertée. Toutes ces personnes n'acceptaient la périlleuse mission qui leur était confiée qu'en contrepartie d'un salaire à la mesure des risques qu'impliquait la situation, bien sûr.

253 Joaquín de VILLALBA, Epidemiología..., op. cit., p. 80 ; José Luis BETRÁN MOYA, La peste en la

Barcelona..., op. cit., p. 117.

254 Joaquín de VILLALBA, Epidemiología..., op. cit., p. 55.

255 Manuel BUSTAMANTE CALLEJO, "La peste en la villa de Laredo en los años de 1514 a 1519, según las

actas de su Ayuntamiento", Altamira. Revista del Centro de Estudios Montañeses, 1966, XXIII, p. 177‑189.

256 Il semble que cette épidémie soit originaire du sud de la France d'où elle passa par la Catalogne, puis d'étendit

progressivement vers l'ouest et le nord qui fut la dernière zone touchée, vers 1567-1568 (voir José Luis BETRÁN MOYA, La peste en la Barcelona..., op. cit., p. 135‑137).

257 AHPC, Villa de Laredo, leg.27, doc. 26. La gestion du problème réalisée ici par les échevins est assez commune.

À Barcelone, los de l'épidémie de 1589, les première mesures prises par les membres de la municipalité visèrent à mettre les malades à l'isolement et expulser les vagabonds et les mendiants. Ils cachèrent la réalité de la situation afin de ne pas interrompre l'approvisionnement de la ville (voir Ibid., p. 148).

258 La fuite était l'attitude la plus courante lorsque la maladie était officiellement déclarée. Ainsi, à Burgos, en

1599, il fallut se résoudre à quitter la ville malgré une gestion résolument active de la part du corrégidor et des membres de la municipalité (voir Francisco José GONZÁLEZ PRIETO, La ciudad menguada: población y

Partout où elles frappaient les épidémies de peste entraînaient de lourdes dépenses : médecins, médicaments, nettoyage des rues ou surveillance des maisons. Les autorités municipalités s'occupaient aussi de porter une assistance religieuse aux malades259. Les dettes accumulées

perturbaient gravement l'économie locale, comme ce fut le cas à Burgos lors de la peste de 1565, et les municipalités devaient avoir recours à des prêts260. En plus de perdre leurs proches,

les survivants devaient contribuer au remboursement des dépenses engagées par la municipalité pour lutter contre ce fléau. Ainsi, la municipalité surendettée se vit accordée par la Couronne le 22 décembre 1569, le droit d'établir une accise sur la vente de produits alimentaires pour une somme de 6000 ducats et 200 réaux (soit 2 256 800 maravédis en tout)261 en plus des 1000

ducats (375 000 maravédis) que la ville avait déjà empruntés (tomar a censo) pour couvrir les premiers frais262.

En termes de vies humaines, le bilan fut désastreux. En 1579, la ville déclara avoir perdu "plus de 2000 personnes" entre 1568 et 1569, et constata avec amertume qu'elle était entrée dans une phase de déclin263. Les chiffres avancés par Laredo n'avaient rien d'exceptionnels. Les épidémies

pouvaient ravager des régions entières en décimant dans bien des cas la moitié de la population, comme ce fut le cas dans la zone de la Bureba lors de l'épidémie de 1565264.

Le pire restait encore à venir avec la peste de 1596-1602. Cette épidémie est sans doute la plus connue des historiens de par son intensité et sa portée, puisqu'elle toucha toute la Péninsule. En freinant la démographie et en stoppant la croissance économique, elle marqua le début de la crise du XVIIe siècle en Espagne.

Pour les ports cantabriques, l'épidémie sera encore plus dramatique qu'ailleurs puisqu'ils servirent de point de départ à la maladie. Ils furent les premiers touchés, car le mal se propagea à travers toute la Péninsule à partir de Santander. La chronologie établie par Bartolomé Bennassar fixe la reconnaissance officielle de la contagion le 4 décembre 1596, date à laquelle

259 Ibid., p. 118. Les lieutenants et les alguazils s'occupaient de mettre en application les décisions prises par les

autorités (voir Ibid., p. 119).

260 Francisco José GONZÁLEZ PRIETO, La ciudad menguada..., op. cit., p. 114.

261 AHPC, Villa de Laredo, leg.1, doc. 23, ff.24-25. Les services du médecin Carrasco avaient coûté 800 ducats.

Le barbier-chirurgien et l'apothicaire touchèrent 100.000 maravédis tout comme l'alcade et l'aguazil Juan del Corro qui réclamait la somme conséquente de 2.100 ducats pour ses six mois de service (AHPC, Villa de Laredo, leg.27, doc. 26, f.2r. et AHPC, Villa de Laredo, leg. 20, doc.37, f.36.

262 AHPC, Villa de Laredo, leg. 27, doc. 26.

263 AGS, Consejo y Juntas de Hacienda, leg.108, doc. 8, f.2r-v.

264 Francis BRUMONT, Campo y campesinos de Castilla la Vieja en tiempos de Felipe II, Madrid, Siglo veintiuno

de España editores, 1984, p. 4, cité par Francisco José GONZÁLEZ PRIETO, La ciudad menguada..., op. cit., p. 115.

le navire Rodamundo en provenance des Flandres, et porteur à son bord de la maladie, est entré dans le port de Santander265.

Malgré sa proximité avec le port infecté, Laredo ne sera touchée que dix mois plus tard, du 11 septembre 1597 au 25 juin 1598266. Pendant ces neuf mois, le mal allait parachever les dégâts

infligés par la vague mortifère précédente survenue seulement trente ans auparavant. Le chaos semblait s'être emparé de la ville. Les survivants étaient affamés. On ne trouvait de blé nulle part : la région n'en produisait pas et les villes du plateau castillan, qui fournissaient en temps normal les populations des ports cantabriques en céréales, cessèrent tout échange, par crainte de contagion, poussant les Larédains à prendre les armes et à sortir de la ville pour se mettre en quête de nourriture267.

De leur côté, les échevins (regidores*) suivirent l'exemple du corrégidor qui avait fui la ville pour se loger à dix kilomètres de là, à Rada, et trouvèrent refuge à Santoña268. C'est à distance

qu'ils gérèrent une situation d'exil qui s'avéra une fois de plus dispendieuse : réunions avec le corrégidor, envoi de messagers à la cour ou encore gestion de l'approvisionnement en blé des habitants exilés de la ville. Évidemment, il y avait aussi les frais des opérations au sein même de la ville, tels que l'enfumage de l'église à base d'encens et d'huile, la chaux nécessaire à l'enterrement des corps, l'entretien et l'aménagement du cimetière, etc. :

"mandamos a vos Andres de Muñoz depositario del dinero questa villa tiene para gastos de peste que de los maravedis de vuestro cargo deis y pagueis a Domingo de Gurozibay vecino desta villa trescientos y noventa y nueve reales que son para otros tantos que a gastado por nuestro mandado en el tiempo que duro la peste en esta villa en ahumar y limpiar la yglesia y haçer un carnero para sepultar los muertos" 269

265 Bartolomé BENNASSAR, Recherches sur les grandes épidémies..., op. cit., p. 40. En guise d'exutoire, et à la

demande des habitants, les autorités municipales décidèrent de mettre le feu au Rodamundo, le 21 mai 1597 (Ibid., p. 25).

266 AHPC, Villa de Laredo, leg.20, doc.37, f.47. Comme l'a mentionné Bartolomé Bennassar, les rumeurs qui

couraient à Valladolid en janvier 1597 selon lesquelles Bilbao était contaminée étaient fausses puisque la maladie n'y a fait son apparition qu'en 1598 (Bartolomé BENNASSAR, Recherches sur les grandes épidémies..., op. cit., p. 21‑22). Pour notre part, nous ajouterons que les mêmes rumeurs concernant Laredo l'étaient tout autant, ce qui relance une fois de plus le débat sur la vitesse et la logique géographique de la propagation de l'épidémie.

267 AHPC, Protocolos 1624-5, f.2r.

268 AHPC, Villa de Laredo, leg. 20, doc. 37.

269 AHPC, Villa de Laredo, leg. 20, doc. 37, ff.46-47. Compte tenu du nombre de cadavres et de l'odeur qui se

dégageait des sépultures se trouvant dans l'église, il fallut creuser une fosse "profonde" dans la chapelle principale récemment construite sur la partie arrière de l'édifice. On y inhuma 26 hommes et 25 femmes, au prix de 4 réaux par corps pour les hommes et de 2 réaux pour les femmes (f.2v).

À tout cela, il fallait ajouter l'assistance aux plus démunis. La municipalité faisait l'aumône aux malades de l'hôpital Saint-Martin270 ou réglait les dépenses de santé des habitants sans

ressources271.

L'entrée dans le XVIIe siècle s'annonçait pour Laredo sous les pires auspices. La municipalité

était consciente de son état de "ruine notoire" et s'inquiétait des conditions d'extrême pauvreté des survivants qui ne pourraient continuer à résider à Laredo si la Couronne n'accordait à la ville un secours par le biais d'une exemption fiscale sur une période de vingt ans. Le 28 janvier 1599, le roi accordera cette grâce à Laredo, mais pour une durée de trois ans272.

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