Dans le troisième chapitre de cette partie, nous nous intéressons aux transformations des
pratiques des forces de vente d’Alpha suite à la mise en œuvre du progiciel CRM Cont@ct.
Même si nous ne pouvons pas établir de liens de cause à effet, nous montrons que
concomitamment à cette mise en œuvre, un certain nombre de pratiques des équipes
commerciales se sont transformées et que les transformations les plus significatives ne sont
pas toujours celles attendues. Les transformations des pratiques en matière de connaissance
client ou relatives à son partage au sein de l’entreprise sont relativement modérées : elles ont
varié au cours du temps et sont très dépendantes du management voire même de chaque
individu. Celles en matière de rationalisation de processus de vente sont plus significatives
mais leurs conséquences ne sont pas toujours celles attendues. Ainsi, l’automatisation des
tâches administratives n’a pas permis la diminution de celles-ci dans l’activité quotidienne des
commerciaux, bien au contraire. En outre, de façon inattendue, les pratiques de contrôle ont
été modifiées au-delà du renforcement du contrôle hiérarchique en favorisant la mise en place
d’un contrôle latéral entre les commerciaux et d’un contrôle transversal de la direction
commerciale envers la direction de la production.
Ainsi, ce chapitre enrichit les rares travaux existants sur le rôle des progiciels CRM,
notamment ceux de Benedetto (2003) et de Kessous (2005) en montrant comment ces
progiciels peuvent transformer les modes de contrôle au sein d’une organisation. Puis, il nous
permet de contribuer à la recherche en comptabilité-contrôle de gestion de plusieurs façons.
Nous soulignons tout d’abord qu’il peut être intéressant pour les chercheurs en comptabilité-contrôle de gestion d’élargir leurs recherches aux outils de gestion qui ne sont pas forcément
entièrement dédiés au contrôle. Notre étude contribue ensuite à approfondir les travaux déjà
menés sur le rôle des ERP au sein des organisations. Nos résultats confirment, les effets
modérés des ERP mis en évidence par Malmi et Granlund (Granlund et Malmi 2002) et
corroborés par d’autres chercheurs (Scapens et Jazayeri 2003 ; Boitier 2004 ; Meyssonnier et
Pourtier 2005 ; Quattrone et Hopper 2005 ; Hyvönen et al. 2008). Notre recherche complète
aussi les recherches sur les ERP montrant des effets variables d’une organisation à l’autre
(Granlund et Malmi 2002 ; Quattrone et Hopper 2005, 2006) en montrant qu’au sein d’une
même organisation, ils peuvent également varier d’une période à l’autre, notamment sous
l’impulsion des différents acteurs stratégiques en présence. Enfin, nous contribuons à la
littérature sur les effets inattendus des ERP (Granlund et Mouritsen 2003 ; Chapman 2005 ;
Quattrone et Hopper 2005 ; Hyvönen et al. 2008) en mettant en lumière des effets inattendus
en termes de contrôle organisationnel. L’analyse menée dans le cadre de ce chapitre nous
permet également d’enrichir les travaux d’Akrich (2006) sur les interventions des utilisateurs
sur les dispositifs socio-techniques. Enfin, nos travaux permettent de répondre aux appels de
chercheurs qui comme Baxter et Chua (2003) ou Brivot et Gendron (2011) souhaitent que des
recherches soient entreprises pour examiner les mécanismes de contrôle dans des
environnements « hautement informatisés ». Nos résultats rejoignent et étendent ceux de
Brivot et Gendron (2011) qui mettent en évidence que l’accroissement de visibilité permis par
les outils de gestion appartenant aux technologies de l’information favorise « la prolifération
de réseaux de surveillance latéraux » (Brivot et Gendron 2011, p. 135). Dans notre cas, la
mise en place du progiciel CRM a non seulement favorisé la mise en place d’une forme de
contrôle latéral entre les commerciaux (auto-contrôle mutuel dans l’attribution des prospects
non initialement affectés à un portefeuille) mais aussi d’une forme de contrôle transversal
entre les différentes directions (contrôle par la direction commerciale de la qualité du travail
des distributeurs faisant partie de la direction de production).
Notre thèse vise ainsi une triple contribution. La première réside dans l’approfondissement de
la compréhension du rôle des progiciels CRM dans notre société, et plus globalement des
ERP dont ils en sont une sous-catégorie. La deuxième est d’ordre méthodologique en
illustrant l’intérêt que peut présenter une stratégie de recherche fondée sur une entrée par les
outils de gestion, intérêt souligné par de plus en plus de chercheurs (Rafaeli et Pratt 2012 ;
Chiapello et Gilbert 2013). Les outils de gestion « font des choses »
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forcément celles attendues et qui sont donc difficilement perceptibles si nous ne suivons pas
ces derniers dans leurs différentes « tribulations » et ramifications. La troisième est d’ordre
théorique. Nous espérons contribuer à l’ANT, en abordant des objets techniques, les Systèmes
de Gestion Intégrés Informatisés, encore peu étudiés par les chercheurs se réclamant de ce
courant de recherche et apporter un éclairage dans le débat actuel sur l’intérêt et la pertinence
de mobiliser dans la même recherche les théories néo-institutionnalistes et la théorie de
l’ANT.
Schéma 0.3 : Plan de thèse
Dans quelle mesure les progiciels CRM modifient-ils les représentations de la relation client et les pratiques des équipes commerciales ?
Chapitre 1 : chapitre introductif Cadre théorique : les théories
néo-institutionnalistes
Première partie
L’étude des progiciels CRM sous une « forme circulante » Chapitre 2
1-Présentation de la méthode de recherche et de la revue professionnelle étudiée 2-Dans quelle mesure peut-on parler d’institutionnalisation des progiciels CRM
et de quelle manière leur institutionnalisation a-t-elle accompagné des changements dans les représentations
de la relation client? L’étude d’un progiciel CRM sous une forme « inscrite et située »
Deuxième partie
Chapitre 3: chapitre introductif 1-Cadre théorique : ANT 2-Présentation de la méthode de recherche et du cas étudié
Chapitre 4 Quelles sont les caractéristiques du processus de traduction qui accompagne l’adoption d’un
progiciel CRM ?
Chapitre 5 Dans quelle mesure la mise
en œuvre d’un progiciel CRM modifie-t-elle les pratiques des acteurs au