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2. L A CONCURRENCE DES NOUVEAUX ACTEURS DE L ’ INFORMATION

2.1. Un changement de paradigme

Après l'invention de l'écriture et la révolution de l'imprimé, l'entrée dans l'ère numérique, avec pour corollaire la diffusion massive d'Internet, s'annonce comme un nouveau bouleversement dans l'histoire de la communication45. La dématérialisation du document a déjà des conséquences considérables : accès à distance, reproductibilité quasi instantanée et sans déperdition qualitative, disparition de la notion d'exemplaire. Les avantages, tels que la recherche en texte intégral (si la numérisation a été effectuée en mode texte) ou la consultation simultanée du même titre, sont bien connus. Les risques afférents aussi : plagiat, modification (caviardage ou réécriture des textes) et, à terme, remise en cause du statut de l'oeuvre. L'avènement du numérique est en passe de bouleverser radicalement notre rapport à l'écrit. Cependant, on mesure encore difficilement son impact sur les bibliothèques, institutions originellement destinées à combler des besoins documentaires dans un contexte de rareté de l'information, désormais confrontées à une situation inverse. Les bibliothèques traversent aujourd'hui une crise de sur-documentation46 (à l'image des crises de surproduction qui ont secoué

45 Pour une approche générale de ces questions, voir :

CHARTIER Roger. Lecteurs et lectures à l’âge de la textualité électronique. [en ligne] Bibliothèque publique d’information. 2001. Disponible sur : <http://www.text-e.org/conf/index.cfm?fa=texte&ConfText_ID=5> (consulté le 7 janvier 2007)

ROGER T. PEDAUQUE. Document et modernités. [en ligne] 2006. Disponible sur :

<http://rtp-doc.enssib.fr/IMG/pdf/Pedauque3-V4.pdf> (consulté le 7 janvier 2007)

46 L’expression est dans ROGER T. PEDAUQUE. Op.Cit.

l'économie mondiale depuis les débuts de la révolution industrielle) qui doit être pour elles l'occasion, sinon de repenser leurs missions, du moins d'ajuster leur offre à l'excès de documentation qui caractérise déjà une ère numérique à ses balbutiements. La nécessité de redéfinir le rôle des bibliothèques dans le cadre d'une société de la surinformation est d'autant plus urgente que d'autres acteurs, privés notamment, ont déjà pris la mesure de ces mutations et ont su en tirer parti.

L'entrée dans l'ère numérique se caractérise aussi par le passage d'un régime de propriété à une logique d'accès. Le cas de la documentation électronique qui, de par sa nature immatérielle et sa disponibilité en ligne, se prête remarquablement à ce nouveau mode d'appropriation, paraît vérifier l'hypothèse de Jeremy Rifkin47. Si la jouissance d'un bien est amenée à passer, non plus par sa possession, mais par son usage, les bibliothèques peuvent sembler structurellement préparées à cette transition grâce à la pratique du prêt, parfaitement adaptée aux évolutions en cours48. Mais elles ne sont pas les seules à proposer un accès à l'information et, surtout, le font selon des modalités ne correspondant plus nécessairement aux besoins de la plupart des individus.

L'irruption du numérique s'accompagne d'une ouverture à la concurrence du monde de l'information, mouvement de remise en cause d'un certain monopole culturel exercé par les bibliothèques et auquel elles ne sont pas préparées. Le moteur de recherche est à la fois le symbole et l'outil d'une libération documentaire en partie avérée. Leur utilisation ouvre la voie à une désintermédiation, néologisme

47 RIFKIN Jeremy. L’âge de l’accès. La révolution de la nouvelle économie. Paris : La Découverte, 2000, 395 p.

Voir également les analyses de J. de Rosnay : « Dans le contexte de la société de l'information et de l'émergence des média des masses, la relation traditionnelle producteur/consommateur laisse peu à peu la place à une relation prestataire/abonné. Désormais, le prestataire vend un droit d'accès, comme l'appelle Jérémy Rifkin dans son livre majeur l'Age de l'accès » in DE ROSNAY Joël, REVELLI Carlo. La révolte des pronétaires. Paris : Fayard, 2005, 252 p. L’ouvrage est téléchargeable sur : <http://www.pronetariat.com/livre/> (consutlé le 7 janvier 2007)

48 Les bibliothèques elles-mêmes proposent de plus en plus de ressources, comme les périodiques électroniques, dont elles ne sont pas détentrices. « Aujourd’hui, la conduite d’une politique documentaire se fait en fonction des contraintes du cadre contractuel de licences qui se sont imposées comme modalité d’accès à la documentation scientifique. Les bibliothèques n’acquièrent plus des documents physiques, mais un accès à distance à des documents en ligne. » in BOUKACEM-ZEGHMOURI Chérifa, SCHÖPFEL Joachim. Statistiques d’utilisation des ressources électroniques : Le projet Counter. [en ligne] Bulletin des Bibliothèques de France, 2005, n° 4, p. 62-66. Disponible sur :

<http://bbf.enssib.fr> (consulté le 7 janvier 2007)

Sur le même problème, voir LINE Maurice B. Accéder ou acquérir : Une véritable alternative pour les bibliothèques ? [en ligne] Bulletin des Bibliothèques de France, 1996, n° 1, p. 32-41. Disponible sur :

<http://bbf.enssib.fr> (consulté le 7 janvier 2007)

désignant le contact direct de l'usager et des ressources, sans recourir aux services d'un bibliothécaire. Or, la médiation entre le document et le lecteur est la raison d'être des bibliothèques et de ceux qui y travaillent49. Ce phénomène s'explique par les avantages objectifs offerts par l'utilisation d'un moteur de recherche et par l'accès aux ressources du web. Il repose aussi sur certains présupposés plus contestables. Ainsi, il est communément admis que l'information est disponible gratuitement sur Internet. C'est faire bon marché du coût de l'abonnement à un fournisseur d'accès, sans parler du matériel informatique (un rapide calcul montre que l'inscription à une bibliothèque revient nettement moins cher à l'année). C'est également négliger le fait que les moteurs de recherche « n’indexent pas plus de 50

% d’Internet et [que] les nombreuses informations que l’on y trouve ne sont ni fiables ni stables, puisque la plupart des informations pertinentes sont payantes et donc exclues des moteurs de recherche. »50 Et pourtant, il suffit de voir la naïveté désarmante de certains étudiants, et parfois d’enseignants-chercheurs, persuadés qu'ils peuvent se passer des services d'une bibliothèque puisqu'ils ont accès à tous les articles de revues, sans avoir conscience un seul instant qu'il s'agit d'abonnements coûteux et non d'archives gracieusement ouvertes pour se convaincre que la désintermédiation est déjà dans les esprits sinon dans les faits.

Auparavant tributaire d'un fonds limité et d'une politique documentaire toujours trop restrictive, l'usager (l'ex-usager ?) disposerait maintenant en toute autonomie, et dans un libre-accès perpétuel, de l'ensemble des ressources infinies du web ? Non. L'accès réputé direct à l'information est un leurre. Le moteur de recherche bien qu'il donne l'illusion d'un outil neutre reste, malgré son apparente inocuité, un média qui s'interpose entre l'internaute et les ressources et conditionne en partie son choix.

49 « Le bibliothécaire est un intermédiaire actif entre les usagers et les ressources offertes. » in UNESCO. Manifeste de l'UNESCO sur la bibliothèque publique. [en ligne] 1994. Disponible sur :

<http://www.unesco.org/webworld/libraries/manifestos/libraman_fr.html> (consulté le 7 janvier 2007)

50 CAVALERI Piero. Les bibliothèques et les services personnalisés en ligne : de nouveaux produits dans un marché concurrentiel. [en ligne] Bulletin des Bibliothèques de France, 2003, n°4, p.24-32. Disponible sur :

<http://bbf.enssib.fr> (consulté le 7 janvier 2007)

La plupart des sources consultées estime que la part du web indexée par les moteurs conventionnels est bien inférieure à 50%. Le chiffre de 10% est parfois donné ! Cette hypothèse basse émane de Digimind, société spécialisée dans la vente de solutions de veille et concurrente des moteurs et annuaires généralistes... (voir ASSELIN Christophe. Découvrir et exploiter le web invisible pour la veille stratégique. [en ligne] White Paper. 2006. Téléchargeable sur :

<http://www.digimind.fr/services/outils.htm>).