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Changement d'échelle d'observation : de la pousse annuelle à l'arbre entier

Partie V. Discussion : développement du sapin, approche multi-échelle et âge physiologique des

2. Changement d'échelle d'observation : de la pousse annuelle à l'arbre entier

Dans les études sur le mouvement morphogénétique (Lauri 1988), les processus d'axilisation et de foliarisation ont été associés à des transitions de fonction au cours de la vie de l'axe. Les feuilles du jeune tronc participent de manière très significative à l'assimilation de l'arbre, alors qu'ensuite le tronc a surtout pour fonction d'atteindre la canopée au plus vite et de porter l'ensemble de la cime, cela est associé à l'axialisation des métamères successifs : transition progressive d'une allocation relative majoritairement dans la feuille vers une allocation relative majoritairement dans l'entre-nœud.

À l'échelle des catégories d'axes, le lien est souvent fait entre propriétés morphologiques et fonctions : les propriétés morphologiques du tronc sont très différentes de celles des rameaux courts (Barthélémy et Caraglio 2007). Ces différenciations sont liées aux fonctions qu'ont ces deux catégories d'axes pour l'arbre : exploration verticale vs. exploitation locale et reproduction.

À la fois à l'échelle du métamère et de l'axe, le lien entre forme et fonction ressort donc nettement, sans chercher à identifier lequel est à l'origine de l'autre (Woodward 2008). Les paragraphes suivants cherchent à identifier les échelles où ces spécialisations morphologiques et fonctionnelles se retrouvent dans la structure et l'ontogénie du sapin.

L'allocation relative entre le caulinaire et le foliaire n'a pas été étudiée directement à l'échelle du métamère mais sur l'entre-nœud moyen de la PA. Toutefois, les mesures faites à l'échelle de la PA vont dans le même sens que la littérature sur l'échelle métamère : le développement du jeune arbre est associé à un investissement croissant de ses PV2 dans la tige au dépend des feuilles

(Figure V-35), ceci étant moins net pour les autres types d'axes mesurés (PV3 et IV3).

L'axialisation des PA des PV2 peut être liée au transfert de fonction progressif qui s’opère entre les PV2 et les autres axes plagiotropes, au cours du développement : chez la plantule tout juste ramifiée, les PV2 assurent la majeure partie de son assimilation carbonée, les PA des PV2 étant deux fois plus grandes que la PA du tronc correspondante (Figure V-6). Alors qu'après l'expression des PV3, puis des PV4 et PV5, les PV2 auront de plus en plus une fonction d'exploration horizontale et de soutien qui requiert un investissement préférentiel dans le bois, les fonctions d'assimilations étant reportées sur les PV3-4-5.

Ces résultats confortent donc le changement de catégories d'axes des PV2 successifs au cours du développement de l'arbre (i.e. intercalation), le changement de leurs propriétés morphologiques pouvant être lié à la spécialisation fonctionnelle des axes. Les relations forme-fonction identifiées au niveau de l'entre-nœud moyen et des catégories d'axes semblent donc cohérentes avec les résultats sur l'allocation de biomasses des PA du sapin.

Figure V-35: Allocation relative dans les

feuilles et la tige selon la position architecturale de la PA. Les mesures de

biomasse sont faites après déshydratation à 80° pendant au moins trois jours.

Figure V-36: Évolution de la dominance apicale des

différents ordres de ramification au cours du développement du sapin. Pour chaque individu et

chaque année, a été calculé le ratio entre la plus longue PA de l'année d'ordre de ramification n et la plus longue PA de l'année d'ordre de ramification n+1. Une dominance apicale à 1 (trait gris) correspond donc à une longueur équivalente entre le porteur et le porté. Les relations vues dans les parties précédentes permettent de supposer que les PA les plus longues sont proches. La hauteur de chaque arbre pour chaque année est déduite de la lecture rétrospective du tronc. Les courbes correspondent à des ajustements non-paramétriques (« local polynomial regression ») pour mettre les tendances générales en avant.

Si on transpose le concept d'axialisation/ foliarisation à l'échelle de la PA, il faut se demander si l'axe latéral est, pour la PA porteuse, le pendant de la feuille pour le métamère. L'augmentation de la dominance apicale avec le développement de l'arbre (Figure V-36) va dans le sens de l'axialisation des PA du tronc et dans une moindre mesure des PA des PV2. Toutefois, ce n'est pas une branche mais l’ensemble des branches portées par la PA qui sont le pendant de la feuille pour le métamère. L'augmentation du nombre d'axes latéraux avec le développement de l'arbre irait donc à contre-courant de l'attendu pour l'axialisation. Bien que cela ne puisse pas être correctement étudié avec les données actuelles (protocole d'échantillonnage inadapté), il serait intéressant de confirmer la pertinence du concept d'axialisation à l'échelle de la PA en calculant la dominance apicale en fonction de la somme des longueurs des axes latéraux.

ii. Propriétés émergentes à l'échelle de la couronne

La datation des différentes PA des arbres permet facilement de reconstruire l'allure de la cime dans le passé. Comme cela a été montré par Claveau et al. (2002) sur des sapins canadiens, la cime du jeune sapin s’affine avec sa croissance en hauteur et donc sa progression dans la canopée. Une fois la canopée atteinte la cime perd sa forme triangulaire et s'élargir (Figure V-34d).

La dynamique de la cime est directement liée aux trajectoires de croissance de ses branches : la croissance en largeur et en hauteur de la cime se fait surtout dans sa partie haute, les branches âgées de plus de 10 ans ayant une extension annuelle faible (env. 5 cm).

Figure V-37: Conséquences à l'échelle de la cime de la décroissance des longueurs. Sont représentées les longueurs successives des PA du tronc de deux PV2 et d'un PV3 par PV2 pour un adulte (a.) et un jeune arbre (b.). Les courbes sont lissées avec des « local polynomial regression » pour faire ressortir les tendances. La reconstruction des cimes se base sur l'ensemble des mesures faites sur le tronc et les PV2. Chaque enveloppe correspond à l'allure de la cime avec un pas de cinq ans.

iii. Quels indicateurs architecturaux du développement ?

A l'échelle du peuplement, il est souvent difficile d'avoir des critères de développement des arbres qui soient à la fois pertinents et rapides à observer, Nicolini et Chanson (1999) citent notamment la marcescence ou la forme des feuilles comment étant des traits pouvant marquer le développement de certaines espèces. Chez le sapin, seule l'expression de la sexualité est un critère facilement observable du développement de l'arbre. Les connaissances sur le développement architectural du sapin peuvent être simplifiées pour caractériser son développement à partir de la complexité de sa cime.

Comme cela a été montré dans les parties précédentes, le développement du jeune sapin est caractérisé par l'accroissement progressif de la longueur de ses PA. L'accroissement des longueurs est associé à la présence d'axes pseudo-verticillaires voir inter-verticillaires. La présence ou non d'axes PV et IV à certains endroits de la structure est donc un bon indicateur de la longueur de la PA correspondante et par conséquent du stade de développement de l'arbre.

Le développement de l'arbre peut être résumé à travers la séquence d'événements morphologiques suivante (les points d'interrogations correspondent à des phénomènes insuffisamment étudiés pour être affirmatif) :

1. tronc seul, 2. présence de PV2, 3. présence de PV3, 4. (?) présence PV4, 5. présence IV3, 6. (?) présence IV2, 7. présence PV5.

Ces critères doivent être observés dans la partie la plus vigoureuse de la cime : son sommet. Ces critères sont donc surtout pertinents pour les arbres de sous-bois dont le sommet reste visible pour l'observateur. La Figure V-38 montre comment ces critères sont liés à des mesures plus quantitatives du développement de l'arbre. La typologie des arbres a été faite sur la présence ou non de PV3 et d'IV3 sur la branche ramifiée la plus haute de l'arbre (i.e. branche de deux ans).

Ce type d'approche peut donc être utile pour estimer de manière rapide le stade de développement des jeunes sapins de sous-bois, cela ayant un intérêt pour l'estimation de la régénération naturelle en sous-bois ou pour sous-échantillonner la population dans le cadre d'une étude scientifique à l'échelle inter-individuelle (Annexe 18.).

3. Retour sur le concept d'âge physiologique des méristèmes