• Aucun résultat trouvé

CHAMPIONS DU MONDE

Dans le document DE LA MONDIALISATION (Page 34-37)

Le 15 novembre 2009, l'équipe suisse des moins de 17 ans battait le Nigéria en finale de la Coupe du Monde, à Abuja.

©AP Photo/Sunday Alamba/Keystone

L'Institut des sciences du sport  de l’Université de Lausanne www.unil.ch/issul

JÉRÔME BERTHOUD Assistant à l'Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne.

Nicole Chuard © UNIL

Un vrai réservoir. Rempli de pépites. Mais ne soyons pas dupes: « L'ASF ne pas fait tout ce travail pour l'intégra-tion. Ce n'est pas son but, ce n'est pas son rôle non plus ! Elle l’a fait pour bénéficier des meilleurs joueurs », pré-cise Raffaele Poli, qui fut maître assistant à l'Institut des sciences du sport de l’UNIL, avant de devenir respon-sable de l'Observatoire du football au Centre internatio-nal d'étude du sport (CIES) à Neuchâtel. « Attention, avec l'équipe de Suisse, on parle surtout d'une élite que l'on va chérir, dit-il, et même si elle est le reflet de notre immi-gration, elle ne concerne qu'une minorité. Donc, au point de vue quantitatif, on ne parle pas vraiment d'intégration.

C'est plutôt de l'ordre du symbole. Et le symbole a besoin de la victoire pour fonctionner. »

Ça tombe bien, car les équipes au maillot rouge ré-coltent des succès depuis 2002 avec les sélections na-tionales juniors qui s'illustrent sur la scène internatio-nale. Mais « la Suisse qui gagne » est surtout née un jour de finale en novembre 2009, quand les moins de 17 ans sont devenus les premiers Suisses champions du monde de football, avec, notamment, un buteur nommé Nassim Ben Khalifa.

Il y a 60% de binationaux dans les sélections suisses de foot

Hors de nos frontières, le reste de la planète observe avec surprise que la Suisse permet à beaucoup de jeunes joueurs talentueux d’arriver au plus haut niveau. Sur les vingt-trois sélectionnés en moins de 17 ans, 60% sont des binationaux. Le constat est identique pour toutes les sé-lections suisses de 15 à 21 ans. Un chiffre qui ne reflète pas la réalité du pays. Rappelons que la Suisse n'accepte la double nationalité que depuis 1992. Très restrictive en matière de naturalisation, la Confédération fait partie des pays européens qui ont le plus haut taux de population étrangère (23,3% en 2012).

En revanche, le nombre exact des bi- ou des multi-nationaux reste difficile à comptabiliser avec précision, même si l’on sait qu’il augmente. Les chiffres restent im-précis (entre 750 000 personnes et 1 million de résidants possèdent une autre nationalité). En effet, dès qu’une personne se retrouve en possession du passeport de la Confédération, l’Office fédéral de la statistique la comp-tabilise comme Helvète, et l'autre nationalité n'est plus prise en compte.

Reste à savoir pourquoi les enfants d'immigrés sont à ce point surreprésentés dans le football suisse. Parce que c'est un sport populaire, peu onéreux et plus facile d'ac-cès que le ski ? « C'est vrai que, ces dernières années, il y en a de plus en plus…, constate Raffaele Poli. Ce n'est pas seulement du talent intrinsèque, c'est aussi lié à l'impor-tance que l'on attribue à la prédisposition à aller jouer au football plutôt qu'à un autre sport. Après, il y a la passion, la volonté qu'on y met. Le rôle de la famille est tout aussi

important. Souvent, les parents d'origine étrangère en-couragent leurs enfants à faire carrière dans le football.

Les parents suivent, soutiennent et encouragent leur pro-géniture dans cette voie. »

Black-Blanc-Beur et Multikulti

Cela dit, la Suisse n’est pas un cas à part. La Belgique, par exemple, possède plus ou moins le même profil: petit pays avec beaucoup d'immigration; un accent mis sur la for-mation; des joueurs qui s'exportent et un succès interna-tional. « En fait, l'ASF s'est inspirée de ce qui a été fait en France et qui a amené au titre de 1998 son équipe "Black-Blanc-Beur", résume Jérôme Berthoud. L'Italie, l'Espagne et les pays du Nord de l'Europe devront s'y résoudre à cause d'une population vieillissante. Même l'Allemagne a changé sa politique suite à ses mauvais résultats inter-nationaux. Depuis 2004, elle intègre de nombreux Turcs, Polonais ou Africains doubles nationaux dans ses centres de formation. » Et cela a produit la fameuse équipe « Multi-kulti » qui a obtenu un gros succès populaire, à défaut de remporter la Coupe du monde 2006.

Très présente dans les médias, cette question des pas-seports des joueurs joue en revanche un rôle moins im-portant sur le terrain, quand il s’agit de composer les

36 Allez savoir ! N° 57 Mai 2014 UNIL | Université de Lausanne

SPORT

équipes. « Nous sélectionnons des joueurs qui évoluent dans notre football d'élite, des joueurs qui ont un passe-port suisse ou pas encore, explique Yves Débonnaire, res-ponsable à l'ASF de la sélection Suisse de moins de 17 ans et enseignant à l'Institut des sciences du sport de l’UNIL.

Lors des détections de jeunes joueurs, nous cherchons le potentiel des joueurs, Suisses ou pas. Nous recherchons le talent. Ensuite, pour jouer en équipe nationale, dès les moins de 17 ans et les premiers matchs officiels de quali-fication, un passeport suisse est obligatoire. »

Des risques financiers et humains

L'ASF a poussé jusqu’au bout une logique que l'on re-trouve aussi ailleurs. Pour le responsable de l’Observa-toire du football du CIES Raffaele Poli, « l’ASF a compris le potentiel que peuvent apporter les populations émigrées.

Dans l'identification du talent dès le plus jeune âge, elle fait un maximum abstraction du critère d'origine. C'est en prenant en compte l’ensemble des jeunes footballeurs qui évoluent dans le pays qu'il est possible d'élargir la py-ramide, et ensuite de trouver de bons éléments. L'ASF en a fait une vraie stratégie. C'est ce qui fait le succès de la Suisse, malgré sa petite taille. »

Cela dit, ce choix de la formation implique aussi des risques financiers et humains. Car, depuis 2009, la Fédération inter-nationale de football (FIFA) a assoupli les règles concernant les binationaux. Elle permet désormais à un joueur de chan-ger de sélection nationale, à condition qu'il n'ait jamais par-ticipé à un match international d'une compétition officielle avec l'équipe A du pays où il évoluait jusqu’alors. Les sélec-tions juniors et les matchs amicaux ne sont donc plus pris en considération.

Cette évolution a poussé certains responsables du foot français à prononcer le mot de « quotas » pour limiter le nombre de jeunes d'origine étrangère dans les écoles de foot-ball, avec pour résultat des semaines de polémiques. Reste un vrai casse-tête, comme le montre cet exemple, choisi parmi tant d’autres par Yves Débonnaire: « Prenez Diego Costa, qui est, à 25 ans, le buteur de l'Atlético Madrid. Il est d'origine brésilienne, et vient de disputer un match amical avec l'Espagne, mais il pourrait tout à fait disputer la Coupe du monde cet été avec le Brésil… » Casse-tête et casse-pied…

En foot, on risque de former… des concurrents ! Avec ces nouvelles règles, les pays formateurs ne sont plus certains d’être récompensés pour leurs efforts et leurs in-vestissements. Place à la fuite de crampons. Avec le risque de perdre, après des années de formation et d'intégration, donc d'investissements, des joueurs qui préfèrent évoluer pour une nation concurrente, celle de leur deuxième passe-port. Ce qui fut le cas des Suisses Rakitic, Petric ou Kuzma-novic…Mais c'est le prix à payer de cette politique. « Notre but est de montrer à ces joueurs que notre football est in-téressant. Que nous leur amenons autre chose que simple-ment jouer, explique Yves Débonnaire. Il y a une structure, un suivi. Les équipes nationales permettent d'évoluer au plus haut niveau, de se mettre en vitrine, de se montrer ! Et si certains joueurs choisissent leur deuxième pays, nous n'avons pas le choix. Il y a un règlement. Nous ne pouvons pas nous battre. Mais les Shaqiri, Mehmedi, Xhaka… sont les meilleurs exemples, même si ça fait dire à certains que ce n'est pas une "vraie" équipe de Suisse. Pour moi, ils ont tous un passeport rouge à croix blanche et une fierté à jouer pour la Suisse. »

Finalement, porter les couleurs de la Suisse, ce n'est pas qu'une question de passeport. Mais un choix qu'Yves Dé-bonnaire résume ainsi: « La finalité, ce n'est pas le résultat en lui-même. La finalité c'est la formation du joueur. C'est que Rodriguez, Seferovic et Xhaka jouent avec la première équipe. Quand on est dans la formation d'un sport collectif, le but c'est de développer le talent et surtout son potentiel.

Ce n'est pas seulement de gagner. Le titre des moins de 17 ans a prouvé que la Suisse en était capable. Alors si cela a été possible avec eux, un jour on pourra le faire avec les moins de 19 ans et pourquoi pas avec la première équipe. » Passe de Lichtsteiner, centre de Shaqiri, tête de Drmic. La Suisse bat le Brésil 1 à 0… Alors, utopique… ? 

RAFFAELE POLI Responsable de l'Observatoire du football au Centre international d'étude du sport (CIES) à Neuchâtel.

Nicole Chuard © UNIL

L’équipe nationale suisse www.football.ch/fr/ASF.aspx

LES TROIS VISAGES DU FOOT SUISSE

En 2012, Raffaele Poli, coordinateur de l'étude « Swiss Football Study », a disséqué le championnat suisse de Super League. Il y a découvert une situation unique, en tout cas en Europe. « Nous avons fait la distinction entre un premier groupe que nous avons nommé les expatriés. » Il est composé de ceux qui viennent en Suisse uniquement pour jouer au football. « Ce sont les migrants du football. » Ils représentent le 35% de la popu-lation évoluant en Super League.

« Un deuxième groupe composé de Suisses qui ne possèdent qu'un seul passeport. » Presque le même pourcentage que les expatriés: 36%. Il y a enfin

un troisième groupe où l'on trouve « des Suisses qui pos-sèdent aussi une autre nationalité, le 29% des joueurs,

soit environ un tiers ». C'est le visage du football suisse aujourd'hui. Une redistribution entre ces trois

caté-gories homogène et unique. « Le championnat d'An-gleterre par exemple est composé de 60% d'ex-patriés ; en Belgique, en Italie c'est aussi plus de 50%. » En Suisse, les deux tiers des joueurs ont grandi et ont été formés dans le pays. « Ces chiffres sont une preuve de la bonne santé du football suisse qui se répercute jusqu'au plus haut niveau. » Un autre succès lié à la formation et à l'intégration dans le foot-ball suisse, d'élite cette fois.

O

ui, les clubs de football ama-teur composés d'immigrés permettent aux étrangers de mieux s'intégrer. C'est en substance le constat que dressent Raffaele Poli et Jérôme Berthoud, deux des quatre auteurs d'une étude qui a porté sur douze clubs, six portugais et six al-banais, répartis en Suisse romande et alémanique. « Il y avait des préju-gés sur les clubs de migrants comme le FC Dardania ou le FC Kosova, consi-dérés comme trop communautaires.

Pour l’Office fédéral du sport, les modèles d'intégration sont les clubs mixtes », expliquent les auteurs.

Leur recherche visait à com-prendre si les clubs créés en Suisse à partir des années 70 par des migrants portugais et albanais jouent un rôle de

« support à l’échange » qui favorise le

répondent a un besoin d'intégration.

Ils ne cherchent pas à rester entre eux puisqu'ils participent au champion-nat. « C'est bien une preuve ! » S’il y a des tensions, elles sont inévitables.

Elles s'estompent avec le temps…

« Encore une preuve que le proces-sus est en marche. » AM

S’INTÉGRER PAR LE FOOT ,

Dans le document DE LA MONDIALISATION (Page 34-37)

Documents relatifs