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Catalyse au palladium

2.1. Catalyse au nickel

2.2. Catalyse au palladium

2.2.1. Synthèse de phosphonates

Les travaux pionniers dans le domaine de la catalyse au palladium appliquée à la formation de liaisons C(sp2)-P ont été réalisés par le groupe d'Hirao en 1980.24 Dans une série de publications, les auteurs décrivent le couplage d'halogénures d'aryle ou de vinyle avec différents H-phosphonates de dialkyle, en présence d'un catalyseur au palladium Pd(PPh3)4 et d'une base organique, la triéthylamine (Et3N) (Schéma 24). Ainsi, les arylphosphonates de dialkyle L1-84 et L1-85 ont été obtenus avec d'excellents rendements, mais également les vinylphosphonates de dialkyle de configuration (E) L1-86 et de configuration (Z) L1-87, la configuration de la double liaison étant entièrement conservée au cours du couplage. De par ses conditions douces et les bons rendements obtenus, ce protocole offre une bonne alternative au couplage de Tavs pour la synthèse d'arylphosphonates de dialkyle et de vinylphosphonates de dialkyle.

Schéma 24

Ces conditions dites de type "Hirao" ont depuis été largement adoptées pour préparer un très grand nombre phosphonates de dialkyle, et des modifications du système réactionnel ont permis d'effectuer la réaction de couplage dans des conditions douces (Tableau 1, entrée 1),25 ou d'étendre le champ d'application de la réaction aux halogénures d'aryle portant des groupements fortement complexants (Tableau 1, entrée 2),26 aux chlorures d'aryle activés

24 a) Hirao, T.; Masunaga, T.; Ohshiro, Y.; Agawa, T. Tetrahedron Lett. 1980, 21, 3595. b) Hirao, T.; Masunaga, T.; Ohshiro, Y.; Agawa, T. Synthesis 1981, 56. c) Hirao, T.; Masunaga, T.; Yamadan, N.; Ohshiro, Y.; Agawa, T.; Bull. Chem. Soc. Jpn. 1982, 55, 909.

25 Kohler, M. C.; Sokol, J. G.; Stockland Jr., R. A. Tetrahedron Lett. 2009, 50, 457.

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(Tableau 1, entrée 3)27 ou aux triflates d'aryle (Tableau 1, entrée 4).28 Signalons que les couplages d'Hirao sont caractérisés par une rétention complète de la configuration absolue du centre stéréogène phosphoré.29 Par exemple, lorsque les deux H-phosphonates de dithymidines L1-92a et L1-92b, différenciés par la configuration absolue de leur centre phosphoré, sont couplés au bromure de benzène, seuls les arylphosphonates de dithymidine L1-93a et L1-93b sont respectivement obtenus (Tableau 1, entrée 5).30 La réaction semble donc procéder de manière énantiosélective.

Tableau 1

27 Wang, P.; Lu, J.; Zhang, Z.-H. Journal of Chemical Research 2013, 37, 359.

28 Kalek, M.; Stawinski, J. Organometallics 2007, 26, 5840.

29 a) Xu, Y.; Zhang, J. J. Chem. Soc. Commun. 1986, 1606. b) Zhang, J.; Xu, Y.; Huang, G.; Guo, H.; Tetrahedron Lett. 1988, 29, 1955. c) Johansson, T.; Stawinski, J. Chem. Commun. 2001, 2564.

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D'un point de vue mécanistique, le couplage d'Hirao est particulièrement représentatif des couplages croisés catalysés par le palladium pour la création de liaison C(sp2)-P. Le cycle catalytique débute par l'addition oxydante du partenaire halogéné sur l'espèce catalytiquement active Pd(0)L2 L1-94, et l'espèce générée L1-95 est ensuite coordinnée par le H-phosphonate, menant ainsi à l'intermédiaire L1-96 après déprotonation. Une élimination réductrice conduit à la régénération de Pd(0)L2 ainsi qu'au phosphonate L1-97 (Schéma 25).

Schéma 25

Bien que ce cycle catalytique simplifié n'ait jamais été remis en question, de nombreuses interrogations ont longtemps persisté, et persistent encore, concernant le mécanisme exact de l'étape d'échange de ligands, ou sur les paramètres influant la cinétique des diverses étapes élémentaires du cycle.

Les modèles mécanistiques les plus élaborés à ce jour ont été proposés par le groupe de Stawinski lors d'une étude sur l'influence d'additifs anioniques sur le couplage croisé entre H-phosphonates et halogénures d'aryle.31 Les auteurs observèrent initialement une diminution considérable du temps nécessaire au couplage pour parvenir à une conversion totale lorsque des additifs anioniques étaient présents dans le milieu réactionnel (Tableau 2).Après un suivi méthodique de la réaction par RMN du noyau 31P, les auteurs ont mis en évidence un équilibre entre l'espèce palladé L1-98 initialement formée par l'addition oxydante de PhI sur

31 a) Kalec, M.; Stawinski, J. Organometallics 2007, 26, 5840. b) Kalec, M.; Stawinski, J. Organometallics

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Pd(0)L2, et les espèces palladées L1-99a-c. Or il s'est également avéré que les espèces L1-99a-c étaient significativement plus réactives que L1-98 dans l'étape d'échange de ligands, menant ainsi à une accélération globale du cycle catalytique en présence d'additifs anioniques. Notons que cet effet accélérateur est particulièrement accentué dans le cas d'un additif acétate (Tableau 2, entrée 7). Sur la base de ces résultats, il a été conclu que l'étape limitante de la cinétique, dans les conditions décrites par les auteurs, était l'étape d'échange de ligands. Cependant, les raisons sous-jacentes menant à l'accélération de cette étape d'échange de ligand restaient incomprises car le mécanisme de l'échange de ligand n'était toujours pas élucidé.

Tableau 2

Il était en effet toujours inconnu si l'échange de ligands procédait par des voies dissociatives A ou C, via des intermédiaires L1-101a-b tricoordinés à 14 électrons, ou par une voie dissociative B via des intermédiaires L1-102a-b pentacoordinés à 18 électrons (Schéma 26). La voie dissociative A est initiée par la dissociation réversible d'un ligand anionique X à partir du complexe plan carré (pc) à 16 électrons L1-100 issu de l'addition oxydante, formant ainsi un complexe cationique insaturé à 14 électrons L1-101a. Celui-ci réagit ensuite avec H-P(O)(OR)2 en présence d'une base pour produire le complexe de phosphonate de palladium L1-103a. La deuxième voie dissociative C est initiée de façon différente par la dissociation réversible d'un ligand neutre PPh3, suivie de l'addition du H-phosphonate H-P(O)(OR)2 pour mener au complexe anionique de phosphonate de palladium L1-103d. Dans la voie

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associative B, le H-phosphonate commence par se coordiner au complexe L1-100 pour conduire à des intermédiaires pentacoordinés de géométrie pyramide à base carré (pbc) ou bipyramide trigonale (bpt), tels que L1-102a ou L1-102b. Un ligand anionique X ou un ligand neutre PPh3 peuvent ensuite se décoordiner, aboutissant ainsi respectivement aux complexes de palladium L1-103b ou L1-103c.

Schéma 26

Afin d'évaluer l'implication éventuelle de ces différents mécanismes dans les réactions de couplage, Stawinski et al. mesurèrent la constante de vitesse apparente kobs de la réaction entre le complexe L1-100 et un H-phosphonate en présence d'une base, en faisant varier indépendamment la nature de l'halogène X (X = Cl, Br, I), la concentration en H-phosphonate (de 10 à 30 équiv par rapport à la concentration initiale en L1-100 [L1-100]init), la concentration en base (de 10 à 30 équiv par rapport à [L1-100]init), la force de la base (Et3N, pyridine ou N-méthylmorpholine) et la concentration en PPh3 (de 1 à 20 équiv par rapport à [L1-100]init). Il est ainsi apparu que:

1) La constante de vitesse apparente kobs est insensible à la concentration de PPh3. Cette première observation permet d'écarter la voie dissociative C comme mécanisme potentiel.

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2) La constante de vitesse apparente kobs est insensible à la concentration ou à la force de la base.

3) La constante de vitesse apparente kobs montre une dépendance linéaire positive vis-à-vis de la concentration en H-phosphonate et en complexe de départ L1-100. Les auteurs en tirent l'équation de la loi de vitesse pour la réaction de substitution de ligand :

4) La constante de vitesse apparente kobs varie en fonction de l'halogène X présent initialement dans le complexe PhPd(PPh3)2X L1-100, dans l'ordre suivant: kobs(Cl)>kobs(Br)>kobs(I).

Si l'étape de substitution suit la voie dissociative A, kobs devrait diminuer à mesure que l'affinité de l'halogène X pour le palladium augmente. Or il a été démontré que dans les complexes PhPd(PPh3)2X, cette affinité décroit dans l'ordre Cl>Br>I.32 La constante de vitesse apparente kobs devrait donc augmenter dans l'ordre kobs(Cl)<kobs(Br)<kobs(I), ce qui est à l'opposé de l'observation expérimentale. Les auteurs en concluent donc que la voie dissociative A n'est pas opérationnelle pour ce type de complexe, et que seul la voie associative B permet d'expliquer les points 1), 2), 3) et 4). En effet, dans le contexte de la voie associative B, il est raisonnable de supposer que la coordination initiale du H-phosphonate sur L1-100 est facilitée par une densité électronique faible au niveau du palladium, et la vitesse de réaction du complexe L1-100 devrait donc suivre l'ordre d'électronégativité des halogènes présents dans ce complexe, ce qui correspond à l'observation expérimentale.

Il ressort donc de l'étude de Stawinski et al. que les ligands anioniques X permettent de moduler la densité électronique du complexe L1-100, ce qui joue un rôle crucial dans l'échange de ligand de par la nature associative du mécanisme de cette étape, lorsque X = Cl, Br ou I.

Cependant, cette explication reposant sur un argument "électronégatif" ne peut être invoquée pour expliquer l'effet accélérateur observé par les ions acétates (Tableau 2, entrée 7). Ainsi, il est possible qu'un mécanisme diffèrent soit à l'œuvre lorsque X = OAc. Il est notamment connu que les ions acétates peuvent avoir un comportement monodentate, comme dans le

32 a) Flemming, J. P.; Pilon, M. C.; Borbulevitch, O. Y.; Antipin, M. Y.; Grushin, V. V. Inorg. Chem. Acta 1998, 280, 87. b) Amatore, C.; Carré, E.; Jutand, A.; M'Barki, M. A.; Meyer, G. Organometallics, 1995, 14, 5605.

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complexe L1-104, ou bidentate comme dans le complexe L1-105 (Schéma 27). Ce complexe L1-105, plus pauvre en électrons que L1-104, serait alors plus enclin que L1-104 à subir un échange de ligand avec H-P(O)(OR)2 par voie associative, aboutissant ainsi aux phosphonates de palladium L1-107a et L1-107b. L'implication de ce mécanisme, lorsque X = OAc, semble confirmée par le fait que la constante de vitesse apparente kobs (X = OAc) diminue lorsque la concentration de PPh3 augmente, ce qui n'était pas le cas lorsque X = Cl, Br, I.

Schéma 27

En ce qui concerne l'étape d'élimination réductrice à partir de complexes d'arylpalladium(II) phosphonates tels que L1-108a-h (Tableau 3), il a été démontré par le groupe de Stockland que ce processus était favorisé par des ligands phosphines bidentates à grand angle de morsure naturel n, et qu'il était défavorisé lorsque des groupements électro-attracteurs étaient présent sur le noyau aryle.33 Ainsi, le complexe L1-108b comportant un ligand diphénylphosphinepropane (dppp, n = 91 °) se décompose en Pd(0) L1-109 et en phosphonate L1-110 à une vitesse 110 fois supérieure à celle du complexe L1-108a comportant un ligand diphénylphosphineéthane (dppe, n = 85 °) (Tableau 3, entrées 1 et 2). De même, le complexe L1-108h, dont le noyau aryle comporte un groupement p-MeO, se décompose 727 fois plus rapidement que L1-108a, dont le noyau aryle comporte un groupement p-NO2 (Tableau 3, entrée 1 et 8). Notons également l'importance considérable de l'encombrement stérique au niveau du noyau aryle, la présence d'un groupement méthyle en position ortho plutôt qu'en position para diminuant la vitesse de réaction d'un facteur 3 (Tableau 3, entrée 6 et 7).

33 a) Kohler, M. C.; Grimes, T. V.; Wang, X.; Cundari, T. R.; Stockland, R. A. Organometallics 2009, 28, 1193. b) Kohler, M. C.; Stockland, R. A.; Rath, N. P. Organometallics 2006, 25, 5746. c) Stockland, R. A.; Levine, A. M.; Giovine, M. T.; Guzei, I. A.; Cannistra, J. C. Organometallics 2004, 23, 647. d) Levine, A. M.; Stockland, R. A.; Clark, R.; Guzei, I. Organometallics 2002, 21, 3278.

46 Tableau 3

2.2.2. Synthèse de phosphonites, d'oxydes de phosphine secondaires et

de phosphines

Inspirés par les travaux d'Hirao et al., Xu et al. publièrent quelques années plus tard une série d'études démontrant que des conditions expérimentales quasi-identiques à celles d'Hirao pouvaient également être appliquées au couplage croisé des H-phosphinates L1-11134 et des oxydes de phosphines secondairesL1-112 avec des halogénures d'aryle et de vinyle,35 menant respectivement aux phosphinates L1-113-114 et aux oxydes de phosphines tertiaires L1-115-116 (Schéma 28).

Schéma 28

34 Xu, Y.; Li, Z.; Xia, J.; Guo, H.; Huang, Y. Synthesis 1983, 37.

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En 1992, dans le cadre de leurs travaux sur la réactivité des complexes de phosphines-boranes chiraux, Imamoto et al. ont décrit pour la première fois l'utilisation de phosphines secondaires dans un couplage croisé pallado-catalysé, celles-ci se trouvant sous leur forme complexée par BH3 L1-117 (Schéma 29). De façon remarquable, le couplage croisé peut être effectué avec rétention ou inversion de la configuration du centre phosphoré en modulant les conditions réactionnelles. Ainsi, en utilisant 5 mol % de Pd(PPh3)4 en présence de K2CO3, les deux énantiomères L1-118a ou L1-118b ont pu être obtenus préférentiellement par simple modification du solvant.

Schéma 29

Afin de rationaliser ce résultat, il a été proposé que cette inversion ou rétention de configuration s'effectue lors de l'étape d'échange de ligands (Schéma 30). Ainsi, dans les solvants polaires tels que MeCN, le complexe de phosphine-borane L1-117 est déprotoné par K2CO3 pour donner l'anion L1-121 avec rétention de configuration, et celui-ci effectue ensuite un échange de ligand sur l'espèce Ar-Pd(II)-I L1-119 précédemment générée par l'addition oxydante de Ar-I sur Pd(PPh3)2 (Schéma 30, éq 1). Inversement, dans les solvants peu polaires tel que le THF, la déprotonation et l'attaque sur Ar-Pd(II)-I se déroulent de façon concertée avec inversion de configuration (Schéma 30, éq 2). Dans les deux cas, une élimination réductrice des espèces L1-122a et L1-122b mène respectivement aux phosphines L1-118a et L1-118b, ainsi qu'à une régénération de l'espèce catalytique active.

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Une autre caractéristique notable de cette réaction est l'utilisation de conditions réactionnelles douces. Un protocole particulièrement doux a été développé par Livingstone et al, qui ont montré qu'en présence d'un co-catalyseur au cuivre, le couplage peut être opéré à basse température (0 °C à rt), avec rétention quasi-complète de la configuration du centre phosphoré, et avec des rendements variant de bons à quantitatifs (Schéma 31).

Schéma 31

2.2.3. Phosphonylation par activation de liaison C-H

Très récemment sont également apparus des protocoles permettant la phosphonylation intermoléculaire de cycles aromatiques par activation de liaisons C-H catalysée par le palladium. Ces deux protocoles ont été rapportés indépendamment par le groupe de Yu (Schéma 32, éq 1)36 et de Murakami (Schéma 32, éq 2),37 et présentent tous deux des caractéristiques extrêmement similaires, à savoir: 1) L'utilisation du catalyseur Pd(OAc)2; 2) une base inorganique (NaOAc vs. K2HPO4); 3) AgOAc en tant que réoxydant; 4) un ligand oléfinique pauvre en électrons (benzoquinone vs. N-méthylmaleïmide (NMMI)); 5) un solvant alcoolique encombré (tert-AmylOH vs. tert-BuOH); et 6) un groupement directeur pyridine.

36 Feng, C.-G.; Ye, M.; Xiao, K.-J.; Li, S.; Yu, J.-Q. J. Am. Chem. Soc. 2013, 135, 9322.

49 Schéma 32

La principale différence entre les deux protocoles provient de la méthode choisie par les auteurs pour éviter la désactivation du catalyseur par le partenaire organophosphoré. Il est en effet connu que les H-phosphonyles peuvent empoisonner les systèmes catalytiques au palladium(II) en formant les espèces L1-129 (Schéma 33).

Schéma 33

Ainsi, dans le protocole publié par Yu et al., le H-phosphonate est ajouté goutte-à-goutte sur une période de 13 h, tandis que Murakami et al. utilisent l'espèce phosphorée L1-127, qui permet de générer lentement le H-phosphonate correspondant après élimination d'une molécule d'acétone.

Les études mécanistiques réalisées par ces deux groupes ont conduit à la proposition d'un même cycle catalytique commençant par l'étape d'activation de la liaison C-H située en  du groupement pyridine pour générer le palladacycle L1-130 (Schéma 34). Un déplacement de

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ligand par le H-phosphonate suivi d'une élimination réductrice mène à la génération de palladium(0) ainsi qu'au phosphonate L1-128. La réoxydation du palladium(0) par AgOAc permet de boucler le cycle catalytique. Après isolement et caractérisation du palladacycle L1-131, Murakami et al. ont démontré que le NMMI était nécessaire à l'étape d'élimination réductrice, et que la benzoquinone produisait le même effet. Les auteurs proposent que ces composés se coordinent au palladium(II), ce qui a pour effet d'appauvrir le centre métallique en électrons, et donc de promouvoir l'élimination réductrice.

Schéma 34