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Un fort enjeu de conservation.

Les chiroptères représentent un ordre des mammifères extrêmement diversifié (Gunnell and Simmons 2012). Ils sont reconnus pour jouer des rôles clés dans de le maintien de nombreux écosystèmes terrestres et pour une variété de services écosystémiques (Moore 2002; Jones et al. 2009; Kunz et al. 2011). Pour ces deux raisons, la conservation des chiroptères représente une priorité, menant à la mise en place d’un suivi à très large échelle pour mieux connaitre les tendances démographiques et les menaces à l'encontre de ces espèces, comme cela s'est fait récemment en Europe (Haysom et al. 2013). Ces suivis ne sont cependant pas toujours adaptés

pour développer des mesures concrètes de conservation : "Etant donné que la plupart des

espèces de chauves-souris sont actives à l'échelle du paysage, et qu'elles sont potentiellement affectées par de nombreuses pressions, les défis futurs consisteront à déterminer les facteurs fondamentaux influençant les tendances démographiques" (Haysom et al. 2013).

Parmi les espèces suivies en Europe, le Petit rhinolophe (Rhinolophus hipposideros) fait figure

de cas particulièrement intéressant. Si le nombre d'individus total est en hausse depuis 1994 (Haysom et al. 2013), nous savons également que la population européenne de cette espèce s'est

écroulée durant la seconde moitié du 20ème siècle, causant un recul net de sa limite nord d'aire

de distribution et sa disparition de plusieurs régions d'Europe (Figure 3 - Bontadina et al. 2000). L'augmentation actuelle du nombre de petits rhinolophes s'accompagne ponctuellement d'une recolonisation de la limite nord de l'aire de répartition (Biedermann et al. 2012), mais celle-ci ne s'effectue pas dans toute les régions ou l'espèce était présente : par exemple, aucune recolonisation du nord de la France n'a été détectée. Comprendre quels sont les facteurs environnementaux qui favorisent ou défavorisent le taux de croissance des populations de petits

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rhinolophes est une étape essentielle pour mettre en place des mesures de conservations permettant le maintien de populations viables pour permettre la recolonisation du nord de son aire actuelle de distribution. Cette recolonisation est une étape essentielle pour le maintien à long terme de cette espèce, car les modèles actuels de changements climatiques prédisent que

les populations de Rhinolophus hipposideros devront monter vers le nord pour survivre dans

les prochaines décennies (Rebelo et al. 2010).

Figure 3: Carte présentant l'aire de distribution du Petit rhinolophe en Europe en 2000 (grisée) et en 1939 (ligne pointillé). Figure issue de Bontadina et al. (2000).

Une espèce fortement liée au milieu forestier.

Le Petit rhinolophe est une chauve-souris insectivore qui chasse les lepidoptères et diptères en vol pour se nourrir (Arlettaz et al. 2000). L'habitat de chasse du Petit rhinolophe est très bien défini, puisqu'il s'agit de bois denses et feuillus. Ces bois accueillent la quasi-totalité des individus en chasse (Bontadina et al. 2002; Reiter et al. 2013) et la taille des populations est favorisées par la surface forestière (Reiter 2007; Tournant 2013). Définir l'habitat complet, c’est-à-dire l'ensemble des ressources abiotique et biotique nécessaires au maintien des populations de petits rhinolophes, est plus compliqué, car son cycle de vie implique l'utilisation

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de différents types d'écosystèmes (Gaisler 1966). Comme de nombreuses chauves-souris européennes, le Petit rhinolophe va se rassembler sous forme de colonies lors de deux périodes bien particulières. Légèrement avant l'arrivée de l'hiver, les individus dispersés vont se rassembler dans des sites souterrains afin d'hiberner, et l'on parle alors de gites d'hibernation. Ils partiront à l'arrivée des beaux jours, et resteront dispersés (on parle de transition printanière) jusqu'à la fin du printemps, où les femelles se rassembleront encore une fois pour former des colonies de mise-bas (ou maternités). Si les colonies des populations se trouvant proche de la mer méditerranée utilisent les grottes (qui représentent leurs gîtes naturels), les colonies plus nordiques occupent le plus souvent des bâtiments, où le microclimat va être plus favorable que leur gites naturels (Kayikcioglu and Zahn 2004). Elles y mettront bas puis les adultes comme les juvéniles partiront pour l'automne, qui correspond à la période des accouplements (Figure 4). Le Petit rhinolophe est une espèce qui est considéré comme sédentaire, qui va se déplacer de moins de 20 kilomètres ente l'été et l'hiver (Hutterer et al. 2005). Les femelles restent fidèles aux mêmes colonies de parturition d'une année sur l'autre et ne vont jamais s'en éloigner de plus de 5 kilomètres pendant la mise-bas : nous pouvons donc considérer que les colonies de petits rhinolophes constituent des populations délimitées (Afonso et al. 2016; Dool et al. 2016). La formation de colonies chez les chauves-souris favorise la survie des individus, notamment en permettant des interactions sociales et en fournissant un abri contre les conditions météorologiques et les prédateurs (Kunz 1982). La période de parturition impose donc une sélection d'habitat particulièrement cruciale pour le Petit rhinolophe, puisqu'il implique la présence d'un site capable d'accueillir un nombre suffisant individus mais aussi une zone boisée assez conséquente dans les alentours proches puisque le cœur du territoire de chasse du Petit rhinolophe à cette période se limite principalement aux 500 mètres autour de la colonie (Bontadina et al. 2002; Reiter et al. 2013). Ainsi, la localisation d'une colonie de maternité présente des contraintes paysagères fortes et ne doit rien au hasard (Tournant 2013). La période de mise-bas représente donc la période idéale pour s'intéresser à l'impact de la qualité de l'habitat sur les populations de petits rhinolophes. Cette qualité se traduit par la matrice paysagère mais également par les méthodes de gestion forestière, qui peuvent largement impacter les espèces dépendantes de cet écosystème (Hunter Jr 1990, 1999).

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La période de mise-bas offre également la possibilité d'estimer facilement la taille des populations et de la fécondité, grâce au rassemblement des femelles et de leur juvénile dans des zones parfois très faciles d'accès (notamment dans les greniers des bâtiments). Les rhinolophes sont des espèces particulièrement sensibles aux marquages classiques tel que le baguage (Dietz et al. 2006). L'acquisition de données individuelles pourrait donc s'avérer problématique. Cependant, la récupération de fèces, appelées guano, dans les colonies de maternité, puis leur génotypage, permet d'acquérir des informations individuelles pouvant efficacement remplacer les méthodes plus classique comme la capture-marque-recapture (Afonso et al. 2016).

Une variation démographique très documentée mais mal comprise.

Le fort déclin du Petit rhinolophe observé pendant le siècle dernier a donné lieu à un nombre conséquent d'articles tentant d'expliquer ce phénomène, cependant les raisons pouvant expliquer ce déclin semblent multiples et sont encore mal comprises (Bontadina et al. 2000).

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De nombreux facteurs potentiels ont été évoqués pouvant expliquer ce déclin, tel qu'un effet néfaste des pesticides sur la reproduction, la destruction et la fragmentation de leur habitat, la diminution du nombre d'insectes, le réchauffement du climat ou encore l'augmentation de l'abondance d'espèces insectivores compétitrices (Bontadina et al. 2000). Il a depuis été démontré qu'il n'y avait pas de lien direct entre l'abondance des insectes l'extinction locale du Petit rhinolophe (Bontadina et al. 2008). Si la compétition avec d'autres espèces insectivores est effectivement présente, l'exclusion compétitive n'a pas été définitivement prouvée (Arlettaz et al. 2000). Les composants organiques peuvent activement impacter la survie et la physiologie des chauves-souris (Bayat et al. 2014), et des traces de pesticides organochlorés ont été trouvées dans le guano du Petit rhinolophe prouvant la présence de ces produits dans ses tissus (Afonso

et al. 2016). La destruction de l'habitat per se ne semble pas être en cause, car le siècle dernier

ne s'est pas accompagné de déforestation massive dans les parties de l'Europe concernées par le déclin. Cependant la détérioration de cet habitat, notamment au travers du type de gestion forestière, peut être en cause (Bontadina et al. 2008). L'écosystème forestier européen étant particulièrement détruit et fragmenté, les espèces fortement liées à cet écosystème peuvent être particulièrement sensibles à la dégradation de leur habitat.