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Effet Allee

Au-delà de l'impact de la dégradation de son habitat, les populations de Petits rhinolophe semblent avoir des caractéristiques intrinsèques qui ne facilitent pas leur conservation. Les taux de croissance obtenus sur les colonies picardes suggèrent la présence d'un effet Allee dans les populations étudiées. On distingue deux types d'effets Allee (Stephens et al. 1999). L'effet Allee démographique s'observe à l'échelle de la population par une relation positive entre le taux de croissance et la taille d'une population pour de faibles effectifs. L'effet Allee élémentaire se traduit par une relation positive entre un taux vital et la taille de la population : si la présence d'un effet Allee démographique implique toujours au moins un effet Allee élémentaire, l'inverse n'est pas toujours vrai, car les effets Allee élémentaires peuvent être contrebalancés par d'autres phénomènes qui impliquent plutôt une densité-dépendance négative, comme la compétition (Stephens et al. 1999; Angulo et al. 2017). Une densité-dépendance négative, sur les taux de croissance comme sur les taux vitaux, ont déjà été observés chez des populations de chauves-souris, incluant une espèce proche du Petit rhinolophe, le Grand rhinolophe (López-Roig and Serra-Cobo 2014; Froidevaux et al. 2017). Au vu des comportements sociaux des chauves-souris, telles que la recherche de nourriture en groupe (Wilkinson and Wenrick boughman J 1998; Dechmann et al. 2010) ou la thermorégulation sociale (Tuttle 1976), plusieurs études ont émis l'hypothèse de la présence d'effet Allee dans la dynamique de populations des chauves-souris (Angulo et al. 2017; Froidevaux et al. 2017). A notre connaissance, il s'agit cependant de la première validation empirique de cet effet Allee, sur le taux de croissance (démographique) comme sur un taux vital associé, la survie adulte (élémentaire).

Les données de comptages étudiées dans le premier axe de cette thèse ne suggèrent pas de densité dépendance, qu'elle soit positive ou négative (Figure 19), et tester l'impact de la taille de colonie (de manière linéaire et quadratique) sur le taux de croissance annuelle (suivant le protocole de Froidevaux et al. (2017), n'a pas démontré la présence des patrons attendus en cas de densité dépendance, négative comme positive. Il semble cependant que plusieurs taux de croissance annuels montrent des valeurs excessivement élevées, liées à des tailles de colonies très réduites suivi par des comptages beaucoup plus élevés, qui peuvent être attribués à différents phénomènes (dérangement de la colonie pendant une année ou décalage entre le passage de l'observateur et le pic de population) mais qui ne sont certainement pas représentatifs

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des processus démographiques des colonies. Ce type de données pourrait donc masquer un vrai signal d'effet Allee au sein des populations bretonnes. Concernant la densité dépendance négative, les colonies considérées pour le Grand rhinolophe, pour lesquelles une densité-dépendance négative a été observée, avaient des tailles bien plus grandes que celles observées chez les petits rhinolophes (entre 50 et 700 individus pour le Grand rhinolophe, contre moins de 220 individus sur toutes les colonies que nous avons étudiées.). Il est possible que la densité dépendance négative ne soit détectable que sur des colonies de très grande taille, de la même manière que nos données suggèrent que l'effet Allee ne joue que sur la démographie des petites colonies, inférieures à 100 individus (Figure 13).

Figure 19 : Taux de croissance annuel en fonction de la taille de la population dans les colonies bretonnes

Etant donné que la majorité des travaux de cette thèse sont centrés sur l'habitat du Petit rhinolophe, nous avons défini ce qu'était une population notamment par son utilisation du milieu, et considéré les colonies de maternité comme des populations. Dans le cadre d'une étude de densité dépendance, il serait cependant plus pertinent de considérer les colonies comme un groupe social, et la population comme un ensemble d'individus capable de se reproduire entre eux (Angulo et al. 2017). Les phénomènes de "swarming" que nous avons déjà évoqué impliqueraient que des individus issus de colonies de maternité différentes pourraient se reproduire en ensemble, mais ce phénomène est très mal connu chez le Petit rhinolophe (Tournant 2013; Davison and Thomas 2017). Mieux connaitre le degré d'interaction entre les groupes sociaux est essentiel pour mieux comprendre comment l'effet Allee observé dans les

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groupes sociaux peut se manifester à l'échelle de la population (Angulo et al. 2017). Nos observations sur les colonies de maternité du Petit rhinolophe confirment donc les attendus théoriques concernant la relation entre les effets Allee élémentaires et démographiques, mais ouvrent également des perspectives d'études intéressantes pour l'écologie théorique comme appliquée (Angulo et al. 2017). Cela nécessitera cependant de mieux comprendre le fonctionnement et la structure des populations à une plus large échelle que la colonie, ce qui s'annonce comme un défi conséquent pour le Petit rhinolophe. Avec un échantillonnage adapté, la génétique non-invasive et les outils d'assignations de parenté sont des pistes intéressantes pour étudier ce fonctionnement dans le futur.

Faible capacité de dispersion et isolement des populations

Le Petit rhinolophe est considéré comme une espèce de chauve-souris sédentaire et philopatrique (Schofield 1996; Tournant 2013). Nos résultats ont confirmé que la dispersion des individus est très limitée. D'une part par le très faible nombre d'individus recapturés dans une autre colonie dans le cadre de la CMR non-invasive (0.3%, n=3832), et d'autre part par le patron d'isolement par la distance et la faible distance de dispersion efficace observée dans le cadre de l'étude de génétique des populations à grande échelle. Les espèces avec des faibles capacités de dispersion sont particulièrement sensibles à la fragmentation de l'habitat (Fischer and Lindenmayer 2007), qui est une menace extrêmement présente pour le Petit rhinolophe (Reiter et al. 2013). Nos résultats montrent également que les capacités de dispersion limitées du Petit rhinolophe impliquent que la diversité génétique de chaque population dépend de sa connectivité avec les autres populations, et notamment de l'abondance de l'espèce dans la région avoisinante. Les populations les plus isolées sont donc particulièrement fragiles, et présentent des risques d'extinction élevés à long terme (Reed and Frankham 2003).

Les déplacements les plus longs ne représentent généralement qu'une très faible proportion des dispersions pour n'importe quelle espèce, mais présentent tout de même une importance capitale pour de nombreux processus (Trakhtenbrot et al. 2005). Nos résultats suggèrent que la distance de dispersion maximale du Petit rhinolophe ne dépasse pas 80 km, des distances relativement faibles comparés à d'autres chauve-souris, qui peuvent atteindre 300 voire 600 km (Fairon 1967; Kerth and Petit 2005; Norquay et al. 2013). Ces capacités de dispersion relativement faible ne faciliteront pas son expansion vers le nord afin de suivre les changements climatiques (Nichols and Hewitt 1994). Des études de modélisation ont montré que les évènements de dispersion à grandes distances, bien que rares, sont censés avoir une importance capitale dans le maintien

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de la diversité génétique, avec des effets variables selon le niveau de différentiation génétique initial des populations (Bohrer et al. 2005). Les données que nous possédons montrent que l'influence de la connectivité sur la diversité génétique augmente avec la taille du rayon considéré, et que le degré de connectivité expliqué par la présence des individus dans un rayon de 80 km (distance maximale de dispersion) est la variable qui explique le mieux les variations de diversité génétique entre les populations. Ces résultats suggèrent donc que la connectivité impacte positivement la diversité génétique notamment à l'échelle de la dispersion maximale, et valideraient via des données empiriques l'importance des dispersions longue distance suggérées par les modèles. Nous manquons cependant des données nécessaires pour tester l'influence de la connectivité à une échelle spatiale supérieure, qui permettrait de valider ou non cette hypothèse.

Gestion d'une espèce sensible : comment suivre des populations